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États-Unis, Chine et Russie  : puissances hégémoniques mondiales

Bouchra Rahmouni BenhidaProfesseur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

États-Unis, Chine et Russie  : puissances hégémoniques mondiales

Quand la guerre froide avait pris fin avec l’éclatement de l’Ex-URSS et la chute du mur de Berlin, le capitalisme triompha en érigeant une architecture mondiale unipolaire sous le lead des États-Unis d’Amérique. Les penseurs contemporains abondaient dans ce sens. En 1989, Zbigniew Brzezinski prévoit la fin de la perestroïka dans son livre «Le grand échiquier». En 1992, Francis Fukuyama publie «La fin de l’histoire» dans lequel il précise que la fin de la guerre froide peut être interprétée comme la victoire de la démocratie libérale.

À ce moment précis, et avec près de la moitié des dépenses militaires de la planète, les États-Unis produisaient 20% des richesses de la planète, se plaçaient à la tête des importateurs et occupaient le deuxième rang mondial des exportateurs. Les années 2000 n’étaient pas de très bon augure, la dette publique représentait le quart du total mondial et dépassait 80% du PNB faisant des États-Unis le pays le plus endetté de la planète. Les conséquences de la crise des subprimes en 2008 se font vite sentir. En moins de deux ans, 10% des entreprises avaient disparu doublant ainsi le taux de chômage qui était passé de 5% à plus de 10%.
Sur le plan international, Washington a joui de ses succès pour une courte durée. Certes, elle a renversé Saddam Hussein et a mis fin à la vie de Oussama Ben Laden, toutefois et respectivement, l’Irak est devenu un vrai bourbier et le terrorisme a repris de plus belle à travers une menace terroriste de très grande ampleur et qui se propage aux quatre coins du monde.

Durant la même décennie, le monde a connu, d’une part, de profondes mutations, telles que le basculement de la richesse avec l’apparition de nouvelles puissances régionales (Chine, Inde, Brésil), le retour de la Russie sur la scène internationale, la crise syrienne, la chute des dictateurs, le passage du G8 au G20… Et d’autre part, le monde assiste depuis à l’émergence de nouveaux enjeux tels que le changement climatique et la lutte contre la montée de l’extrémisme. On peut dire que ce sont à la fois des facteurs conjoncturels et structurels qui jettent les soubassements d’un nouvel ordre mondial. À ce niveau, il est légitime de se poser la question sur l’orientation de ce nouvel ordre : assistons-nous à la naissance d’un monde bipolaire ou d’un monde multipolaire ? Tout en étant factuels et avec beaucoup de précautions, puisque nous vivons dans un monde très dynamique, on peut, pour l’instant, avancer l’idée de l’émergence d’un monde tripolaire. Un monde où trois acteurs majeurs ont leur mot à dire : Les États-Unis, La Chine et la Russie.

En raison de sa position territoriale stratégique, de sa taille et de l’importance et du dynamisme de sa population, la Chine est une grande puissance internationale tant sur le plan militaire, géographique qu’économique. Ces dernières années, elle travaille sur la construction de son image de membre responsable et d’acteur pacifique de la communauté internationale. Ainsi, si la Chine n’est par exemple pas intervenue dans l’affaire du Darfour ou même en Irak, c’est parce que les affaires de voisinage restent prioritaires à ses yeux par rapport aux autres problèmes certes importants, mais géographiquement plus lointains. Depuis 2010, elle fait partie de 170 organisations internationales alors qu’en 1982 elle était membre de seulement 26 d’entre elles.

Les intérêts nationaux de la Chine sont par conséquent représentés dans la plupart des régions du monde, ainsi que dans la plupart des organisations internationales avec la volonté ferme de rendre prioritaires ses intérêts régionaux, afin de s’imposer comme la principale et incontestée puissance en Extrême-Orient.
Au niveau régional, la Chine a annulé la dette des pays voisins, leur a offert l’aide économique et technologique dans le but de réaliser un développement commun sans pour autant omettre d’affirmer sa présence dans l’Océan pacifique.

En 2013, le gouvernement chinois a ratifié la stratégie «One belt, one road», une ceinture économique qui passe par les pays de la Route de la soie, qui dans le passé reliait la Chine à l’Europe à travers l’Asie de l’Est et l’Asie centrale. Symbole mythique de l’Orient, la Route de la soie ne représentait pas un mais différents chemins empruntés par les commerçants pour faire transiter les marchandises de l’Asie vers l’Europe, et ce depuis l’Antiquité. Au 21e siècle, Pékin lance deux Routes de la soie terrestre et maritime. C’est des milliers de ponts, de voies ferroviaires, de gares et de pipelines qui relieront l’Est à l’Ouest par voie terrestre. Certes, le tracé reste en débat, mais il devrait partir de la province chinoise du Xinjiang à fortes tensions ethniques, rejoindre le Kazakhstan, l’Asie centrale, le nord de l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie pour atteindre l’Europe en passant par la Bulgarie, la Roumanie, la République tchèque et l’Allemagne pour finir à Venise. L'objectif pour la Chine serait d'asseoir son pouvoir économique dans les pays que traversera cette route, d'ouvrir une nouvelle voie plus rapide que celle maritime pour ses échanges commerciaux et de contrôler l'ensemble du trafic commercial qui transite dans cette zone.

Certains voient à travers la Route de la soie l’application par la Chine de la tactique «sea power» – une tactique qui consiste à développer un commerce extérieur prospère et à sécuriser les voies d'approvisionnement grâce à ses forces navales. D’autres, l’Inde en particulier, analysent la récente montée en puissance navale de la Chine comme une «volonté expansionniste». Pékin tenterait de s’ériger en grande puissance maritime et prévoirait de plus d’encercler et de contourner l’Inde par les deux ceintures maritime et terrestre. Dans cette nouvelle Route de la soie, qui traversera l’Asie centrale et l’Europe, on peut voir une réorientation de la géopolitique de la Chine vers l’intérieur du continent. On peut aussi l’interpréter comme une nouvelle diplomatie chinoise qui veut faire de la Chine un acteur clé dans le secteur mondial des infrastructures et lui permettre de s’ériger en leader dans la région asiatique face aux influences russe, indienne et américaine. La Russie quant à elle s’est trouvée, depuis la chute de l’Union soviétique, marginalisée sur la scène politique internationale. Ce gigantesque pays d’environ 17 millions de km² est, comparativement à sa superficie, sous-peuplé puisqu’il ne compte que 140 millions d’habitants. La Russie contemporaine du Président Poutine renoue avec l’attitude impériale qui caractérisait tant la Russie Blanche que la Russie Rouge. Toute occasion permettant de jouer un rôle de premier plan est désormais à saisir pour la Russie.

À commencer par le Proche et le Moyen-Orient qui offrent une occasion rêvée pour ce grand pays de démontrer sa détermination à s’imposer sur la scène internationale. Contrairement aux Occidentaux et à l’encontre de tous, la Russie n’a pas hésité à conduire des opérations au sol en Syrie. Des bombardements guidés par des troupes régulières, des forces spéciales et par une trentaine de blindés russes ont permis de remporter des avantages décisifs, notamment à Homs, Hama et Alep. Contrôler les territoires riches en hydrocarbures de Syrie et poursuivre la coopération militaire avec l’Iran pour contrôler indirectement l’Iraq attestent cette volonté russe et place ce pays en opposition directe avec les États-Unis. En réalité, plus la présence et l’implication russes seront grandes au Proche et au Moyen-Orient, plus ce pays pèsera sur les marchés des hydrocarbures et moins les sanctions internationales auront prise sur lui. La Russie poursuit des objectifs divers, mais voit surtout une opportunité, dans son soutien sans faille à la Syrie d'Al-Assad, de limiter la tension et la pression des Occidentaux sur elle dans l’affaire ukrainienne. La passivité des États-Unis face à cette dernière donne la possibilité à la Russie de revenir et de s’imposer par le biais de la crise syrienne comme un interlocuteur majeur. Il convient de rappeler que depuis quelques années la Russie s'affirme de plus en plus sur la scène internationale.

Par des coups d'éclat médiatiques comme l'hospitalité offerte à Edward Snowdon en 2013, alors même que la Chine, l'Équateur et le Venezuela avaient refusé de le faire, suite aux pressions américaines. Par des coups stratégiques majeurs comme la promesse arrachée à Bachar Al-Assad de détruire son arsenal chimique en 2013, évitant ainsi des frappes américaines sur le pays. Mais aussi par des manœuvres plus secrètes, mais non moins importantes, qui reflètent la lecture assez claire que la Russie fait du jeu international. Elle a par exemple été la première à affirmer que le rôle de l'Iran était nécessaire dans la résolution du conflit syrien et à demander sa participation à la conférence internationale de 2013. Une idée qui avait été rejetée alors, mais qui a fait son chemin : nous avons en effet observé un réchauffement des relations américano-iraniennes dans lequel le problème syrien joue certainement un rôle clé. Et beaucoup plus important, la Russie a été l'un des premiers pays à réellement mesurer le danger que représentait la crise syrienne dès les débuts et à prôner d'autres angles pour la résoudre.

Il s’agit là de quelques exemples pour illustrer l'opposition à la pensée unique américaine menée de front par deux pays qui sont loin d’être atlantistes et «droit de l’hommistes», mais qui intègrent et utilisent le système économique mondial sans chercher à créer un système concurrentiel parallèle à celui des Américains. La question qui nous interpelle à ce niveau est : si la naissance d’un monde tripolaire venait à être actée, dans quelle mesure les organisations internationales pourraient-elles être réformées, afin d’accompagner cette nouvelle architecture mondiale ?

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