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Les banlieues françaises

● élizabeth Crémieu
Agrégée de Géographie, auditrice de l’Institut des Hautes études de défense nationale, maitre de conférence à Sciences Po Paris et auteur du livre «Géopolitique de la condition féminine» (Puf 2014).

Les banlieues françaises
ghettos • Des quartiers où la majorité de la population est plus pauvre que la moyenne des Français, plus touchée par le chômage. bPh. AFP

La géopolitique, selon le géographe français Yves Lacoste, qui a réintroduit cette discipline en France dans les années 1980, c’est l’étude des rivalités de pouvoir sur les territoires et des représentations qui y sont associées. Aujourd’hui, certaines banlieues françaises sont le théâtre d’un affrontement entre deux conceptions du monde : la moderne contre la traditionnelle. Et qui est au cœur de cet affrontement, qui en fait les frais ? Les filles et les femmes.

Il existe, chacun le sait, des quartiers où la majorité de la population est plus pauvre que la moyenne des Français, plus touchée par le chômage : on parle de ghettos. Les populations d’origine maghrébine, turque, africaine, de religion musulmane, y sont très majoritaires. Dans ces quartiers, beaucoup de femmes portent le voile volontairement. Mais de nombreuses filles, au nom de l’islam, se voient imposer de porter le voile et des vêtements informes, faute de quoi elles se font insulter, harceler, malmener. Cette atteinte à la liberté des filles, a été décrite avec force par Fadela Amara, qui recevait des jeunes filles à la «Maison des Potes», ce qui l’a conduite à créer l’association Ni putes Ni Soumises, en 2003. Elle parle de dérive et d’enfermement : «le quotidien des filles a peu à peu changé. Un véritable contrôle s’est instauré sur leurs allées et venues», «elles devaient désormais être accompagnées par des copines agréées par la famille et parfois même par un frère, soi-disant là pour les protéger», «d’année en année, les filles ont été de plus en plus contraintes d’accepter un avenir de femmes au foyer»…

Comment expliquer cette régression du sort fait aux filles sur des portions du territoire français ? Par une convergence de facteurs : Fadela Amara cite d’abord les problèmes sociaux. Les garçons qui harcèlent les filles sont ceux qui «tiennent les murs» dans les cités, en échec scolaire, au chômage, exclus. Ensuite, le fonctionnement de la cellule familiale, très imprégnée de patriarcat. Puis «un modèle de virilité exacerbée». Enfin, l’islamisme : «dans leur recherche de repères identitaires, une des seules réponses qu’ils ont trouvée, c’est l’islam radical, nouvelle morale régulatrice», «avec de très mauvaises interprétations du Coran et, comme par hasard, de très mauvaises lectures du statut des femmes dans les textes sacrés». Fadela Amara souligne que l’islamisme a donné aux garçons un cadre théorique et des outils pour opprimer les filles.

Quelles réactions y a-t-il eu dans le pays ? Qui s’est préoccupé de reconquérir ces territoires et de libérer de l’oppression les femmes qui y vivent ? Pendant longtemps, personne : il y a d’abord eu l’ignorance de ce qui se passait dans ces quartiers. Ensuite l’indifférence. Bien plus grave, la complaisance. Car les Français et leurs dirigeants, loin d’être bouffis d’arrogance néocoloniale (même si c’est le cas d’une toute petite minorité), sont plutôt dans la culpabilité postcoloniale. Le mélange ignorance-repentance donne des résultats catastrophiques, comme le montre Annie Sugier dans «le Livre noir de la condition des femmes» : «Le relativisme culturel conduit certains, au nom du respect des différences et de la tolérance, à éviter les jugements critiques à l’égard des traditions, même rétrogrades, lorsqu’elles touchent à l’identité culturelle et religieuse».

Les Français, dirigeants compris, connaissent mal l’islam et confondent islam et islamisme. Pour ne pas être accusés de racisme et d’islamophobie, ils tolèrent les excès des islamistes, comme le refus de la mixité ou les prières de rue. Ce qui a un impact catastrophique sur l’opinion. Néanmoins, depuis quelques années, en partie grâce aux féministes des quartiers, on observe une prise de conscience et des actions en faveur des femmes : la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux, et donc le voile, dans l’espace public en fait partie. La commission Stasi, constituée pour réfléchir à ce sujet, était constituée de membres majoritairement hostiles à l’interdiction des signes religieux dans l’espace public. Mais à la suite de l’audition de nombreuses femmes demandant protection, ils ont changé d’avis. Il a donc fallu pour défendre la modernité une loi d’interdiction !
Néanmoins, ce n’est pas une loi qui résoudra le problème des quartiers et qui y assurera la liberté des femmes. Mais une autre politique économique, sociale et urbaine, une meilleure connaissance des uns et des autres, et un soutien réel aux féministes des quartiers. 

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