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Innovation et Nation Branding : un couple compatible

Maintenir et préserver son avantage compétitif sur un marché trouve sa signification dans des explications autres qu'économiques. L’innovation et la capacité à se faire connaitre sont devenues pour les pays une préoccupation majeure qui touche à l’avenir économique et au rayonnement géopolitique. Dans notre monde, c’est indéniable, le soft power et le secteur de la connaissance et de l’innovation affectent en profondeur les paramètres et les variables de la puissance. On peut difficilement prétendre jouer sa partition sur l’échiquier géopolitique si l’on a une économie de second ordre et si on est dépourvu d’une stratégie de Nation Branding. Qu’en est-il du Maroc ?

Sur le plan de l’innovation, le Maroc doit être capable d’innover suffisamment rapidement pour se déplacer vers le haut de la frontière technologique mondiale. Pour ce faire, il doit assurer l’efficacité des relations entre l'État, les milieux de la recherche et les entreprises. Le degré d'autonomie des universités, la perception de l'«intérêt national», les valeurs établies, le système juridique et le niveau de la culture scientifique et technique sont autant de contraintes et d'opportunités. Le but étant d’accompagner le Royaume dans sa transition vers le haut de la frontière technologique mondiale, pour mieux se positionner dans les chaînes de valeur mondiales et se préparer à affronter la concurrence sur les marchés internationaux de biens et services à forte intensité de main-d’œuvre qualifiée et d’intrants technologiques. Un ajustement des structures de production, c’est-à-dire un passage d’activités intensives en main-d’œuvre non qualifiée, basées sur l’imitation – ou l’adaptation limitée – de produits étrangers et reposant sur des technologies importées, vers des activités intensives en main-d’œuvre qualifiée, basées sur l’innovation nationale. Ces dernières nécessitent un accès rapide à l’information pour exploiter les opportunités offertes par de nouveaux marchés et favoriser le développement de réseaux internationaux de connaissance.

Ce qui nécessite une politique scientifique et technique qui ne doit surtout pas être confondue avec une politique industrielle de l'innovation, une planification des investissements dans la recherche & développement, une stratégie de recherche organisée par un État ou un gouvernement dans une logique de rattrapage.Une économie de la connaissance et du savoir suppose d'abord une organisation institutionnelle très complexe. Elle est conçue et mise en œuvre par un ensemble d'institutions associant des savoirs et des compétences dans un grand nombre de domaines. Elle exige des ressources humaines autant que financières, des universités puissantes aussi bien qu'un tissu d'entreprises de conception, de production et de conseil, des organismes de formation, de gestion et de régulation, un cadre juridique, un État et une administration adaptés.

Cependant, et au début, l’innovation ne peut être générée que par l’impact interactif du commerce extérieur et des investissements directs étrangers. À ce niveau, il est crucial de se connaitre et de faire confiance. Et c'est là qu'interviennent l'impact que peut avoir la marque d’un pays et l’influence que l'on peut exercer sur les partenaires économiques, les clients et l'opinion publique. L'influence la plus réussie est celle qui passe par la diffusion d’une très bonne image. Plusieurs pays explorent la voie d’un tel soft power en développant des stratégies et des outils et en se dotant d’une marque pays susceptible de séduire le reste du monde. Ensuite, la «marque de pays» se détache progressivement de l’intuitu personae et des caractéristiques de perception et d’intuition sur un peuple, pour investir un champ beaucoup plus palpable et concret. 

Dans un contexte où l’image de marque d’un pays devient un élément essentiel de l’attractivité et de la compétitivité hors coût, le Maroc est en train de construire une nouvelle image de marque qui ne repose plus sur le seul avantage compétitif de sa situation géographique, mais sur une image qui s’appuie davantage sur ses autres nombreux atouts, à savoir celui d'être la référence régionale en matière de tolérance, d’évolution démocratique, d’évolution des droits de la femme, d’émergence économique, de futur hub de la finance (CFC) et de la logistique (Tanger Med, Nador West Med, le grand port de Dakhla). C’est ainsi qu’on pourra dire par exemple que le Maroc est une puissance régionale majeure (un hub) en Afrique, du fait de ses choix politiques géostratégiques dans le jeu des acteurs pour s’insérer dans l’économie globalisée, à travers l’industrie (aéronautique et automobile) et l’économie des services (finances et innovations technologiques).
Le Maroc bénéficie aussi de l’image d’un pays dont le développement économique se décline au rythme du développement durable. Février 2016 a vu naitre une nouvelle expression du soft power marocain, le pays est désormais identifié sans conteste comme un champion des énergies propres et sera dorénavant l’exemple type du pays qui illustre que le développement économique et le développement durable sont un couple compatible.

À travers sa stratégie des énergies renouvelables, le Maroc se tiendra prêt, influencera les agendas internationaux et jouera un rôle déterminant dans le leadership de la sécurité énergétique dans le monde. En plus d’être le deuxième investisseur africain sur le continent, le Maroc, en se positionnant comme une puissance énergétique future et comme le leader de la croissance verte à l’échelle du continent africain, renforcera encore plus les relations avec ses voisins africains et permettra à la coopération Sud-Sud d’atteindre une nouvelle dimension. Le Maroc se distingue aussi par l’initiation, en Afrique, d’une coopération Sud-Sud novatrice de développement économique et humain, orientée vers trois objectifs : le codéveloppement, la co-émergence et la cocréation africaine, ce qui lui permet de disposer d’ores et déjà d’une aura particulière au niveau du continent. Futur organisateur de la COP 22, le Maroc renforce d’avantage son image d’un acteur engagé de la cause environnementale.

Il reste important de préciser que l’identité et la cohérence sont considérées comme les deux piliers d’une stratégie marque pays. Certes, le Royaume dispose d’une très forte identité, considérée comme une entité immatérielle à part entière qui se définit par l’histoire, la culture, les valeurs et la personnalité stratégique du Royaume. Cependant, il reste à assurer la cohérence. Cette dernière part du principe que le reste du monde ne peut se faire une opinion positive du Maroc que si les messages reçus sont homogènes et concordent entre eux. Ce qui ne peut se faire que si tous les acteurs sont orientés et leurs actions guidées et harmonisées par un organe central afin de partager la même vision de l’identité et diffuser une image qui serait perçue de façon juste, cohérente et positive.

Cette donne, qui inclut le Nation Branding et l’innovation parmi les règles de la compétitivité et les modalités de la puissance, doit être bien assimilée par les pays à la recherche d’une croissance économique et d’un rôle géopolitique stratégique dans leur environnement régional, voire au niveau mondial. Pour percer sur de nouveaux marchés, il est nécessaire d’innover, de diversifier, de suivre les nouvelles tendances mondiales de consommation et de se positionner sur des créneaux permettant d’accélérer sa transition vers le haut de la frontière technologique mondiale et d’entrer en concurrence sur les marchés internationaux de biens et services à forte intensité technologique et en main-d’œuvre qualifiée, tout en améliorant son positionnement dans les chaînes de valeur mondiales. 


Innovation et transfert de technologie

Le Brésil, l’Inde et la Chine ont bien compris que le transfert de technologie est la meilleure voie pour innover. Quand l’Inde prévoit au début des années 2000 d’acquérir 36 avions de chasse français, suédois ou américains en échange d’un échange de technologie que les trois entreprises ont acceptés ; ou quand l’Inde bénéficie d’un transfert de technologie de l’entreprise française DCN vers l’entreprise Mazagon Dock Limited (qui fabrique de 2006 à 2014 la majeure partie des sous-marins pendant que les pièces les plus complexes sont produites à Cherbourg), suite à l’achat des sous-marins classe Scorpène ; ou quand l’accès au marché chinois passe très souvent par un accord de transfert de technologie, tel le cas avec Areva pour la construction de réacteurs nucléaires. Ces trois exemples nous montrent qu’il faut disposer d’une très forte marge de négociation pour arriver à de tels accords. Le rachat d’entreprises ou de filiales innovantes avec l’obligation de former un joint-venture pour les entreprises qui veulent s’implanter sur un territoire donné est une voie privilégiée pour acquérir la technologie. L’absorption de la filière hardware d’IBM en 2005 par LENOVO ou encore la création d’une co-entreprise entre une filiale d’Areva et le groupe chinois Dongfang Electrical Machinery pour fabriquer des pompes de réfrigérants pour réacteurs nucléaires restent des transactions qui obéissaient plus à des motifs technologiques qu’à des motifs commerciaux. L’acquisition de l’innovation peut également passer par le détournement des règles de la propriété intellectuelle. L’Inde et le Brésil sont adeptes de ce type de stratégies dans le secteur pharmaceutique en produisant des médicaments génériques à bas prix à destination des marchés du Sud. Le Brésil rejetait jusqu’en 1997 l’existence de brevets pour les médicaments qui étaient considérés comme des biens libres, tandis qu’en Inde la loi protégeait le procédé de fabrication, mais pas la molécule brevetée.

Le Nation Branding nécessite un organe de promotion efficace

Des pays tels la Suède, la Suisse et Monaco disposent chacun d’un organe de promotion efficace, d’où leurs démarches de nation branding couronnées de succès. Cet organe s’appuie sur l’adhésion de l’État, des citoyens et des entreprises, et œuvre à diffuser une image séduisante du pays qu’il promeut, sans chercher à corrompre ses valeurs intrinsèques. Parmi ces trois nations, il convient de préciser que la Suède est considérée comme un pays modèle et pionnier en matière de nation branding. Elle illustre le type de nation capable d'adopter un modèle de protection sociale et de neutralité et de s'adapter aux exigences de la mondialisation et aux enjeux géopolitiques contemporains.
La Suisse, quant à elle, propose un tout autre exemple. En dépit de l’existence d’une place financière souvent considérée comme opaque, elle jouit d’une bonne image. La Confédération helvétique dispose d’une puissance à l’échelle internationale qui repose dans sa quasi-totalité sur la séduction, puisque diffusant l’image d’un pays dédié entièrement à la paix, abritant les plus grandes institutions internationales et assimilé au luxe. En ce qui concerne Monaco, et malgré l’image de paradis fiscal, la principauté a mis l’accent sur son caractère unique ainsi que sur son rôle positif et l’utilité de ses spécificités en matière d’emploi des énergies nouvelles pour l’Europe. La Suisse et Monaco jouissent d’une image positive auprès des relais et des leaders d’opinion, une vraie armure qui leur permet de faire face aux attaques contre le secret bancaire, considéré comme l’expression de nouvelles menaces dans un monde globalisé.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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