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Les ramifications de la politique africaine de la Chine

Echkoundi Mhammed,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.Hicham Hafid,Professeur d’économie ˆ l’Université Mohammed V Institut des études africaines.Otando Gwenaelle,Enseignante chercheur à l'Université d'Artois (France)

Les ramifications de la politique africaine de la Chine

La Chine se soucie de plus en plus de son image en Afrique et le prochain forum Chine-Afrique peut constituer un tournant dans les relations Chine-Afrique.

Les dix dernières années ont vu les relations Chine-Afrique croître d’une manière exponentielle sous les auspices du Forum Chine-Afrique inauguré en 2000 et qui est devenu le mécanisme institutionnel de dialogue Chine-Afrique ou bien entre la Chine et les Afriques, tant les pays africains sont partagés et divergents en matière de négociation avec les puissances.

La Chine : une nouvelle puissance dont le système industriel a échappé à la crise structurelle de l’économie mondiale
L’industrialisation rapide de la Chine, qui fait partie des rares pays en développement à avoir pu reproduire le modèle classique d’industrialisation (industries industrialisantes basées sur la mise en place des usines), un modèle qui semble avoir épuisé toutes ses capacités, au vu du décrochage industriel qui s’opère en Occident et de la désindustrialisation prématurée (Dani Rodrik) qui a actuellement lieu dans les pays nouvellement industrialisés. En d’autres termes, la Chine a tiré profit d’une croissance mondiale rapide tirée par une demande forte et une population jeune qualifiée et bon marché. Chose qui devient difficile pour les pays qui entament à peine leur processus classique d’industrialisation. Autrement dit, la conjoncture internationale morose empêche la reproduction «clef en main» des modèles industriels ayant fait leur efficacité par le passé et la Chine fait partie des rares pays ayant réussi cette prouesse, en raison des efforts déployés par le passé, aussi bien d’un point de vue économique qu’institutionnel. Ce n’est pas fortuit que le modèle chinois soit scrupuleusement scruté par les pays africains, asiatiques et latino-américains ayant fait de la diversification et de l’industrialisation une stratégie de développement et de sortie de l’économie de rente. La crise actuelle que traversent plusieurs pays africains, en raison de la chute brutale des prix de pétrole, ne fait que remettre au goût du jour la question de la diversification de la structure économique. Dès lors, des pays comme l’Angola, la Zambie, le Nigéria, le Gabon, etc., font de la question de la diversification une priorité au niveau des politiques de développement.

Les relations commerciales Chine-Afrique en constante évolution
Les relations commerciales Chine-Afrique ont connu une évolution fulgurante ces dernières années, dans la mesure où elles sont passées en l’espace de 13 ans de 10 milliards en 2000 à 240 milliards de dollars américains en 2013, soit une augmentation de plus de 2300%. Ce qui a fait passer la part de la Chine dans les échanges commerciaux de l’Afrique de 3,82% en 2000 à 16% actuellement. La Chine a supplanté les États-Unis d’Amérique en 2009 en devenant le premier partenaire commercial de l'Afrique. Aussi, l’Afrique représente 5% dans les échanges commerciaux de la Chine et celle-ci représente 16% dans les échanges commerciaux de l’Afrique.

Des IDE chinois fortement concentrés sur les ressources naturelles et les infrastructures
Il en est de même en ce qui concerne les investissements directs étrangers (IDE) chinois en Afrique qui sont passés de 500 millions de dollars à 3,7 milliards de dollars en 2014, en termes de flux annuels, avec une évolution annuelle de 20,5% (Yun Sun, 2014). Le stock total des investissements chinois en Afrique est de l’ordre de 32 milliards de dollars. Ces investissements se focalisent essentiellement sur les ressources naturelles, les infrastructures et les Télécommunications. Ils se concentrent principalement dans les pays africains richement dotés en ressources énergétiques et minières, malgré le fait que la Chine essaie de se départir de cette image en mettant en valeur l’idée que ses investissements profitent aussi aux pays africains dépourvus de ressources. De même, d’après les institutions officielles chinoises, qui se basent sur les analyses de Ernest et Young (2015), La Chine est classée septième investisseur en Afrique juste après la France et l’Allemagne. La première position est occupée par les États-Unis d’Amérique, alors que la deuxième revient simultanément au Royaume-Uni et à l’Afrique du Sud.

L’Intérêt grandissant de la Chine pour l’Afrique a-t-il contribué à améliorer les perceptions mondiales du continent ?
Par rapport aux forces de maintien de la paix, la Chine fait partie des pays les plus impliqués en contribuant par plus de 2.700 soldats et une présence dans 5 pays, à savoir la Somalie, la Sierra Leone, le Libéria, le Mali et le Sud-Soudan. Il convient de souligner aussi que la Chine contribue majoritairement au financement et à l’investissement dans les infrastructures en Afrique. Ce qui permet à certains analystes, et pas des moindres, d’en conclure que la Chine, de par cette contribution au financement des infrastructures, a amélioré les perceptions de l’Afrique au niveau mondial «People now see Africa as a continent full of vitality that plays a critical role in the global and economic landscape» (ambassadeur de la Chine au Kenya).

L’aide publique au développement de la Chine à l’Afrique : instrument au service de la diplomatie économique chinoise ou bien de développement de l’Afrique
L’aide publique au développement constitue un des piliers de la politique africaine de la Chine. En effet, l’Afrique a reçu, fin 2014, plus de 51,8% de l’aide publique chinoise, à en croire les statistiques fournies par les institutions chinoises. Quelle est la nature de cette aide et est-elle vraiment dépourvue de conditionnalités ? Par rapport à la nature de l’aide chinoise apportée à l’Afrique, il s’agit, selon les analystes, de 8 types d’aides, à savoir les projets complets, les biens, la coopération technique, la coopération au développement des ressources humaines, l’assistance médicale, l’urgence humanitaire, les programmes de bénévolat et l’allégement de la dette (Yun Sun, 2014). Concernant les domaines de coopération, il s’agit principalement de l’agriculture, l’éducation, le transport, l’énergie et la santé. Force est de constater que la Chine donne plus d’importance à la coopération technique dans ses relations avec l’Afrique, dans la mesure où ses engagements financiers sur le continent prennent la forme de prêts remboursables à long terme. Ainsi, entre 2009 et 2012, La Chine a fourni 10 milliards à l’Afrique sous forme de financement de prêts concessionnels ainsi que des prêts sans intérêts. Ces engagements ont atteint les 20 milliards sur la période allant de 2012 à 2015. Selon les institutions officielles chinoises, la Chine aura accordé à l’Afrique 1.000 milliards de dollars d’ici 2025 de financement sous forme d’IDE, de prêts bonifiés et de prêts commerciaux.

Force est de reconnaître que la nature de l’aide chinoise à l’Afrique fait l’objet de critiques et de débats houleux dans la mesure où malgré le fait que son aide n’est pas soumise à des conditions politiques, celle-ci n’en reste pas moins liée en prenant la forme de deals infrastructures-octroi du marché aux entreprises chinoises ou bien infrastructures-pétrole, prêts bonifiés-contrats d’exploitation ou d’infrastructures, etc. Ce qui veut dire que la Chine met à mal certaines réglementations étatiques liées à des procédures de passation des marchés. Ce qui est de nature à remettre en cause les acquis du passé liés à la bonne gouvernance. De même, la Chine, en accordant des prêts à certains pays africains, les aide à mettre en place des projets d’infrastructures qui n’auraient pas pu voir le jour en raison de la réticence des institutions financières internationales à octroyer des crédits à long terme à certains pays africains. Ainsi, l’aide chinoise apparaît comme étant salvatrice. Somme toute, la Chine décide de ne pas se mêler des affaires politiques des pays africains, en adoptant le principe de la «gouvernance neutre». Après tout, c’est aux dirigeants africains de faire la synthèse entre la «gouvernance neutre» prônée par la Chine et «la bonne gouvernance» dictée par les pays occidentaux. La situation actuelle que vivent les pays africains avec la diversification des partenaires donne un large écho au proverbe camerounais : «Quant une porte se ferme, dix autres s’ouvrent», mais pour combien de temps encore ? C’est à l’État africain «stratège», si il en est un, de faire avec moult précautions la synthèse des deux modèles en vue d’en dégager une stratégie de développement et non «d’enveloppement» ou bien d’enfoncement dans la crise. Le Chemin de fer Tanzanie-Zambie construit avec un prêt sans intérêt, accordé par la Chine constitue le monument historique de l’amitié sino-africaine (Zhang Qingmin, 2010).

La diplomatie économique chinoise en Afrique
Même si les activités promotionnelles des exportations et des investissements chinois en Afrique sont assurées par le ministère du Commerce, la diplomatie chinoise accorde une place importante à l’Afrique ces dernières années. Ceci est perceptible dans le soutien aux entreprises publiques pour remporter des contrats en se servant de la politique d’octroi des crédits à taux bonifiés et à long terme ainsi que la création des opportunités d’affaires pour les entreprises chinoises opérant dans le secteur des services. Il convient de souligner, à cet égard, que l’Afrique est considérée comme le deuxième fournisseur de la Chine en matière de contrats de services. La diplomatie économique chinoise profite largement aux entreprises publiques chinoises. Somme toute, l’aide et le financement accordés par la Chine à l’Afrique sont considérés comme des instruments de la diplomatie économique chinoise en ce qu’ils contribuent à créer des opportunités d’affaires pour les entreprises chinoises et du travail pour les travailleurs chinois.
Malgré le principe de non-ingérence dans les affaires politiques des pays africains, l’aide accordée par la Chine à l’Afrique est motivée à la fois par la création des opportunités économiques pour des entreprises publiques très concurrentielles, avides de remporter des marchés en terre africaine, ainsi que par le développement des pays africains par le biais de la coopération technique, la formation des ressources humaines et les infrastructures qui font tant défaut à l’Afrique. De même, les projets chinois en Afrique visent :
• L’accès aux ressources naturelles africaines.
• L’accès aux marchés.
• La création des opportunités d’affaires.
• La défense et le soutien de l’ordre du jour de la Chine dans les forums mondiaux.
La Banque chinoise d’import et export joue un rôle important dans la diplomatie économique chinoise en finançant les infrastructures construites par des entreprises chinoises.

Le prochain forum Chine-Afrique : enjeux et attentes
La Chine, dont la présence en Afrique est de plus en plus remarquable, aussi bien d’un point de vue qualitatif (couverture diplomatique et médiatique et nombre de visites effectuées par le Président chinois), que quantitatif (commerce, investissements et aides financières), semble résolument déterminée à conforter sa présence dans le continent africain tout en cherchant à se défaire de l’image négative «du pays intéressé exclusivement par les ressources naturelles africaines», associée à sa politique africaine. En effet, les engagements récents en faveur de l’accroissement de l’aide publique au développement et de la coopération technique à destination de l’Afrique et l’intérêt grandissant des entreprises chinoises pour des domaines tels que les énergies renouvelables en disent long sur la volonté de ce pays d’améliorer les perceptions mondiales de la Chine en Afrique.
Par ailleurs, de 2000 à 2014, la présence chinoise en Afrique s’est largement matérialisée dans le domaine des infrastructures. Dans les autres domaines, à l’instar de la transformation des ressources et la formation des ressources humaines, les attentes africaines en la matière semblent n’avoir pas été satisfaites. Le statut de l’Afrique dans la division internationale du travail n’a pas changé, dans la mesure où elle continue à exporter des produits de base sans aucune valeur ajoutée. Alors que la question de la diversification devient vitale pour les économies africaines dans un contexte mondial marqué par la crise économique (contraction de la demande adressée aux pays africains) et l’essoufflement des anciennes politiques industrielles. En effet, les pays africains ont besoin de redéfinir leurs politiques industrielles pour s’inscrire dans une logique mondiale de «Made in World». Autrement dit, l’industrialisation des pays africains devrait se faire par le biais de l’insertion dans la chaîne de valeur mondiale. En la matière, la Chine, grâce à des investissements stratégiques, peut aider les pays africains à se spécialiser dans certaines niches industrielles. Saura-t-elle et voudra-t-elle le faire ?
La réponse à cette question est d’autant plus importante que l’Afrique, tout calcul fait, ne reçoit que 3% des IDE chinois. En effet, la grande part des IDE chinois va vers l’Asie. Peut-être que c’est là où se joue l’avenir de l’économie mondiale, chose que Chinois et Américains semblent avoir bien comprise. Le prochain Forum Chine-Afrique, qui aura lieu à Johannesburg, sera de nature à nous éclairer sur la manière dont la Chine compte participer à la transformation structurelle des économies africaines. Si les Chinois se targuent d’avoir contribué à améliorer les perceptions mondiales de l’Afrique, il leur appartient, aussi, de montrer concrètement en quoi le modèle chinois est différent des autres.

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