Menu
Search
Jeudi 25 Avril 2024
S'abonner
close
Jeudi 25 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Spécial Elections 2007

«Certaines candidatures visent un contrôle régional de la FIFA»

Sur les cinq candidats en lice pour la présidence de la FIFA, Jérôme Champagne est celui qui connait le mieux cette institution pour y avoir travaillé pendant onze ans. Cet ancien diplomate, qui se définit comme un candidat indépendant, veut rééquilibrer le football mondial. Dans cet entretien exclusif accordé au «Matin», Champagne s’engage à doubler l’assistance financière pour les 100 fédérations les plus pauvres au monde et à octroyer une sixième place en Coupe du monde à l’Afrique, sans augmenter le nombre de pays participants.

«Certaines candidatures  visent un contrôle régional  de la FIFA»

Le Matin : Vous avez été au Rwanda la semaine dernière pour chercher le soutien de la Confédération africaine de football (CAF), mais celle-ci a annoncé qu’elle apportait son soutien entier au candidat Cheikh Salman du Bahreïn. Est-ce que le protocole d’entente signé il y a quelques semaines entre la CAF et la Confédération asiatique de football (AFC) est pour quelque chose dans cet appui ?
Jérôme Champagne : Non, je ne fais pas ce genre de spéculation. J’ai bien sûr pris connaissance de la décision du comité exécutif de la CAF. Je suis déçu par cette décision parce que je crois que je suis quelqu’un qui est très proche de l’Afrique et qui a fait beaucoup pour le développement du football dans le continent. Comme vous le savez, l’élection du président de la FIFA passe par les fédérations nationales. Ce sont elles qui votent. Certes, les recommandations des Confédérations sont importantes, mais elles ne sont pas décisives. Rappelez-vous bien, en 1998, quatre Confédérations sur six avaient décidé de soutenir Lennart Johansson, président de l’UEFA de l’époque, contre M. Blatter, secrétaire général de la FIFA, avec un potentiel de voix de 150, mais finalement M. Johansson n’a eu que 80 voix. Je crois que ce soutien n’est pas une étape décisive.

Dans quel climat se déroule la campagne électorale entre les cinq candidats ?
Comme vous le savez, je ne bénéficie pas du soutien des appareils mis au service de certains candidats. L’Union européenne des associations de football (UEFA) a voté un budget qui permet à son secrétaire général de se déplacer en avion privé avec des agences de communication payées par l’UEFA. Vous avez aussi d’autres candidats soutenus directement par leurs gouvernements. Il y a de toute façon un déséquilibre. Mais ce qui compte, ce sont les idées, les visions et les expériences. On verra bien ce qui va se passer le 26 février.

Vous venez de dire que certains candidats bénéficiaient du soutien direct de leurs gouvernements. Qu’est-ce que ça vous fait d’être privé de celui de Noël Le Graët, président de la Fédération française de football, qui soutient ouvertement le candidat de l’UEFA, Gianni Infantino ?
Il faut savoir que le président de la Ligue professionnelle, les représentants des joueurs français et le secrétaire d’État au sport se sont exprimés tous en ma faveur. Voilà, c’est une situation un peu complexe, je ne me pencherais pas sur les raisons. Je veux simplement vous rappeler qu’en 1998, M. Blatter a été élu président de la FIFA sans le soutien de la Fédération suisse.

Êtes-vous confiant sur l’issue du scrutin, même si vous ne bénéficiez pas du soutien de la Fédération française et malgré le peu de moyens dont vous disposez par rapport aux autres candidats ?
Vous savez, une élection se décide toujours au dernier moment. Et donc, il va se passer sans doute d’autres choses. On verra bien. Et puis ne l'oubliez pas, il y a aussi les relations qui se nouent au moment des discours des candidats au congrès de la FIFA. Il reste 18 jours de campagne. C’est une campagne qui se décidera au dernier moment.

Les cinq candidats semblent mettre en avant le thème de la transparence. Comment comptez-vous vous démarquer de vos concurrents ?
Plusieurs choses me différencient des autres candidats. D’abord, je suis un candidat indépendant des intérêts. Je ne suis lié ni aux représentations des grands clubs ni au service d’une Confédération. J’ai travaillé 11 ans à la FIFA, je suis au service d’une vision mondiale de la FIFA qui fait qu’elle est au service de tous les continents et de toutes les structures et que personne ne puisse la contrôler. Et on voit bien que parmi les candidatures qui émergent certaines sont clairement dans une volonté de contrôle régionale de la FIFA et des intérêts régionaux. La deuxième raison, c’est que moi j’ai l’expérience de la FIFA. Tous les autres candidats ont l’expérience des fédérations nationales ou simplement celle d’assister à des réunions du comité exécutif de la FIFA. Moi, j’ai l’expérience de l’intérieur de la FIFA. Enfin dès 2012, j’ai envoyé un document aux Confédérations intitulé «Quelle FIFA pour le 21e siècle» où je mettais en avant les réformes à adopter. Aujourd’hui, toutes ces réformes ont été reprises. Je suis le seul des cinq à mettre l’accent sur la nécessité de rééquilibrer les inégalités à l’intérieur de notre sport. Il y a aujourd’hui plus d’argent dans le football africain qu’il y a 20 ans, mais l’écart avec l’Europe s’est accru. Cela veut dire que le continent africain continue à fournir la matière première footballistique qui est valorisée par les autres. En gros, un très bon talent marocain va partir très vite vers l’Europe. Pour continuer à le voir jouer, il va falloir acheter les droits TV des compétitions européennes. Au même moment, aucune somme d’argent ne sera réinvestie dans le football local. On est donc dans un système économique qui est profondément injuste et qui est au service de cette minorité de 1% de fédérations de ligues, de clubs et de joueurs qui reçoivent tout, alors que le reste du monde souffre. J’habite à Zurich, à 200 mètres de chez moi, il y a une aide de jeu avec six pelouses, dont cinq naturelle et une synthétique, c’est-à-dire autant que dans l’ensemble de la République démocratique du Congo.
La différence entre moi et mes opposants, c’est que je suis le seul à mettre l’accent sur la nécessité de rééquilibrer le football mondial.

Dans une lettre que vous avez envoyée aux fédérations internationales en 2014, intitulée Hope for Football, vous avez défendu une vision équitable du football en combattant une libéralisation à outrance du sport. Est-ce que vous allez mettre à exécution les idées que vous aviez défendues dans cette lettre ?
Ceux qui me connaissaient durant les années que j’ai passées à la FIFA savent la fidélité de mon engagement à cette idée. Comme vous le savez, avant, quand j’étais à la FIFA, j’ai beaucoup travaillé sur les programmes de développement. J’ai aussi travaillé sur les règlements pour permettre le rééquilibrage, notamment sur les joueurs binationaux. Avant, quand un joueur binational jouait par exemple quelques minutes en équipe de France U17, sa carrière internationale était définitivement bloquée. On a modifié les choses pour permettre aux binationaux de rejouer dans l’équipe nationale de leur autre pays d'origine, puisque les binationaux ont deux pays. L’engagement que j’ai pris est une conviction profonde. La conviction qui m’a motivé pendant les 11 ans que j’ai passés à la FIFA. Je peux vous assurer que c’est d’ailleurs le thème de ma campagne : «Rééquilibrer le jeu dans un 21e siècle globalisé». Je suis le seul candidat qui dit que nous avons un problème aujourd’hui. On le voit bien en France où le Paris Saint-Germain compte 23 points d’avance. On le voit aussi en Grèce où L’Olympiacos a déjà quasiment remporté le championnat. Regardez ce qu'est devenu le football européen. Avant la chute du mur de Berlin, le football était homogène. C’était possible pour un club roumain ou hollandais d’être champion d’Europe. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Donc il faut travailler sur ces questions-là.

Si vous êtes élu président de la FIFA, quel sera votre programme pour le football africain ?
Je vais doubler l’assistance financière pour les 100 fédérations dans le monde qui ont des problèmes financiers. J’ai également annoncé un programme de construction de 400 pelouses artificielles à travers le monde. Bien évidemment, sur les 400, l’Afrique en recevra la majeure partie. Pour beaucoup d’équipes et beaucoup de clubs, le problème est d’avoir des infrastructures de qualités. D’autre part, je souhaite créer à l’intérieur de la FIFA une division de football professionnel dont le travail sera de transmettre le savoir-faire à travers le monde. Le défi pour les quinze prochaines années sera d’aider les fédérations à aider leurs clubs à mieux se structurer et à mieux se positionner sur la formation. Je souhaite renforcer cette transmission de savoir, de vision du football professionnel. Je souhaite augmenter le nombre de places de l’Afrique à la Coupe du monde. Je ne suis pas en faveur de la Coupe du monde à 40 équipes, parce que c’est trop cher et trop compliqué. Je souhaite donner à l’Afrique une sixième place, car elle le mérite. On l’a vu au Brésil, pour la première fois dans l’histoire, on a eu deux équipes africaines en huitième de finale et à quelques minutes près, nous en aurions eu trois.

Vous êtes contre une Coupe du monde à 40 équipes, où allez-vous chercher cette sixième place que vous voulez accorder à l’Afrique ?
Il faut en permanence s’adapter au monde. Il y a une place disponible, c’est celle du pays hôte. Jusqu’à une vingtaine d’années, la place du pays organisateur était comptabilisée dans le quota du continent. Si on récupère cette place-là, on peut effectivement rendre justice à l’Afrique.

Sepp Blatter, ancien président de la FIFA, a établi le système de rotation pour permettre à l’Afrique d’organiser la Coupe du monde, un système abandonné aujourd’hui. Allez-vous remettre ce système sur les rails si vous êtes élu ?
Je suis favorable au retour au système de rotation. J’ai été conseiller de M. Blatter en 2000, quand l’Allemagne avait gagné contre l’Afrique du Sud dans des conditions controversées. Quelque temps après, M. Blatter a convoqué un congrès de la FIFA pour faire approuver la rotation continentale. Je suis favorable à ce système. D’autre part, pour la Coupe 2026, trois continents auront le droit de présenter leurs candidatures : l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord et l’Afrique. Comme l’Amérique du Sud visera sans doute la Coupe du monde 2030, je crois qu’il y a des possibilités très fortes pour l’Afrique pour se positionner sur la Coupe du monde 2026. Maintenant, comme la Coupe du monde 2010 a eu lieu en Afrique du Sud, je crois que l’Afrique du Nord, et le Maroc au premier chef, sera dans une position de favori. Le Maroc est un pays qui a énormément ouvert les portes de l’Afrique pour la Coupe du monde. Il est le premier pays à se qualifier en 1970. Il est le premier pays à atteindre le stade des huitièmes de finale en 1986. Le Maroc a présenté quatre fois sa candidature pour la Coupe du monde. Je pense qu'il mérite de l’organiser.

Si vous êtes élu président de la FIFA, allez-vous rendre public «le rapport Garcia» ?
J’ai demandé à ce que le rapport soit publié en protégeant les sources, c’est-à-dire les gens qui ont été cités. Je crois que pour restaurer l’image de la FIFA, il faudra progresser dans ce domaine-là.

Que pensez-vous des réformes engagées par la FIFA ?
Certaines de ces réformes, c’est moi qui les ai réclamées. J’ai demandé par exemple à ce que le poids de l’Europe dans le comité exécutif soit réduit. Et comme vous le savez, dans la réforme, ce poids doit être ramené de 33 à 25% au sein du comité exécutif. J’ai plaidé pour rendre le processus électoral sous l’autorité de la FIFA et ça va être fait. J’ai réclamé que la représentativité féminine soit plus forte, ça va être fait. J’avais aussi réclamé que l’on sépare les fonctions de gouvernement de la FIFA des fonctions commerciales, pour notamment avoir des appels d’offres sans aucune contestation. Il y a des domaines où on ne va pas loin. Je souhaite que les représentants des clubs et des joueurs soient au comité exécutif. Cette mesure n’a pas été acceptée. Tout cela est bon sur le papier, mais il faudra attendre pour voir comment cela va être appliqué. S’il y a une réforme que je n’apprécie pas, c’est celle qui consiste à réduire les compétences du président de la FIFA, parce que c’est la seule personne à être élue au niveau mondial et qui a donc une légitimité universaliste. Il faut donc protéger les compétences du président de la FIFA.

Est-ce qu’un éventuel retrait de votre candidature en faveur d’un autre concurrent est envisageable ?
Ce genre de démarche politicienne n’est pas, à mon avis, du niveau de la FIFA. C’est ce genre de manœuvre politicienne qui a conduit la FIFA à la situation où elle se trouve aujourd’hui. Je crois qu’il faut avoir une stratégie claire avec des visions claires. Vous savez, dès 2012, j’ai mis sur pied une vision de ce qu’on devait faire pour à la fois garder ce qui a été bien fait pendant quarante ans et réformer ce qu’on doit réformer. 

Lisez nos e-Papers