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«Quelques pistes de réflexion sur les éléments clés du Code du travail»

La mise en place du Code du travail a incontestablement doté le Maroc d’une règlementation moderne et ambitieuse et de ce point de vue-là, le bilan, dix ans après, est très satisfaisant (voire partie I, parue sur Le Matin Emploi du 30 décembre 2013). Un certain nombre d’améliorations sont toutefois aujourd’hui indispensables à la légitime protection des salariés et au renforcement du climat des affaires (Partie II).

«Quelques pistes de réflexion  sur les éléments clés du Code du travail»
Mohamed Oulkhouir • Avocat au barreau de Paris. • Associé gérant CWA Morocco.

Le Matin Emploi : Quelles sont, selon vous, les améliorations nécessaires ?
Mohamed Oulkhouir : Il ne s’agit naturellement ici que de quelques pistes de réflexion non exhaustives qui ont été en leur temps mises en lumière par d’autres que moi. Elles concernent différents aspects de la relation de travail, certaines sont purement techniques et d’autres ont une portée politique plus importante.
Sur le plan des relations collectives, il s’agit notamment des chantiers délicats que constituent la représentativité syndicale, le dialogue social et l’encadrement du droit de grève.
Sur le plan des relations individuelles, il est possible de mettre en exergue la procédure de licenciement pour motif individuel, l’arbitrabilité des litiges individuels du travail ou encore l’embauche par des sociétés étrangères non résidentes.

Que faudrait-il faire pour promouvoir le dialogue social et la négociation collective ?
Comme beaucoup de choses en ce bas monde, la négociation et le dialogue social ne sont pas innés mais acquis. Il y a donc lieu d’aider les partenaires sociaux à mieux appréhender les mécanismes du dialogue social.
Dans cette optique, il faudrait instituer, plus clairement que ne le fait le Code du travail, une obligation de négocier au moins une fois par an, au niveau de l’entreprise, sur un certain nombre de points tels que les salaires, la formation ou la durée du travail. Cette obligation de négocier (et non de signer) doit être formalisée et contrôlée par l’Inspection du travail pour en assurer le respect par les différents protagonistes. Une telle obligation, si elle ne permet pas nécessairement la signature de conventions, aura au moins le mérite d’amorcer le dialogue entre employeurs et salariés. La bonne représentation des salariés au sein de l’entreprise est un préalable essentiel au succès de telles négociations. Il n’est pas possible de faire l’économie d’une bonne représentativité syndicale ainsi que du respect par les entreprises des obligations de mise en place de délégués des salariés, de comités d’entreprises et de représentants syndicaux.

Qu’en est-il de la réglementation du droit de grève ?
Il n’y a pas de définition constitutionnelle (l’article 29 de la Constitution garantit simplement le droit de grève) ou légale de la grève. Il s’agit, selon la définition la plus communément admise, d’un arrêt collectif et concerté de travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles. Le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle qu’il y a naturellement lieu de protéger. Cette protection ne doit cependant pas se faire au détriment d’autres libertés fondamentales que sont la liberté du travail, la liberté du commerce et de l’industrie ou le droit de propriété.
Un équilibre doit donc être recherché et trouvé notamment à travers l’instauration d’un mécanisme de préavis ou bien d’une «obligation de négocier» en amont du recours à la grève.
Il convient par ailleurs de rappeler que l’exercice du droit de grève suspend l’exécution du contrat de travail pendant toute la durée de l’arrêt de travail, en sorte que l’employeur est délié de l’obligation de payer le salaire. Il ne nous apparaît pas matériellement raisonnable ni juridiquement cohérent de maintenir leurs salaires aux grévistes.
La loi organique à venir sur le sujet pourra utilement combler ce vide laissé par le Code du travail.

Peut-on recourir à l’arbitrage en matière de litiges individuels du travail et prévoir une clause d’arbitrage dans les contrats de travail ?
L’arbitrabilité des litiges individuels de travail est une question délicate dans de nombreux pays et notre Code du travail est, comme d’autres, peu disert sur le sujet. En droit marocain, les conflits collectifs sont arbitrables. Il est également possible une fois le litige né de le régler par la voie arbitrale en signant un compromis d’arbitrage.
Ce qui fait question, c’est la validité de la clause compromissoire c’est-à-dire de la clause contractuelle par laquelle les parties au contrat de travail s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce contrat. Une telle clause est par exemple inopérante en droit français, valable en droit suisse et en droit OHADA.
À notre connaissance, aucune juridiction marocaine ne s’est prononcée sur le sujet à date. L’arbitrage des litiges individuels du travail peut être un moyen efficace de désengorger les tribunaux étatiques et de conserver une unité linguistique pour les sociétés qui utilisent le français comme langue des relations sociales.

Quelles améliorations faudrait-il apporter à la procédure de licenciement de l’article 62 du Code du travail ?
Une des principales spécificités du Code du travail marocain est l’impossibilité de licencier un salarié pour insuffisance professionnelle. Si le salarié n’a pas commis de faute grave ou n’a pas épuisé au cours d’une année civile l’ensemble des sanctions disciplinaires prévues à l’article 37 du Code du travail, le licenciement sera nécessairement considéré comme abusif et lui ouvrira droit à des dommages et des intérêts.
L’insuffisance professionnelle du salarié, dès lors qu’elle est établie, devrait pouvoir constituer une cause réelle et sérieuse du licenciement alors même qu’aucune faute personnelle n’est établie à son encontre.
Elle devra naturellement reposer sur des faits objectifs, précis, vérifiables et imputables au salarié pour pouvoir caractériser un licenciement pour juste cause ouvrant droit à l’indemnité de licenciement et au préavis. Le Code du travail et la jurisprudence rappellent inlassablement l’obligation faite aux parties de recourir préalablement à l’inspecteur du travail si l’une d’elles ne souhaite pas poursuivre la procédure de licenciement. Un tel recours nous parait d’une lourdeur excessive. En effet, la procédure d’audition étant destinée à garantir les droits du salarié, l’absence délibérée de ce dernier ou le refus de signer le procès-verbal d’audition ne devrait pas remettre en cause la suite de la procédure, et l’employeur devrait pouvoir, sous le contrôle du juge judiciaire, notifier au salarié son licenciement par lettre recommandée. Cette mesure simple permettrait d’alléger la charge de travail des inspecteurs et leur permettre de se concentrer sur leur rôle principal de conseil et de garant de l’application de la réglementation sociale. Il convient enfin de souligner les sérieuses difficultés que crée une lecture trop rigide des dispositions du Code du travail. Certains magistrats considèrent ainsi le défaut d’envoi à l’inspecteur du travail d’une copie de la lettre de licenciement et du procès-verbal d’audition comme le non-respect d’une formalité substantielle rendant le licenciement abusif. À tort selon nous puisque cette exigence n’est requise qu’à des fins statistiques et ne cause aucun préjudice au salarié.

Quelles sont les difficultés que rencontrent les sociétés non résidentes pour embaucher des salariés au Maroc ?
Il ne s’agit pas de difficultés mais d’une impossibilité pure et simple. À l’heure actuelle, les entreprises étrangères sans établissement au Maroc sont juridiquement dans l’impossibilité d’embaucher des salariés au Maroc. Il y aurait lieu de s’inspirer des expériences étrangères et notamment françaises et de créer un représentant social
comme il existe par exemple un représentant fiscal dans le cas des sociétés non résidentes qui exercent sur le territoire marocain. L’employeur sans établissement au Maroc sera naturellement tenu d’accomplir l’ensemble des formalités déclaratives liées à l’emploi de personnel salarié relevant du régime marocain de sécurité sociale. Il pourra désigner par convention un représentant social résidant au Maroc pour remplir à sa place les obligations relatives aux déclarations et versements des impôts et cotisations sociales, représentant qui sera responsable sur ses deniers de la bonne exécution de ces obligations. 

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