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Vers un fiqh nouveau : l'appel à l'ijtihad

Le projet d'un renouvellement radical du fiqh peut contribuer grandement à la modernisation de la société et de la personnalité arabes. En ce sens, la contribution d'un penseur musulman éclairé, Jamal al banna, retient l'attention. L'auteur a formulé son

Vers un fiqh nouveau : l'appel à l'ijtihad
Un exemple est plus qu'éloquent à cet égard. Rien que pour la prière, l'imam Ahmed ibn hanbal a consacré pas moins de 6 volumes totalisant 2500 pages environ. Citant ces chiffres, Jamal al banna note sèchement : Cinq ou six pages suffisent à expliquer au musulman la manière correcte de faire sa prière.
La prolifération du fikh des ‘ibadat n'a pas nui seulement au fiqh des mou'amalat, mais aussi à la foi elle-même, en négligeant ce qui la fonde, l'intériorité, au profit de gestes mécaniques et codifiés. D'autre part, cette prolifération a eu une conséquence sociologique éminemment négative : la transformation des fukaha en “hommes de religion”, en gestionnaires du sacré, en caste jouant objectivement le rôle d'une Eglise. Or, comme on le sait, l'Islam n'admet aucune intermédiation entre l'homme et Dieu.
Contre cette ossification du fiqh, l'appel à l'ijtihad ne cessera d'être invoqué, mais sans grands résultats. Aujourd'hui, et au vu des multiples acquis des diverses sciences, aussi bien naturelles qu'humaines, le concept d'ijtihad doit être revu de fond en comble. Ce sont ses fondements mêmes, ouçoul, établis il y a plus de mille ans par 0, qui doivent être revus et cesser d'être considérés comme immuables.
L'un des obstacles épistémologiques majeurs à briser réside dans l'axiome admis par tous les foukaha et qui veut qu'il n'y ait pas d'ijtihad quand existe un énoncé clair (la-jtihada-ma'a-an-nass). Jamal al banna retourne complètement cet axiome, en montrant que la véritable bataille de l'ijtihad a été toujours avec, et autour, du “texte” (an-naç). Quelle que soit la clarté, l'évidence de l'énoncé, c'est toujours l'usage de la raison qui a permis, par l'explication (tafssir), ou l'interprétation (ta'wil), d'en tirer des conclusions.

La réception du message coranique


Jamal al banna n'a pas manqué bien sûr de rappeler l'ijtihad révolutionnaire dont fit preuve en certaines occasions le calife Omar, suspendant l'exécution des dispositions coraniques à l'énoncé pourtant on ne peut plus clair. Malheureusement, l'exemple de cet ijtihad réellement novateur, car basé sur la compréhension profonde de l'intention signifiante globale du texte coranique, est resté unique et exceptionnel.
Pour l'émergence d'un nouveau ijtihad, pouvant conduire à un nouveau fiqh, une nouvelle approche du Coran et de la Sunna s'impose. Dans le premier tome de son ouvrage, Jamal al banna aborde le premier point. Sa conclusion, radicale, est la suivante : nous ne perdrons rien en mettant de côté tous les Tafssir traditionnels du Coran, de même que les diverses “lectures” du Coran des orientalistes et des penseurs musulmans qui s'inscrivent dans leur mouvance. Parmi ces derniers, il range non seulement Arkoun et Nasr hamid Abouzeid, mais jusqu'à celui qu'on qualifiait de “doyen des lettres arabes”, Taha Hussein.
Cette attitude radicale, venant après des propositions novatrices et audacieuses, est non seulement surprenante, mais intenable. L'aspiration d'Al Banna est en effet de se ressourcer directement dans le Coran, de l'accueillir en son cœur sans aucun écran, dans sa virginité première et son souffle libérateur. Seule cette attitude confiante et d'abandon est, selon Al banna, à même de permettre l'avènement, la “nouvelle naissance”, du vrai musulman.

La sunna du prophète


Si l'on peut comprendre et respecter une telle attitude, celle d'un homme profondément pieux, on ne peut accepter les conséquences qu'il en tire. Sa mise à l'écart des “lectures” neuves du Coran, celles d'un Arkoun et d'un Nasr Abouzeid justement, est en contradiction avec son projet de renouvellement du fiqh et, plus largement, de la pensée islamique. Les approches de ces islamologues musulmans, qui sont loin de se situer servilement dans le sillage des orientalistes, allient une connaissance approfondie du Turat à celle des acquis des sciences humaines de pointe. C'est ce qui leur permet justement une lecture critique de ce turat, une nouvelle approche du texte sacré et un déplacement de toutes les anciennes problématiques stériles.
L'attitude négative de Jamal al Banna à l'égard de ces approches modernes du discours coranique, est la première des grandes limitations au projet qu'il veut promouvoir.
Deux dates sont à retenir dans la promotion de la sunna au rang privilégié qu'elle occupe : la publication par Chafii ( m. 204 H ) de son épître, Rissala, posant les fondements du fiqh, les deux premiers étant le Coran et la sunna; la stabilisation, au V ème siècle de l'hégire, des quatre grandes Ecoles sunnites.

Comment juger la validité d'un hadith


Chi'ites, kharijites, mutazilites, d'éminents savants tel Ibn Khaldoun, enfin des auteurs modernes ont émis des réserves ou critiques sur l'usage qui a été fait de la sunna. Aujourd'hui, il s'agit d'établir et de s'en tenir fermement à des principes méthodologiques à la lumière desquels juger de la validité d'un hadith. Jamal al banna en propose deux qui, à vrai dire ne sont pas véritablement neufs dans la pensée islamique, mais dont l'application n'a jamais été faite avec systémacité et rigueur. Ces deux principes directeurs consistent en la mise de l'accent sur la critique interne du hadith, contrairement à la majorité des traditionalistes qui focalisaient leur attention sur la validité de l'isnad (la chaîne des transmetteurs); la cohérence entre le contenu du hadith et les grandes intentions signifiantes du Coran. Ce deuxième principe surtout, consistant en la lecture du hadith à la lumière du Coran, a des conséquences décisives, puisqu'il conduit à rejeter : les hadith explicitant des choses relevant du domaine du ghaïb tels que l'au-delà, le paradis et l'enfer, les signes avant-coureurs de la fin du monde, le spectacle de la résurrection; les hadith ayant trait à la condition de la femme et au statut de l'esclave, ces hadith, dussent-ils être vrais, étant clairement liés à une époque historiquement datée et révolue; les hadith énumérant les miracles du prophète, le seul dont il se réclamait lui-même étant la révélation coranique; tout hadith qui privilégie une personne, une tribu ou un lieu, cela étant manifestement en contradiction avec le grand principe coranique selon lequel c'est la piété et l'œuvre bonne et utile pour la société (attaqwa wa-l-‘amal-assalih) qui différencient les hommes; tout hadith allant à l'encontre de la liberté de croyance religieuse, proclamée fermement et explicitement dans une centaine de versets du Coran; les hadith qui évacuent le concept de la choura et incitent à l'obéissance aveugle aux gouvernants; enfin, tous les hadiths codifiant les manières de manger, de boire, de se couper les cheveux, de marcher, de se déplacer, bref, tous les gestes imaginables et possibles. Non seulement ils ne peuvent avoir aucune valeur d'obligation, mais même de modèles, au vu d'un environnement radicalement diffèrent de celui qui prévalait dans l'Arabie du VII ème siècle. La prolifération de tels hadith n'est d'ailleurs qu'un indice de la profonde décadence dans laquelle était tombée l'élaboration fiqhique, reflet elle-même d'une stagnation sociale.

Sélection des hadiths par les anciens


La citadelle du fiqh ne saurait résister longtemps encore à toutes les secousses de la modernité. L'histoire même de l'établissement des divers corpus de hadith est bien significative. Du presque million de hadith qui circulaient en son temps, Ibn hanbal n'a retenu que 30.000.De 600.000, Al Bokhari a retenu entre 3.000 et 7.000. De 10.000, Malik ibn anas, dans Al mouwatta', n'a retenu qu'entre 500 et 1500.
Si les “anciens” sont arrivés à effectuer cette impit oyable sélection, on voit ce qu'on est en droit de demander aux “modernes”, avec tous les moyens et toutes les connaissances dont ils disposent.
En conclusion, concernant la sunna, Jamal al banna appelle à deux choses : la sélection la plus rigoureuse concernant les hadith; la prise en compte, en priorité, de la sunna pratique du prophète : Comment cet homme s'est-il comporté en mari, en père, en compagnon et, last but not least, en homme politique et en réformateur social.
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