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Entretien avec Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Paris, spécialiste en contentieux social en problématiques des ressources humaines

Le conflit collectif, qui oppose employeur et salariés, émane généralement de groupements, organisés ou non, et met en jeu des intérêts collectifs, c’est-à-dire communs à un ensemble de salariés (par exemple la liberté syndicale, la révision des salaires, la durée du travail...). Les conflits collectifs de travail se traduisent le plus souvent de la part des salariés par une grève et de la part des employeurs par un lock-out. Ces domaines n’ont pas du tout été réglementés par le législateur. En effet, seule la Constitution du 29 juillet 2011 vient préciser dans son article 29 que : «le droit de grève est garanti. Une loi organique fixe les modalités et ses conditions d’exercice». Quant au lock-out, celui-ci n’a pas fait l’objet de définition légale. Le législateur étant resté pour le moins évasif, c’est à la jurisprudence
qu’il est revenu d’élaborer les règles relatives à ces conflits.

Entretien avec Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Paris, spécialiste en contentieux  social en problématiques des ressources humaines

Le Matin Emploi : Le droit de grève est certes garanti par la Constitution marocaine, que dit le Code de travail à propos de la question ?
Mohamed Oulkhouir : Le Code du travail est quasiment muet s’agissant du droit de grève. Il n’y a d’ailleurs pas de définition constitutionnelle ou légale de la grève. Selon la jurisprudence et la doctrine majoritaire, il s’agit d’un arrêt collectif et concerté de travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles.
La grève se caractérise donc par une cessation totale du travail, même de courte durée (arrêt de travail d’un quart d’heure), ou répétée (arrêts successifs de courte durée appelés débrayages) ou affectant successivement dans l’entreprise, soit les catégories professionnelles (grèves tournantes verticales), soit les secteurs d’activité, services, ateliers (grèves tournantes horizontales), dans la mesure où elles ne procèdent pas d’une volonté de désorganiser l’entreprise ou de nuire à sa situation économique.
Si la grève s’exerce collectivement, il n’est pas nécessaire que le mouvement de cessation collective soit le fait de la totalité ou de la majorité du personnel concerné pour qu’il soit qualifié de grève. La grève peut donc être limitée à un établissement, un atelier, une catégorie professionnelle, une fraction du personnel même minoritaire. La légalité d’une grève est enfin fondée sur l’existence de revendications professionnelles. Sont ainsi considérées comme d’ordre professionnel, les revendications portant sur les conditions de rémunération (primes, avantages divers, méthodes de calcul du salaire, règlement des heures supplémentaires), les conditions de travail (cadences, horaires), la défense des droits collectifs notamment des droits syndicaux ou la protection de l’emploi.

Quels sont les effets de la grève sur le contrat de travail et la rémunération ?
La grève ne rompt pas le contrat de travail qui se trouve simplement suspendu. Par l’effet de la suspension du contrat, chacune des parties se trouve dispensée d’exécuter ses obligations contractuelles réciproques : le salarié ne fournissant pas la prestation de travail, l’employeur est exempté du paiement du salaire. L’abattement doit toutefois être exactement proportionnel à la durée de l’arrêt de travail. À défaut, il s’agit d’une sanction pécuniaire prohibée. La retenue devrait être égale au quotient du salaire mensuel par le nombre d’heures de travail effectuées dans l’entreprise pour le mois considéré.
Naturellement, ni la perte de production résultant de la grève ni le temps consacré à la remise en marche des machines n’autorisent l’employeur à procéder à une retenue supplémentaire. Les frais liés au travail n’étant pas exposés pendant la grève, les indemnités correspondantes ne sont pas dues, notamment les indemnités de panier, les indemnités de déplacement ou les indemnités pour utilisation du véhicule personnel à des fins professionnelles. Il convient de souligner également que le salarié gréviste ne bénéficie pas de la législation protectrice des accidents du travail. De même, la durée de la période d’essai qui doit correspondre à du travail effectif doit être prolongée de la durée de la grève.
Rappelons que la grève étant un droit constitutionnellement garanti, son exercice ne peut justifier un licenciement du salarié, sauf faute grave commise par le salarié.
En l’absence de faute grave, le licenciement est selon nous nul de plein droit et doit donner lieu à la réintégration du salarié. Il est interdit à l’employeur de faire appel à une entreprise de travail temporaire ou d’embaucher des salariés sous contrats à durée déterminée pour remplacer les grévistes. L’employeur peut en revanche demander à une autre entreprise d’intervenir soit sur les lieux mêmes de l’entreprise en envoyant ses propres salariés, soit en réalisant la production dans ses propres locaux.

Quels sont les comportements illicites ou abusifs ?
Le piquet de grève est un regroupement de grévistes se plaçant aux accès de l’entreprise pour inciter les non-grévistes à ne pas aller travailler. Lorsque les membres du piquet de grève laissent le libre passage des personnes et des biens, il n’y a pas abus.
En revanche, constitue un abus le fait d’empêcher l’entrée et la sortie des marchandises et véhicules et d’interdire l’accès à l’entreprise aux non grévistes. L’occupation des locaux n’est pas en soi abusive.
Elle le devient lorsqu’elle porte atteinte au droit de propriété, au droit de l’employeur d’exploiter son entreprise et à la liberté de travail et de circulation dans l’entreprise. La séquestration des personnes, la destruction, dégradation et/ou la détérioration des biens sont naturellement prohibées.

Selon vous, pourquoi la loi organique sur ce droit légitime tarde-t-elle à voir le jour ?
L’absence de loi précisant les modalités et les conditions d’exercice du droit de grève crée de l’insécurité juridique tant pour les employeurs que les salariés. Il s’agit d’articuler deux droits fondamentaux (droit de grève et liberté du travail). Il n’est donc pas surprenant que l’accouchement se fasse dans la douleur, et ce, d’autant plus que les pouvoirs publics ont décidé d’associer pleinement les partenaires sociaux à l’élaboration de cette loi. Un des points d’achoppement serait l’abrogation et/ou de la révision de l’article 288 du Code pénal. Toutefois, l’adoption de cette loi organique est imminente, elle est même annoncée pour le premier semestre de l’année 2014. 

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