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Ahmed Boulifa ou quand l'art est assimilé à la démence

Ahmed Boulifa, la cinquantaine. Cheveux gris. Barbe bien soignée. Métier ? Décorateur d'intérieur, restaurateur de vieux meubles, mais surtout artiste-peintre. Lieu de résidence ? Safi, après des séjours plus ou moins longs à Agadir, à Fès, au Sahara, à T

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Pourquoi cette difficulté à prendre racine quelque part ? Je veux sillonner le Maroc pour m'inspirer de ses paysages variés et riches en couleurs et traditions millénaires, indique cet artiste encore méconnu dans l'entourage des artistes à l'échelon national mais bien connu parmi les intellectuels de la capitale des Abda-Doukkala.
L'homme est sensible, quand on lui parle de son art, il s'exprime avec émotion. A quand remonte son amour pour la peinture ? Depuis toujours. Cet amour est né, a grandi avec moi. Très jeune, j'ai choisi la peinture pour exprimer ma propre souffrance et celle des enfants de mon entourage pauvre. Mais je me heurtais à l'incompréhension des miens, de l'école. Croyant que j'étais hanté par les esprits du mal, mes parents brûlaient presque toutes mes peintures mes instituteurs les déchiraient en mille morceaux, c'est peut-être la raison qui m'a fait fuir l'école, très tôt, chuchote-t-il, comme se parlant à lui même. Il a fallu des années à ma famille pour comprendre qu'elle peut brûler autant de tableaux qu'elle veut, moi je n'abandonnerai jamais mes pinceaux c'est ma façon de vivre, c'est mon destin. Je ne peux pas catégoriser les travaux que je dessine, mais je peut dire que je fais partie de ces artistes qui dessinent par instinct.
Les tableaux d'Ahmed Boulifa ne se prêtent pas à une lecture simpliste et uniforme. Ils sont aussi variés que complexes. Certaines de ses peintures renvoient à l'école surréaliste, alors que d'autres peuvent être assimilées à l'expressionnisme. La majorité de ses tableaux ont un point commun Safi, le Safi de la période de prospérité, des années 70. J'ai une grande nostalgie pour cette période, si riche, si intense et en même temps si paisible loin de complications des grandes métropoles telle Casablanca. Cet artiste tire son bagage référentiel du patrimoine culturel de Safi, avec ses potiers, ses barques, ses pêcheurs vivant au rythme de la mer. La mer avec sa couleur bleu vif, en été, et gris sombre en hiver, est fortement présenté dans les tableaux de Boulifa, pour qui la mer a toujours été une source d'inspiration, de sérénité et de paix. Même le sable de la mer a droit de cité dans ses tableaux, l'utilisation des grains de sables restant une des techniques de prédilection de cet artiste. Il ne représente l'être humain que très rarement, préférant jouer avec les couleurs et le riche héritage artisanal marocain pour donner naissance à des figures captivantes reflétant une grande finesse de l'âme.
C'est un choix. Moi je suis plutôt attiré et inspiré par l'architecture. Je n'aime pas trop dessiner les gens. J'essaye au maximum de valoriser le patrimoine architectural que nous trouvons dans les maisons marocaines traditionnelles, dans les mosquée.
Les lignes, les figures géométriques et les couleurs s'entremêlent, donnent lieu à des abstractions d'un style apparemment facile mais inaccessible. Surtout que les tableaux, au moins une centaine, sont jalousement gardés dans un petit atelier aménagé dans le domicile de ses parents dans un quartier populaire de Safi. Ahmed Boulifa, qui est également sculpteur et calligraphe, peint encore et toujours mais refuse de participer à une quelconque exposition, qu'elle soit individuelle ou collective. pour lui de telles manifestations n'aident en rien à l'épanouissement de l'artiste. Alors à quoi bon ? Veut-il les vendre ? Non, surtout pas. Cet artiste qui travaille avec les moyens du bord et qui fabrique ses propres pinceaux à base de poils et de crins d'animaux avoue qu'il lui arrive de vendre, la mort dans l'âme, un ou deux tableaux quand il est vraiment dans le besoin, à court de toile, ou de peinture, à l'eau s'entend, faute de moyens.
Un artiste, des tableaux vivent cachés. La démence les sortira-t-elle un jour de l'ombre... Pour le bonheur des mordus de l'art ?.
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