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La question linguistique au Maroc

● Guillaume Jobin
Président de l’École supérieure de journalisme de Paris, Alger, Dubaï, Casablanca, Rabat, Tunis.
Auteur de « Lyautey, le Résident ».

La question  linguistique au Maroc
Multilinguisme • Le deuxième traitement est l’investissement éducatif multilingue, récemment recommandé par le gouvernement marocain, y compris dans le secteur public… bPh. Archives

La langue parlée au quotidien est-elle encore un facteur de division au Maroc ? Le traitement de la diversité linguistique ne passe pas par l’emploi de langues multiples, mais par des facteurs politiques de cohésion nationale.

D’un point de vue extérieur, notre propre pratique de l’enseignement du journalisme au Maroc ne nous révèle qu’un seul facteur contraire à une cohérence optimale du Royaume : la fragmentation linguistique. Il est difficile de nier cette évidence qui complique la vie des médias et sert souvent de prétextes à des revendications locales. Un regard extérieur sur un pays est forcément réducteur, mais il a le mérite de ne s’intéresser qu’à ce qui «saute aux yeux». La diversité linguistique, que la France a traitée par la force au cours du 19e siècle, est la résultante d’une Histoire ancienne, d’une situation géographique particulière et d’une culture impériale. C’est le cas du Maroc, ce fut le cas de la Grande-Bretagne, mais aussi de la Chine, à qui le problème est posé par des centaines de millions de citoyens. À l’opposé, le Japon et les Pays-Bas ont la chance d’avoir une homogénéité linguistique exceptionnelle. La question s’est posée de façon pratique à l’ouverture de notre établissement à l’ILCS-ESJ de Rabat. Nous avions quelques étudiants français et d’Afrique subsaharienne, parlant une langue standardisée pour les premiers, et légèrement teintée de colloquialismes pour les deuxièmes. Les Marocains, sous l’apparent bilinguisme de façade, se répartissaient en plusieurs sous-ensembles linguistiques entrecroisés, selon que nous nous intéressions à la langue parlée en famille, celle de la ville d’origine ou enfin celle de l’école fréquentée. Si le débat opposant la darija à l’arabe ou au français est déjà compliqué en soi, les subdivisions réelles ne permettaient pas d’envisager une adaptation à chaque cas particulier de nos étudiants, de niveau bac+3 ou +4. Le débat linguistique, sans issue, lancé entre Noureddine Ayouch et Abdallah Laroui ne résout pas la question qui ne peut être posée de façon binaire, comme le fait d’ailleurs le neveu du premier, Fouad Laroui, dans «le Drame linguistique marocain».

Combien de dialectes de la langue amazigh, et combien de graphies considérer ? Combien de régionalisations de la darija supporter ? Que faire d’un étudiant hassanophone ? Devons-nous nous résoudre à l’éternelle division artificielle, langue française pour l’élite intellectuelle et arabe moderne unifié pour les autres ? Quid de la nécessité de maitriser un anglais de base et technique a minima ?
Nous référant à une étude de la Faculté des lettres de Ben Msik, nous avons retiré les enseignements suivants des débats entre intervenants :
a / la langue pratiquée en cours n’a pas d’importance, le cerveau s’adapte chez les multilingues,
b / la structuration de la pensée, selon les linguistes, ne repose pas fondamentalement sur le langage exprimé,
c / la langue est plus affaire d’appartenance à un groupe social qu’à un groupe ethnique.

La question kabyle en Algérie est un problème d’abord politique, très accessoirement culturel dans une économie dirigiste. La diversité linguistique apparente des Marocains s’oppose aujourd’hui aux unités ethnique, religieuse, culturelle et historique, qui sont les composantes de la fierté nationale et de la dignité individuelle. Le recours, revendiqué, à un idiome particulier, pour suivre l’exemple corse, est généré par un déficit de reconnaissance du groupe qui l’emploie. L’officialisation récente de l’amazigh et l’emploi de l’écriture tifinagh ont certainement dégonflé des revendications plus larges dans ce domaine. L’unité linguistique est un fantasme politique jacobin inapplicable au Maroc, pays où le libéralisme économique est fondamental depuis 150 ans. La vie quotidienne des affaires, de la culture, voire du cœur, au Maroc, traite de façon empirique la chose au quotidien (ce que nous appelons la stratégie implicite du domino), deux individus trouvent des points communs d’échange verbal, si la nécessité l’impose. Le vrai traitement de la question est politique, en considérant toutes les langues d’expression comme égales et valides, ce qui a été fait du Nord au Sud, tant pour l’amazigh que le hassani, ou encore, de facto, le français et l’espagnol. Le deuxième traitement est l’investissement éducatif multilingue, récemment recommandé par le gouvernement marocain, y compris dans le secteur public. 

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