Menu
Search
Jeudi 28 Mars 2024
S'abonner
close
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Entre afro-optimisme et afro-pessimisme

Hicham HAFID, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat Mhammed ECHKOUNDI, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat

Entre afro-optimisme et afro-pessimisme

Faut-il désespérer de l’avenir d’un continent faisant l’objet de toutes les convoitises ? L'Afrique, après avoir fait l'objet d'analyses marquées par l'émerveillement devant les dynamiques économiques et politiques que connaissent les pays du continent, et ce depuis l'orée des années 2000, semble, à en croire les travaux de nombreux spécialistes, retomber dans les travers et l'impasse caractéristique de la période avant et post ajustement structurel.

Les derniers ouvrages parus ces deux dernières années sur l'Afrique se veulent des cris d'alarme pour l'avenir du continent, qui est, selon leurs auteurs (Lugan, Michailof et Brunel), en perte de vitesse, voire condamnée, dont le développement relève de l'impossible dans la mesure où l'industrialisation n'a pas eu lieu et reste en butte à des problèmes structurels : un taux de change dissuadant toute stratégie d'industrialisation et une population de plus en plus nombreuse qui double tous les 20 ans, contrairement au PIB qui ne double que tous les 40 ans. De même, les auteurs de ces ouvrages, qui versent à cor et à cri dans le déclinisme africain, mettent en avant des arguments tels que la dégradation des conditions sécuritaires, humanitaires, écologiques et institutionnelles au Sahel. Ce qu'ils qualifient d'«Africanistan» par analogie à la situation chaotique de l'Afghanistan. Force est de constater que le Sahel constitue le point focal de toute réflexion nourrissant l'afro-pessimisme. Comme si l'Afrique se résumait à la situation actuelle qui prévaut dans la bande sahélo-saharienne. Il est opportun de souligner, à cet égard, qu'au-delà de la situation au Sahel qui, certes, devient de plus en plus inquiétante devant l'incapacité de certains pays, à l'instar de Nigeria (un géant africain tant du point de vue démographique qu'économique), de rétablir l'autorité de l'État et le vide que cela laisse pour que des mouvements extrémistes montent en puissance et prolifèrent au nord du Nigeria, à l'ouest du Tchad, à l'extrême nord du Cameroun, en Libye et en Somalie. Cela est d'autant plus préoccupant que ces mouvements remettent en cause le principe de la souveraineté de l’État et renforcent par là sa vulnérabilité. Effectivement, la vulnérabilité de l’État en Afrique est une question cruciale qui nécessite une conjugaison des efforts de l'Union Africaine et des institutions internationales, afin d'arrêter le phénomène «d'externalités négatives» où la frontière, passablement poreuse, devient le vecteur par lequel se transmet la vulnérabilité d'un État à un autre. En effet, la dégradation des conditions sécuritaires dans certaines zones africaines, dans un contexte de vulnérabilité croissante de l’État, voire des États, a tendance à occulter le dynamisme économique, politique et social que connaissent de nombreux pays africains.

En effet, seulement 60 ans se sont écoulés après l'indépendance des États africains, et les résultats atteints, en si peu de temps, comparativement à l'héritage d'un colonialisme d'exploitation qui avait mis en place, pour servir sa logique, des institutions extractives pour reprendre la terminologie d’Acemoglu. Quels que soient le point de vue et l'angle d'observation, l'Afrique a connu des évolutions notables aussi bien d'un point de vue politique, économique que social.

Est-ce la dictature du court terme qui donne du crédit à cette perception négative de l'Afrique ?
Des efforts importants ont été déployés par les pays africains dans la direction de la diversification de la structure productive, de développement humain et de mise en place des infrastructures. Peut-être que l'évolution démographique que connaît le continent annihile ces efforts et donne l'impression que l'Afrique n'avance pas. Il suffit de sillonner les pays du continent et d'y faire des séjours immersifs pour constater l'ampleur des avancées et des progrès accomplis. De même, les indicateurs sur lesquels on se base pour dire que tel ou tel pays avance ou régresse, et principalement ceux liés à la pauvreté, doivent être revus et adaptés aux spécificités culturelles des pays. Force est de constater que lorsque l'on compare la situation de l'Afrique aujourd'hui avec celle des pays occidentaux (qui ont amorcé leur processus de développement économique et politique depuis le milieu du XVIIe siècle), l'on remarque que le développement ne se décrète pas du jour au lendemain et que les institutions sont le fruit d'un processus politique mettant du temps à évoluer et à se stabiliser. L'Afrique a ceci de particulier qu'on la juge constamment sur pièce, sans tenir compte de l'importance du long terme dans la concrétisation de toute vision «développementiste», aussi bien d'un point de vue institutionnel, économique que stratégique. A contrario, on exige de l'Afrique des résultats immédiats sans se soucier de la prospective et de la portée stratégique des politiques de développement mises en place ici et là par les dirigeants africains. En d'autres termes, l'Afrique a été le laboratoire vivant de plusieurs théories de développement et un champ d'expérimentation d'une panoplie de modèles, sans qu'elle ait eu l'opportunité de développer son propre modèle. On a beau dire que le discours africain est victimaire et consiste à rejeter la responsabilité de l'échec de l'Afrique sur les autres, mais la réalité, elle est ce qu'elle est. Après avoir imposé aux pays africains des recettes magiques de développement, on songe désormais à aider les pays africains à se doter de bonnes institutions, à partir du moment où la question de la vulnérabilité de l'État et la faiblesse des institutions devient récurrente.

Il est important de souligner au passage que tout scrutateur de l'évolution de l'Afrique lit les réalités africaines avec des lunettes qui lui sont propres. Il est normal que lorsque l'on compare les institutions d'un pays comme les États-Unis (qui sont la résultante d'un processus ayant débuté avec le colonialisme de peuplement qu'avait mis en place le Royaume-Uni dans les années 1700) avec celles de l'Afrique, qui ne datent que de quelques années (70 ans au plus), on ait tendance à désespérer de l'avenir de l'Afrique.

L'afro-optimisme malgré tout
Face à cet afro-pessimisme qui ne cesse de prendre de l'ampleur au regard de certains phénomènes liés à l'insécurité grandissante et à la tendance à l'émigration et/ou à la radicalisation des jeunes, de plus en plus nombreux par ailleurs, en proie au désespoir, l'état de l'Afrique, à bien des égards, appelle à l'optimisme. En effet, les dix dernières années ont vu de nombreux pays africains s'engager sur des stratégies de développement basées sur la création des infrastructures, le renforcement des institutions, l'investissement dans le développement humain et l'intensification de la coopération dans des domaines liés à la valorisation de l'agriculture et la transformation des ressources in situ. Il s'agit de stratégies ambitieuses qui ne tarderont pas à porter leur fruit. De même, le nombre important de cadres africains faisant partie de la diaspora qui regagnent leurs pays est la marque indélébile de la confiance qu'ils placent dans le développement du continent. Par-delà les raisons liées aux nouvelles dynamiques de développement économique, politique et social que connaît l’Afrique actuellement, d’autres raisons et pas des moindres plaident en faveur de l’afro-optimisme. Il s’agit, entre autres :

• De l’engagement politique des jeunes à travers les réseaux sociaux, la société civile ou les partis politiques. En effet, au Burkina Faso, au Sénégal, au Maroc, en Afrique du Sud, au Cameroun, les jeunes émergent comme de nouvelles forces de changement. Ce qui est de nature à apporter du sang neuf au débat politique et celui des idées dans des sociétés où les partis politiques semblent d’être à bout du souffle et à court d’idées nouvelles caractéristiques de la nouvelle ère, qui est celle de l’économie numérique. En effet, les jeunes, de par le dynamisme qu’ils incarnent, peuvent jouer un rôle moteur dans le renforcement de la citoyenneté plutôt que de l'ethnicité, le renforcement du sentiment d’appartenance à la Nation plutôt qu’à l’ethnie. En d’autres termes, l’investissement de l’espace public et politique par les jeunes peut être un vecteur du changement majeur susceptible de jouer un rôle clef dans le renforcement de l’État des institutions et de l’entrepreneuriat.

• La politique de la survie : en effet, face au poids important de la pauvreté, les populations africaines ont développé, de longue date, des stratégies de survie basées sur la débrouillardise et l’entrepreneuriat informel. Effectivement, l’informel joue un rôle important en Afrique dans la lutte contre le chômage et la pauvreté. Ces expériences peuvent être capitalisées dans le cadre des stratégies de lutte contre la pauvreté mises en place actuellement par nombre de pays africains. Cette économie de la débrouillardise fait que l’écart entre la pauvreté monétaire telle qu’elle est calculée par les institutions et la réalité ressentie par les populations soit important. Donc, quand certains analystes avancent l’idée que l’Afrique concentre le plus important nombre de pauvres au monde, il faut souligner de quelle pauvreté nous parlons.

• La prise de conscience de certains dirigeants africains du rôle de la diversification des partenaires, de l’investissement dans le capital matériel et immatériel, de l’apprentissage par l’utilisation et la mise en place de certaines actions intégrées afin de promouvoir l’émergence et l’essor de certaines activités jugées stratégiques pendant une période de transition, le temps de s’ouvrir à la concurrence étrangère et de devenir compétitif à l’échelle internationale (le cas du Maroc, de l'Afrique du Sud, du Kenya, du Nigeria, etc.).

• Le renforcement de la coopération entre pays africains en matière d’échanges de connaissances, d’expériences et de bonnes pratiques se rapportant au développement. En plus de la tendance à la mise en place des stratégies de «codéveloppement».

• L’émergence d’un nouveau cadre de partenariat public-privé (PPP), qui est devenu dans certains pays africains un vecteur majeur pour se détacher des bailleurs de fonds, du renforcement des capacités de financement de certains projets structurant et d’amélioration des capacités de négociation des pays africains en matière de signature de contrats avec d’autres partenaires.

• La diversification des partenaires de développement et l’orientation des investissements directs étrangers par le biais de la production des incitations.

• L’investissement massif dans les infrastructures routières, aéroportuaires et portuaires.

• Le développement considérable du secteur financier, qu’il s’agisse des banques ou des marchés financiers.

Lisez nos e-Papers