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La France frappée en plein cœur

La France frappée en plein cœur

Moins d’un an après les attentats de «Charlie Hebdo» et de l’Hyper Casher, la France s’est retrouvée une nouvelle fois dans l’horreur avec pas plusieurs attentats qui ont touché ses filles et ses fils sur son sol. Un nouveau coup dur, alors que le pays commençait doucement à se remettre des attaques de janvier, mais surtout le signe majeur d’un bouleversement des forces et d’une exigence de réorientation stratégique à la fois interne et externe.

Ce vendredi 13 où tout a basculéC’était un vendredi comme les autres, un vendredi où toutes et tous s’accordaient un moment de détente pour évacuer la pression de la semaine. Seulement, contrairement aux autres vendredis, celui-là allait prendre une saveur toute particulière.
Car entre 21 h 20 et 0 h 20, ce sont vraisemblablement trois équipes de terroristes qui vont semer la mort dans Paris en agissant aux abords du Stade de France, dans la salle de concert du Bataclan ainsi que dans différents cafés très fréquentés dans les Xe et XIe arrondissements. Ils feront au total 132 morts et 352 blessés, dont 80 dans un état d’urgence absolue.

La date du vendredi 13 n’a sûrement pas été choisie par hasard et, dans de nombreux esprits, elle a certainement renforcé la croyance qui veut que le vendredi 13 soit un jour de malheur. Dans le même ordre d’idées, les lieux n’ont pas été choisis au hasard non plus et c’est particulièrement vrai pour le Stade de France où le Chef de l’État était présent ce jour-là pour assister au match amical France-Allemagne. Il s’agissait bien entendu de montrer le potentiel tentaculaire et la puissance du groupe qui peut frapper n’importe où, attaquer les plus hauts représentants de l’État de la manière la plus facile qui soit et frapper à l’aveugle dans la population civile. Mais pour quelles conséquences ?

Une France désormais en guerre

Les journaux n’ont cessé de le rappeler au lendemain des événements et la réalité ne les a pas démentis : la France est désormais en guerre. État d’urgence, déploiement de l’armée dans les villes, renforcement des contrôles aux frontières et multiplication des frappes en Syrie… la France est aujourd’hui sur tous les fronts avec un objectif clair : éliminer la menace terroriste pour ses ressortissants et pour son territoire. Une tâche qui s’annonce bien sûr plus que difficile, d’autant plus que le loup est désormais entré dans la bergerie, comme dirait l’autre. Car, et c’est une réalité qu’il ne faut pas oublier, les terroristes ne sont pas seulement des ennemis externes que l’on pourrait identifier immédiatement, mais ce sont des citoyens français ou européens, des personnes ordinaires qui se fondent dans la masse. Des «messieurs tout le monde» avec des kalachnikovs comme l’a si bien résumé un rescapé de la tuerie du Bataclan. Et face à ses filles et à ses fils qui se radicalisent en silence, qui nouent des contacts physiques avec l’État islamique et qui passent à l’acte, la France est pour l’instant impuissante et surtout indécise quant à la stratégie à adopter : faut-il stigmatiser l’islam et donc révolter la masse de croyants pacifiques et respectueux des lois de la République ? Ou alors faut-il continuer de respecter les valeurs fondamentales de la nation tricolore (liberté, égalité, fraternité), donner à chaque personne le bénéfice du doute et espérer que les attentats ne se reproduisent plus jamais ? Et dans ce cas, comment redonner l’envie à ces personnes en déroute de croire à nouveau au rêve français ?
Autant de questions auxquelles la France est appelée à trouver des réponses rapides et durables et qui sont d’une importance aussi grande que celles sur son engagement en Syrie et sur ses orientations en matière de géopolitique internationale.

Quels impacts sur le plan géopolitique ?

Bien entendu, il est encore trop tôt pour mesurer tous les impacts des attentats de Paris. Mais d’ores et déjà, certains actes forts peuvent être soulignés. La France a ainsi reçu le soutien de la quasi-totalité des pays du globe, qu’ils soient ses alliés ou non. Les attentats de Paris, qui sont intervenus au lendemain des attentats au Liban et le crash de l’avion russe à Charm El Cheickh, ont, semble-t-il, achevé de convaincre le monde de la réalité de la menace terroriste et surtout de la nouvelle puissance de Daesh. Dans cette optique, il est donc possible d’imaginer une alliance entre les puissances agissant déjà sur le terrain syrien pour détruire l’ennemi commun qu’est Daesh. Cela impliquerait bien entendu un partenariat stratégique avec l’Iran et la Russie, qui ont jusque-là été sous-estimés par les alliés, pour renforcer la puissance militaire, mais également une modification des positions françaises et américaines vis-à-vis de Bachar Al-Assad et de son maintien au pouvoir. Cette solution est défendue depuis longtemps par la Russie, mais également par l’ancien Président Nicolas Sarkozy, qui voit en elle un allié nécessaire dans cette crise, mais est pour l’instant refusée par François Hollande et Barack Obama. Une autre piste à l’étude est la piste financière, les puissances du G20 ayant en effet annoncé cette semaine leur volonté de couper les vivres à Daesh. Apparemment, ce n’est que cette semaine qu’elles se sont «aperçues» que le groupe terroriste vendait du pétrole par cargaisons entières, qu’il recevait de l’argent en dollars et qu’il avait certainement des comptes dans de nombreux pays occidentaux. Pour un esprit censé, il est difficile de croire que les Occidentaux n’ont ouvert les yeux que maintenant sur cette évidence, mais ce qui est vrai en revanche, c’est que pour protéger des intérêts certainement trop importants, ils ont laissé grandir un monstre dont ils ont aujourd’hui du mal à se débarrasser. L’avenir nous dira s’ils parviendront finalement à le faire. 


Le film des événements

21 h 20. Quelques instants après le début du match de foot France-Allemagne au Stade de France, une première explosion a lieu rue Rimet, à Saint-Denis, devant la porte D du stade.
21 h 25. À l'angle des rues Bichat et Alibert, des individus arrivés à bord d'une voiture noire, que des témoins décrivent comme une Seat, ouvrent le feu sur les terrasses du Carillon et du Petit Cambodge.
21 h 30. Une deuxième explosion retentit à la porte H du Stade de France.
21 h 32. À l'angle de la rue de la Fontaine-au-Roi, la même Seat noire surgit devant La Bonne Bière, et mitraille. Le bilan est de 5 morts et 8 blessés en état d’urgence absolue.
21 h 36. Un tireur surgit de la Seat noire et tue 19 personnes à La Belle Equipe, un établissement sis à la rue de Charonne.
21 h 40. Un kamikaze se donne la mort au comptoir Voltaire, sis au 253 boulevard Voltaire, et blesse grièvement une personne.
21 h 40. Une Polo noire s’arrête devant le Bataclan, sis au 50 boulevard Voltaire, et trois hommes en descendent. Armés jusqu’aux dents, ils vont prendre en otage près d’un millier de personnes et en tuer 89.
21 h 53. Rue de la Coquerie, à proximité du Stade de France, une troisième explosion retentit. Là aussi le corps d'un kamikaze est retrouvé.
0 h 20. Au Bataclan, l'assaut est donné par le Raid. Deux terroristes se font exploser, le troisième est tué par les forces de l'ordre alors qu'il déclenchait sa propre bombe.


Entre valeurs fondamentales et renforcement de la sécurité, le choix cornélien de la France

Il y a quelques semaines encore, Michel Goya, militaire à la retraite et expert sur les questions de sécurité, s’inquiétait sur son blog de la faible préparation de la France à des attentats bien plus importants que ceux de janvier. Les événements du 13 novembre ont confirmé ses craintes et ont montré que la France n’était pas du tout préparée à des attentats de grande ampleur.
Bien sûr, depuis lors, des mesures exceptionnelles ont été mises en place (état d’urgence, perquisition…) et ont permis l’organisation d’une opération exceptionnelle ce mercredi 18 novembre en Seine-Saint-Denis. Mais quand on sait que les frères Abdeslam, qui ont activement participé aux attentats, ont été interrogés par la Belgique et signalés à la France tout comme d’autres terroristes l’ont été ces derniers mois par d’autres pays, de nombreuses questions peuvent être posées. Non pas sur l’efficacité des services de renseignement français, qui avaient également établi des fiches S de surveillance pour certains individus impliqués dans les attentats, mais sur la volonté de suivre jusqu’au bout un individu impliqué de près ou de loin dans une affaire de terrorisme avec tout ce que cela implique.
Car la question est bien là et elle a d’ailleurs été rappelée par les partis de droite et d’extrême droite cette semaine : la France est-elle prête à basculer dans le tout sécuritaire et à renier tous leurs droits aux individus qui peuvent lui nuire ? Le cas des États-Unis après le 11 septembre 2001 a montré que le tout sécuritaire avait des effets assez négatifs, comme la suspicion envers la communauté musulmane ou encore les arrestations abusives sur de nombreuses personnes innocentes. Et c’est sûrement cet exemple qui pousse le gouvernement en place à refuser des mesures aussi drastiques que le port du bracelet électronique pour toutes les personnes fichées S ou encore le retrait de leur nationalité. Ce sont sûrement ces considérations nobles qui donnent une longueur d’avance aux terroristes, pour qui il suffit de choisir une personne calme qui ne se fait pas spécialement remarquer et de la former en silence pour commettre l’irréparable. Et c’est pourquoi une réaction ferme et réfléchie s’impose. Pas seulement sur le court terme, mais sur le long terme pour fixer une limite et déterminer la catégorie d’individus qui méritent une attention particulière.


L’Islam une nouvelle fois stigmatisé

Cela est triste à dire, mais c’est encore l’Islam qui ressort perdant de tout ceci. Les croyants se retrouvent une nouvelle fois montrés du doigt et stigmatisés alors même qu’ils tentent de pratiquer leur foi de manière digne. Il y a bien sûr les discours de certains intellectuels comme Jean Luc Mélenchon qui demandent aux populations de ne pas mettre à l’écart les musulmans pour ne pas entrer dans le jeu de l’État islamique. Et puis il y a ces autres discours, de personnes de terrain qui parlent du comportement ambigu de certains imams, de l’espace trop important qui a été laissé au développement de l’Islam dans certaines zones aux dépens de la laïcité ou encore du manque d’autorité de la France, qui a eu trop honte de son passé colonial pour imposer des limites. Et même si cela n’est pas dit, il est devenu difficile pour les musulmans de ne pas se dédouaner, de ne pas s’excuser, de ne pas chercher à montrer leur attachement aux valeurs de la République sous peine de passer pour des extrémistes, voire pire. Une telle situation est porteuse de problèmes beaucoup plus graves à terme et doit être réglée : il est temps d’amorcer un débat franc et sincère sur la place de l’Islam en France et sur les possibilités de son évolution harmonieuse.

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Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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