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Changement social et roman

Au centre-ville du Caire, un richissime arménien a édifié en 1934 un luxueux immeuble qui porte depuis son nom : ‘Imarat Ya'koubian.
L'écrivain ‘Alaa' al Aswani a fait de cet immeuble un microcosme de l'Egypte actuelle

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Le “génie du lieu” a inspiré plusieurs oeuvres littéraires. Dans celle de Nagib Mahfouz par exemple, la ville historique traditionnelle joue, comme on sait, un rôle central. ‘Ala' al Aswani a fait le choix inverse : c'est le centre-ville, wist al balad, où il a vécu et où il exerce son métier de chirurgien-dentiste, qu'il a choisi pour foyer de son espace romanesque.
L'édification, en 1934, de l'immeuble portant le nom d'un richissime arménien, a symbolisé en son temps la domination et l'influence d'une élite composée d'étrangers, d'aristocrates, de féodaux et de hauts fonctionnaires. La révoltions nassérienne de 1952 bouleversera cet ordre des choses. De non moins grands bouleversements, mais en sens inverse, affecteront l'ensemble de la société égyptienne, avec la politique de l'infitah impulsée par Sadate au début des années 70. Au vu de ces changement qu'il a suivis de près, particulièrement au centre de la capitale, Al Asswani en est arrivé a penser, et a écrire, que la vie d'un cairote pouvait inspirer, non pas un, mais plusieurs romans.
Cette profession de foi dans la fécondité et la pertinence toujours actuelles de la “littérature réaliste”, va à l'encontre de la mouvance où s'inscrivent les écrivains les plus marquants de la jeune génération. La revue littéraire qui exprime le mieux les idées de cette mouvance porte ce titre bien significatif : Al kitaba al oukhra, “L'Autre Ecriture”.
En tout cas, on peut dire qu'Al Aswani a réussi à faire vivre puissamment plusieurs personnages aux destins différents et inspirés de la réalité égyptienne actuelle. Al haj ‘Azzam, type parfait du “nouveau riche”, usant aussi bien de la religion que de l'argent pour gagner les élections; à l'extrême opposé, Taha, le jeune étudiant doué qui voit se dresser des obstacles devant ses ambitions à cause de ses origines modestes, ce qui le conduit à s'engager dans la jama'a islamiya et à s'impliquer dans une action terroriste où il perdra la vie. A propos de ce personnage, la sympathie de l'auteur pour la jama'a précitée, quand il était étudiant, lui a permis de décrire en quelque sorte de l'intérieur l'itinéraire de Taha. Cette attitude compréhensive, mais nullement justificatrice, est profondément fidèle à l'esprit du roman, qui n'est pas de louer ou de condamner sans nuances, mais de comprendre. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'auteur a rompu avec la jama'a à cause de l'attitude de ce groupe envers la création artistique.
Deux personnages féminins du roman, Souad et Boutaina, posent le problème de la condition féminine dans toutes ses implications et son ampleur. A travers le personnage nommé Hatem, c'est à un “tabou” de la société arabe que l'auteur s'attaque : l'homosexualité masculine. Au vu des condamnations récentes de plusieurs homosexuels égyptiens, de l'atmosphère de religiosité de plus en plus pesante qui règne, il fallait une dose certaine de courage pour aborder un tel thème, une fois encore de manière ouverte et respectueuse de la liberté individuelle.

Un facteur explicatif commun ?


Enfin, le personnage le plus émouvant peut-être est Nagib Dassouki : “vestige” exemplaire d'une classe moyenne égyptienne aisée, cultivée, libérale et sceptique. C'est lui qui symbolise le mieux la splendeur et la décadence d'un lieu, wist al balad, et de cet immeuble-microcosme qui a donné son titre au roman. La sympathie, on peut même dire la véritable empathie, dont fait preuve l'auteur à l'égard de ce personnage, nous fournit peut-être une indication de la plus haute valeur sociologique. Le laminage de la classe moyenne n'est-il pas la raison principale des dysfonctionnements et des déformations qui caractérisent la société égyptienne actuelle?
Le fait que Souad ait trouvé un amour libre et serein avec celui que nous avons qualifié de “vestige” de l'ancienne classe moyenne, clôt le roman sur une note d'espoir. Celui de relations humaines authentiques, pacifiées, malgré tous les obstacles qui se dressent sur ce chemin.
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