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« Chronique d'une élection dans le bled marocain, le thé de l'amitié»: le roman des élections à la marocaine

Attention, ceci n'est pas un livre militant. Ceux qui croiront lire un brûlot politique sont priés de changer de livre. « Chronique d'une élection dans le bled marocain. Le thé de l'amitié » est encore mieux que cela même si l'ouvrage, paru aux éditions

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C'est un pseudonyme car derrière ce nom d'emprunt s'abrite un cadre du ministère de l'Intérieur, Abdelhakim El Bahi. L'ouvrage a été écrit en 1994. Il sera publié en France en 1999, du temps de la toute puissance de l'Intérieur et il ne sera mis en vente au Maroc qu'en novembre 2000, au lendemain du limogeage de Driss Basri. En avril 2001, il fera l'objet d'une lecture au centre Tarik Bnou Zyad que dirige Hassan Aourid, qui est aussi porte-parole du palais Royal. Ce qui est plutôt significatif dans un pays comme le nôtre, où la symbolique et la culture des signaux sont érigées au rang de décodeur de la vie publique.
L'utilisation du pseudo est une clause de prudence. En ce temps-là pas très lointain, il valait mieux jouer à la grande muette, les représailles ayant toujours un arrière goût de sanction.
Derrière son pseudo, l'auteur s'en donne à cœur joie dans un livre qui se lit comme un roman peuplé de personnages comme portant l'avertissement selon lequel « toute ressemblance avec des personnes ayant existé n'est pas une coincidence» .Et pour cause. L'auteur, anciennement agent d'autorité, raconte, croque, des tranches de vies électorales. L'action se déroule dans « un bled marocain ». Nous sommes en 1994 et le lecteur débarque dans le patelin en pleine campagne électorale. Au fil des pages, des descriptions très souvent croustillantes A. El Bahi alias Moha Ouarab tire le portrait aussi bien des candidats à la députation que des « artistes » de la carte électorale du ministère de l'intérieur. Le pouvoir, l'administration, « Rabat » sont, en filigrane et toute en finesse, les anti-héros du roman. Entre sociologie, politique, méchoui et thé à la menthe, l'auteur raconte ce qu'il a vécu –presque dans une autre vie- alors qu'il était de l'autre côté.

Jeu d'ombre et de lumière


Walid jeune candidat de gauche, ambitieux et prêt à pactiser avec le diable, se présente aux législatives contre son oncle L'Haj, un notable du village, ex-député, portant djellaba et allégeance. L'un et l'autre sont prêts à tout pour réussir. Dans leur discours pourtant différent - l'un se la joue intellectuel engagé et l'autre est adepte des problèmes qui se règlent en une poignée de main ou autour d'un verre de thé, généralement après un méchoui- ils se retrouvent à utiliser les mêmes méthodes pour se faire élire dans un pays qui a déjà très mal à ses élections. Razzia, diaffa, moutons égorgées et autres fêtes gargantuesques sont autant d'arguments pour faire campagne. L'argent coule à flot dans un désert de début de commencement de discours politique. Tous deux ont des amitiés à Rabat. La capitale est un mot magique, chargé à la fois de crainte et d'admiration. «Boutranate», un personnage invisible du roman existe réellement et il était le bras droit de l'ex-ministre de l'Intérieur.
Le rôle de l‘administration dans les élections est quelque part le personnage central de ce récit. Jeu d'ombre et de lumière où les ficelles sont forcément tirées depuis « Rabat ». Le gouverneur, le caïd, le mokkadem sont autant d'emblèmes qui, dans le livre, viennent influencer le cours du scrutin. Et l'on imagine bien ce regard du cheikh, décrit par l'auteur, et qui suffit à lui seul par convaincre les électeurs récalcitrants .
Abdelkrim Bahi a vécu le système électoral de… l'intérieur. Et c'est bien pourquoi son témoignage fait presque œuvre de salubrité publique. Il y a bien sûr les tripatouillages mais aussi les partis politiques à la mode de chez nous et les candidats qui confondent arguments politiques et ceux sonnant et trébuchant.
«Le thé de l'amitié» se boit d'une traite. Et laisse un goût amer de gâchis électoral dans un récit ordinaire d'élections à la marocaine où tout le monde est prêt à toutes les compromissions et à la confiscation, d'une manière ou d'une autre, de la volonté populaire. A cinq mois des élections législatives et sur fond d'un débat très actuel sur le changement de mode de scrutin, ce roman qui n'a aucune prétention littéraire sauf celle de raconter «une élection dans le bled» est à consommer sans modération. Surtout par tous ceux qui s'accrochent aux oripeaux du scrutin uninominal à un tour…

Chronique d'une élection dans le bled marocain
Le thé de l'amitié
Moha Ouarab-Editions L'Harmattan-359 pages
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