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Extrémisme violent : Un mouvement tentaculaire

Bouchra Rahmouni BenhidaProfesseur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Extrémisme violent :  Un mouvement tentaculaire
Ph. Fotolia

Ces deux dernières années, les attentats terroristes en Afrique subsaharienne et au Maghreb attestent que Daesh est un mouvement tentaculaire qui mène une guerre au nom de l’Islam contre un modèle de vie. En l’espace d’une décennie, le terrorisme connait une deuxième vague fondée sur une nouvelle culture de l’ennemi. Les enjeux semblent avoir évolué, le terrorisme aurait changé de modus operandi depuis les attentats du 11 septembre, passant d’un attentat ostentatoire à une volonté de promouvoir des actions continues pour répandre la terreur et générer la psychose.

Avec Daesh, le terrorisme a acquis un nouveau visage, encore plus menaçant. Nous sommes face à une nouvelle forme, sans gros moyens, mais d’une violence particulièrement élevée, qui frappe des lieux qui symbolisent un mode de vie. Des individus qui agissent au nom d’une version erronée de l’Islam contre l’Occident et en terre d’Islam. Ils ont l’impression de vivre dans une société où ils seraient victimes de l'antagonisme vis-à-vis de l'islam et leur devoir de musulman serait de déclarer le djihad. Pour ces jeunes, le chaos est une étape essentielle pour établir la société idéale selon leur idéologie. De leur point de vue, ils croient faire entendre les voix de ces peuples dont les vies ont été brisées par l’interventionnisme occidental, d’autres en réaction aux provocations qui se multiplient au nom de la liberté d’expression, mais aussi en réaction à l’échec de certains modèles d’intégration européens qui ont conduit certains jeunes sans espoir d’avenir au communautarisme.

Sur le continent africain, la majorité des pays ont été touchés d’une façon ou d’une autre par l’extrémisme violent. Toutefois, le Nigéria, la Somalie, la Tunisie et la Libye sont les pays les plus affectés par ce fléau qui s’étend dans la région à travers deux principaux groupes, Boko Haram et Daesh.
Alternativement qualifié de groupe terroriste, de secte ou de mouvement islamiste, Boko Haram fait aujourd’hui la Une de l’actualité. Basé à Maiduguri dans la région excentrée du Borno, à la frontière du Niger, du Tchad et du Cameroun, le mouvement Boko Haram est devenu un acteur incontournable du terrorisme dans la région, un acteur qui a conservé toute sa force de frappe. Enracinés dans le nord-est du pays, les djihadistes du groupe commencent à étendre leur emprise. Le fait est que le groupe se soit emparé de villes et de territoires est assez nouveau.

On peut en déduire un changement de vision stratégique qui est désormais axée sur la conquête de territoires, une vision que l’on peut qualifier d’évolution importante, voire une transition qui marque une nouvelle phase dans le déploiement de Boko Haram. À bien des égards, Boko Haram disposerait des moyens de ses ambitions. L’aide financière ponctuelle fournie par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est souvent évoquée, à laquelle s’ajoute l’argent provenant du pillage systématique de banques et des rançons d’otages occidentaux. Bien que difficilement quantifiable, le nombre de combattants de Boko Haram, d’après certains experts, s’élèverait à 30.000 hommes. Leur armement a évolué. Dès 2010, des armes plus lourdes font leur apparition, une évolution qui contraste avec les machettes et les armes légères utilisées lors des premiers attentats en 2003.

Au nord et précisément au Maghreb, on assiste depuis deux ans à une extension des mouvements djihadistes violents. Avec l’annonce d’un nouveau califat, proclamé le 29 juin 2014, le mouvement djihadiste le plus violent, qui a mainmise sur une grande majorité de la Syrie et près des deux tiers nord de l’Irak, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Ce mouvement a attendu le moment opportun pour entrer en Libye et en Tunisie pour y former un noyau et répandre la terreur, comme il le fait en Irak et en Syrie. La même année, l’allégeance à Daesh d’Ansar Al Charia en Tunisie et en Libye faisait craindre une invasion imminente de ces deux territoires. Les défaites subies récemment par les groupes terroristes Daech et Al-Nosra en Syrie et en Irak obligent leurs membres survivants à chercher refuge dans d’autre pays, lorsque cela leur est possible. La Libye semble leur offrir une base de repli et de ressourcement. Une base à partir de laquelle les milices professionnelles de Daesh pourraient être facilement lancées contre les pays voisins, comme la Tunisie, l’Égypte ou l’Algérie.

La Libye est un pays où prévaut une situation à l’irakienne, opposant divers acteurs : une élite porteuse d’une vision et d’un projet d’État centralisé islamique et tourné vers la modernité, des séparatistes, des islamistes et des groupes criminels jouant leur propre jeu sur une base provinciale et tribale.
La Tunisie post révolutionnaire serait la brèche qui encouragerait l’infiltration de cette menace vers l’ouest du Maghreb. Dans le pays de la Révolution du jasmin, les manifestations clivantes sur la charia, les droits des femmes ou les nouvelles normes à établir ne sont pas sans nous rappeler certaines actions du Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), l’ancêtre d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui ont entrainé l’Algérie dans une «sale guerre» au tournant des années 1980-1990, et montrent que les salafistes de Tunisie sont bel et bien entrés dans une logique de djihad. D’autres actions sont à mettre à l’actif des salafistes tunisiens, telles que leur ascendant sur les mosquées où ont été chassés des imams modérés, leurs offensives contre certaines manifestations artistiques ou culturelles jugées impies ou blasphématoires et l’occupation de l’Université de la Manouba.

Le risque était de voir ces actions prendre une ampleur plus violente, aidées en cela par les armes en provenance de Libye et le rôle d’Internet dans l’embrigadement des jeunes dans le djihad. Et c’est ce qui s’est réellement passé avec les attaques terroristes sur le sol tunisien. Tous ces facteurs font de la Tunisie la terre promise pour une deuxième étape dans l’échéancier de Daech dans la région. Une région où les groupes djihadistes, dont plusieurs branches d’Aqmi, ont annoncé officiellement leur allégeance à Daech et se sont ralliés à une cause commune, établir un califat islamique. Il s’agit là d’un argument idéologique de taille pour s’assurer l’allégeance de l’ensemble des djihadistes et enrégimenter de nouveaux. Le Maroc grâce à son expertise dans la lutte antiterroriste a pu, jusqu’à présent, déjouer plusieurs attentats en procédant à l’arrestation de groupuscules ou d’individus porteurs de projets funestes sur son sol et sous d’autres cieux. Le Maroc est décidé à agir sur les raisons structurelles et mène des initiatives sur tous les fronts pour contrer l’extrémisme violent.

Et face à tous ces constats, le premier devoir de chacun d’entre nous est d’agir pour éviter que la situation ne s’envenime. Les risques de guerre des religions sont bien présents et des actions sont menées pour les réduire. Et c’est ce que certains font déjà. Nous citons en premier lieu cette pétition sur Internet lancée par une soixantaine de personnalités du monde islamique, dont plusieurs Marocains. Pour ces intellectuels, poètes, psychanalystes ou encore chorégraphes, l’heure est venue de réformer l’Islam et de supprimer une certaine partie de son discours : cette partie même qui sert de base aux terroristes pour recruter.
Et ils ne sont pas les seuls puisque dans un texte publié dans le «New York Times» début 2015, 23 intellectuels influents aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne appellent également à des réformes. Dans d’autres domaines, d’autres actions sont également engagées : nous citons notamment le cas de la liberté d’expression où plusieurs débats sont engagés sur les limites à placer et sur les sujets qui peuvent ou non entrer dans le champ public.

Le discours du pape à ce propos est d’ailleurs on ne peut plus clair, «Si un ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision». Il y a donc clairement des sujets qui doivent être pris avec précaution et la religion en fait partie. Tout comme il y a certains propos qui entraînent une stigmatisation progressive. Ces propos, qui sont tenus au sein des sociétés européennes et même dans certains médias locaux, ont tendance à parler de «musulmans» plutôt que de citoyens, ou encore demandent à la communauté musulmane de se justifier en permanence sur les actes commis.

Ils ne sont pas de nature à favoriser la cohésion et l’unité nationale, mais bien au contraire à accroître le communautarisme et les actions dangereuses. Chacun d’entre nous doit donc jouer son rôle pour un monde de paix. Une façon de contribuer aux efforts des autorités nationales et de la communauté internationale qui doivent relever un redoutable défi : améliorer la protection des citoyens en renforçant les mesures contre l’extrémisme violent sans tomber dans la paranoïa sécuritaire vers laquelle souhaitent nous entrainer les poseurs de bombes.


Daesh en Lybie : premier pas au Maghreb

Bien que l'essentiel des forces de Daesh dans la région se trouve concentré dans l'Est libyen, autour de Syrte, à 500 km de la capitale, en décembre 2015, la cité de Sabratha, à 70 km de Tripoli, a eu droit à un défilé composé d'une trentaine de véhicules tout-terrain armés de mitrailleuses lourdes et arborant le pavillon noir de Daesh. Une action démonstrative qui en dit long sur les intentions du groupe en Afrique du Nord. Donc au-delà de la Libye c’est la sécurité de toute la région qui est menacée. Une région qui est confrontée à un ordre régional déphasé, fragmenté, marqué par des inégalités relativement aux étapes du processus démocratique et susceptible, selon l’évolution de la situation, d’aboutir à une reconfiguration de la carte régionale. Les développements inégaux au sein de l’Afrique du Nord et les nouvelles tensions affaiblissent l’ensemble de la région et aggravent sa situation économique et sécuritaire.

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