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Entre divergence des positions et collusion d’intérêts : nécessité d’une évolution dogmatique pour la relance de l’Union

Par Rabii Leouifoudi,chercheur en économie territoriale et en géopolitique

Entre divergence des positions et collusion d’intérêts :  nécessité d’une évolution dogmatique pour la relance de l’Union

Tunis a accueilli, le 5 mai courant, la 34e session du Conseil des ministres maghrébins des Affaires étrangères. Dans un climat marqué par la crise libyenne complexe et les divergences de vues intramaghrébines par rapport aux propre et proche contextes géopolitiques, l'espoir mitigé suscité par ce rendez-vous souligne de nouveau la nécessité de repenser la base et la philosophie, et des diplomaties nationales et de la diplomatie commune au sein du Maghreb. Cela est urgent pour la relance du chantier unioniste maghrébin.

Des diplomaties pour le Maghreb

Le 34e Conseil des ministres des Affaires étrangères des 5 pays du Maghreb n’a pas dérogé à son classique aspect, cérémoniel et infécond. Le seul fait marquant aura été la nomination de l’ancien ministre tunisien des Affaires étrangères, Taïeb Bakkouche (72 ans), au poste de secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA), à la place de Lahbib Benyahia (77 ans), qui y a passé une dizaine d’années (pour un mandat de 3 ans à l'origine). Sans réellement peser sur le cours des événements ni sur la consistance des actions, M. Benyahia quitte son poste avec une nette impression d’inertie face à une situation inextricable faite de divergences et de confrontations entre les gouvernements maghrébins. L’essence du rôle confié au SG de l’UMA étant de tout entreprendre pour surmonter les obstacles à la construction maghrébine, nous assistons avec amertume à son incapacité à assurer un redémarrage effectif du processus d’édification du Maghreb. La réalisation de cet objectif, appelé des vœux des peuples maghrébins, est conditionnée à la volonté du Conseil des Chefs d’État maghrébins dont la dernière réunion remonte à 1994, triste année de la fermeture des frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc.

Vingt-deux ans plus tard, l’immobilisme du Maghreb dit «Uni» est toujours de mise sur fond de menaces terroristes pour toute la région, de tensions autour de la question du Sahara, d'attentisme inquiétant au sommet de l’État algérien, de situation sécuritaire et institutionnelle inédite en Libye, d'instabilité en Tunisie, de plusieurs frontières fermées (ou instables), et de crise économique et sociale généralisée sur l’ensemble des cinq pays avec toutes les conséquences que cela peut engendrer. Sans parler des accusations mutuelles de sabotage de la marche vers l’Union.

Que peut, face à un tel désastre, une nième réunion des chefs des diplomaties maghrébines ? La réponse à cette question ne peut en aucun cas être simplement binaire. Le fait que la réunion ait lieu est une preuve que, malgré tout, les États du Maghreb tiennent à ce qu’un cadre commun les rassemble. Cela est positif en soi, mais loin du seuil nécessaire à une vraie dynamique d’unification.

D’après le communiqué officiel du 5 mai 2016 à Tunis, l’on a rappelé «la nécessité de redonner un nouvel élan à l’édification du Maghreb uni, plaider en faveur d'une approche maghrébine pour faire face à la montée de la menace terroriste dans la région, réviser les textes juridiques et les mécanismes d'action de l'Union, et appelé à développer de nouvelles approches d'action pour sortir l'Union de l'immobilisme». Il s’agit malheureusement de vœux pieux que les diplomaties maghrébines respectives réitèrent depuis plus de vingt ans sans aucun résultat probant.

Et cela continuera ainsi tant que ces diplomaties useront des instances de la comateuse et quasi défunte UMA pour marquer des points les unes contre les autres. Les instances de l'Union sont théoriquement un espace pour instaurer un climat de coopération sincère, impulser des actions concrètes de complémentarité commerciale et d’intégration économique, élaborer les paradigmes communs d’une diplomatie maghrébine face aux contextes géopolitiques limitrophes ou lointains. Et ce avec comme seul intérêt : le bien commun des peuples maghrébins. Comment pourrions-nous bâtir une Union maghrébine, sur la base du texte fondateur de l’«UMA», avec l’animosité actuelle entre les gouvernements ? Ces derniers ne peuvent compter que sur leur intelligence collective pour avancer vers un réel Maghreb uni.

Tout en analysant le chemin parcouru par l’Union européenne, les États du Maghreb doivent prendre conscience des atouts de leur similitude culturelle, leur continuité géographique et leurs acquis historiques partagés. La complémentarité des spécificités naturelles et des spécialisations économiques peuvent constituer le «ciment» principal de l’édifice unificateur maghrébin. Et si, par ailleurs, nous devions adopter une approche graduelle d’intégration, nous n’attesterions son efficacité que lorsque l’ensemble de nos différends sera traité dans un esprit maghrébin tendant vers la citoyenneté et la souveraineté communes. La clairvoyance de nos aïeules, durant la lutte pour les indépendances, doit nous inspirer un peu plus que la rigidité des positions engendrées par la guerre froide. Ce sont là quelques ingrédients de base par lesquels les diplomaties maghrébines doivent concevoir une philosophie commune et des actions mutuelles. Il est temps que les États lancent les premiers jalons d’un nouvel ordre maghrébin basé sur le partage, la coopération et l’action diplomatique convergente.

Ceci s’avère encore plus nécessaire, compte tenu du «printemps maghrébin», dont les conséquences ne peuvent être ni minimisées ni ignorées. Les défis sécuritaires communs relatifs à la situation libyenne en sont la preuve la plus évidente. Et les diplomaties des États du Maghreb sont dans une période où la coopération active, quotidienne et permanente doit prévaloir sur les approches tactiques et stratégiques des moyen et long termes. L’Accord de Skhirate, étape importante de la réconciliation libyenne, aurait été plus impactant si les quatre autres gouvernements l’avaient accompagné et appuyé. Il aurait permis ainsi l’optimisation du temps et la conjugaison des efforts. Les Libyens ne s’en sortiraient que plus forts et confiants pour la construction d’un État solide, et avec la contribution du Maghreb dans son ensemble. Les instances de l’Union devraient constituer le cadre idoine pour un tel processus. Les exemples des différends à décortiquer sont aussi nombreux que complexes. Les tensions entre l’Algérie et le Maroc en sont une illustration flagrante. Ce n’est que dans le cadre et l’esprit de l’Union que la diplomatie pourra les conjurer.

Vers une diplomatie du Maghreb

Nous vivons dans une région maghrébine qui s’est toujours sentie protégée par son éloignement géographique du Moyen-Orient. Les instabilités complexes et multiples de cette partie du monde, ses crises, ses conflits et sa richesse en pétrole font d’elle une poudrière qui menace ses propres voisinages et des régions éloignées insoupçonnées. Les ramifications de ce contexte commençaient à impacter la stabilité de la région du Maghreb, d’une façon plus intense et directe, depuis la chute du bloc soviétique et le déclenchement de la première guerre du Golfe.

À cette époque (fin des années 1980), les épris du Maghreb se sont réjouis de la réaction officielle, à ce nouveau contexte, en lançant l’UMA à Marrakech le 17 février 1989. L’intelligence collective maghrébine avait pris le dessus, le temps d’une éclaircie, sur les divergences et les idéologies. Il faut dire qu’à ce moment-là, le choc de la chute de l’Est a été traumatisant et la visibilité des régimes qui y étaient affiliés n’était pas suffisamment nette.

Faute de solidité, l’édifice «UMA» ne résista ni à la profondeur des différends intramaghrébins, ni aux influences externes sur les décisions souveraines des États. L’extension de la violence terroriste au Maghreb n’avait guère facilité la marche vers une quelconque union maghrébine. Et durant, les deux dernières décennies, cette réalité avait pris des dimensions extravagantes : l’éclatement de l’Irak, de la Syrie et du Yémen, le terrorisme mutant vers une «version» inattendue et ses ramifications arrivant au plus profond des sociétés maghrébines et européennes, la décomposition de la Libye, les prix du pétrole en chute libre, et l’incapacité de l’ONU et de l’UE à trouver des solutions équitables, car seul l’intérêt de l’Occident prime de nos jours pour ces deux organisations. Nous sommes, nous maghrébins, en face d’une équation diplomatique et sécuritaire à plusieurs paramètres. Sa solution réside essentiellement dans l’intégration maghrébine à tous les niveaux.

Dans un tel contexte, il est temps pour nos diplomaties, et par conséquent nos États, de sortir du dogme régnant durant la guerre froide. Nous vivons dans un monde où seuls les intérêts économiques et financiers stratégiques des gouvernements comptent. Un monde où seules les voix des blocs unis, intégrés et puissants sont audibles. Que peuvent faire les pauvres pays maghrébins, pris séparément, face à la Chine, l’Inde ou la Russie ? Qu’ont-ils à apporter à la communauté internationale en termes d’innovations technologiques ou scientifiques ? Ont-ils conçu des réponses alternatives aux défis énergétiques et climatiques ? Quelles garanties détiennent-ils pour la résilience de leurs régimes financiers et monétaires en cas de crise majeure ?

Ce sont là quelques premiers éléments du caractère critique de la position des gouvernements maghrébins et les risques qu’ils font prendre à leurs populations en sombrant dans la désunion stérile.
Nous avons d'urgence besoin de courage politique pour lancer une vraie diplomatie maghrébine commune. Une telle instance planchera, pour l’intérêt de tous les Maghrébins, sur le rapprochement des positions au sujet des grandes questions internationales et la convergence des actions pour l’apaisement des tensions au sein et autour du Maghreb. Ce faisant, nous aurons ouvert une réelle brèche pour l’intégration graduelle maghrébine tant attendue. Celle-ci passera nécessairement et conjointement par l’économie et la diplomatie. Les logiques idéologiquement souverainistes qui présidaient, jusqu’à présent, à l’action des diplomaties pourront ainsi céder place à un Nouvel Ordre diplomatique maghrébin. L’intégration économique et le rapprochement entre les peuples maghrébins suivront aisément une telle démarche. Et le Maghreb aura enfin trouvé sa voie.


Diplomatie «Maghreb vs Europe» : s’inspirer d’un parcours peu évident

Rappelons-nous que l’Europe a été initiée par des nations qui, de manière parallèle, sortaient d’une des guerres les plus meurtrières de l’Histoire et d’une colonisation dont les séquelles survivent au temps. Et 60 après, les pays du Maghreb souffrent toujours de mal décolonisation : frontières aléatoires, vu le vaste continuum géographique, populaire et culturel qu’est le Maghreb, économies affaiblies et dépendantes des ex-puissances coloniales. Ingérences inavouées, mais réelles dans les évolutions institutionnelles propres à chaque pays et, drame suprême, aucune volonté de la part de l’Europe ou de ses États fédérés, jusqu’à aujourd’hui, de faciliter l’intégration maghrébine voulue et exprimée par les peuples dès avril 1958 à Tanger.
Les États du Maghreb ont grand intérêt à faire preuve d’intelligence historique en aplatissant incessamment leurs différends dans une approche horizontale de partenariat, de coopération et de complémentarité. Le Maghreb uni et démocratique est et restera une responsabilité des Maghrébins en premier lieu. Le temps où les gouvernements maghrébins se bousculaient aux portes de l’Europe pour négocier les partenariats, au détriment du voisin proche, doit laisser place à une feuille de route volontariste pour la construction irrévocable d’un Maghreb uni. Les projets «intégrateurs» sont déjà identifiés et stipulés par les pays du Maghreb eux-mêmes : énergies, infrastructures et communications, environnement et eau, justice et sécurité, convergence réglementaire économique et commerciale. Ce que la décolonisation a pu endommager, l’économie peut le reconstruire. L’intérêt des peuples du Maghreb doit primer toute autre considération. Il est plus que temps de s’y atteler.


Nécessaire construction du bloc maghrébin

Les cinq pays du Maghreb ont un poids économique marginal dans le paysage économique et commercial mondial. Les échanges intramaghrébins sont dérisoires et représentent moins de 3% des échanges extérieurs respectifs. Selon le FMI, la région du Maghreb perd entre 2 et 3% de croissance faute d’intégration économique et commerciale. Avec une population totale de 90 millions d’habitants, le PIB maghrébin global n’a pas dépassé, en 2014, les 420 milliards de dollars. L’UE a un PIB de 18.412 milliards de dollars pour une population de 500 millions d’habitants, soit une proportion du PIB maghrébin par rapport à l’UE d’environ 2%. Et même si les 5 pays du Maghreb décidaient aujourd’hui de réaliser l’intégration rêvée, on pourrait voir le PIB maghrébin multiplié, dans 5 ans, par trois, ce qui l'amènerait seulement au niveau actuel de la Corée du Sud.

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