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L'éternel challenge dans la quête de la puissance complète

Cette année, le sujet phare à Davos était la Quatrième révolution industrielle, autrement dit, la déferlante technologique que connait l’«économie-monde». Le numérique, la robotique, l’internet industriel, l'automatisation, les ordinateurs surpuissants, les biotechs... sont en train de rebattre les cartes du business et de la puissance des pays.

L'éternel challenge dans la quête de la puissance complète

Dans un contexte de mondialisation, la capacité des pays à innover constitue un facteur clé de la création d’une très forte valeur ajoutée et du rehaussement de la compétitivité économique. À l’échelle internationale, le PIB est assez représentatif de la puissance d’un pays. Dans notre monde, c’est indéniable, le secteur de la connaissance et de l’innovation affecte en profondeur les paramètres et les variables de la puissance. On peut difficilement prétendre jouer sa partition sur l’échiquier géopolitique si l’on a une économie de second ordre.
Depuis quelques années, les pays qui ont compris les enjeux misent sur une «économie de la connaissance», la science et l’innovation étant devenues pour les pays une préoccupation majeure qui touche à l’avenir économique et au rayonnement géopolitique d’une nation. Aborder la géopolitique de l’innovation revient à décrire des processus et des conflits de pouvoir, c'est poser le problème de l'intelligence et de la gouvernance des politiques de recherche. C'est à ce niveau qu'opèrent l’efficacité et l’efficience des relations entre l'État, les milieux de la recherche et les entreprises. Le degré d'autonomie des universités, la perception de l'«intérêt national», les valeurs établies, le système juridique, le niveau de la culture scientifique et technique sont autant de contraintes et d'opportunités.

La compétition engagée en matière d’innovation est d'autant plus forte que parler toujours des budgets, du pourcentage du PIB consacré à la recherche et du montant par habitant peut biaiser l’analyse. Ces données mesurent certes des conditions nécessaires, mais certainement pas suffisantes. De la comparaison des systèmes de R&D suisse et français il ressort que le premier est bien plus performant que le second. La Corée du Sud se place tête des classements Bloomberg, dépassant ainsi des géants géographiques et démographiques comme la Chine. Ainsi, la cohérence et la gouvernance du système de R&D que les États ou les régions sont capables d'organiser et de mettre en œuvre importent plus que la dimension du territoire, le nombre d'habitants et la démographie. Depuis les années 1980, dans les pays où l’innovation est un instrument de soft power, on dénote une certaine mutation conceptuelle de la R&D impliquant une révision du rôle et de l'organisation de la recherche de celle-ci. La mutation conceptuelle s'est avérée décisive parce qu'elle privilégie l'ampleur des innovations qui transforment nos sociétés et l’ampleur des transformations que ces innovations introduisent en termes d’organisation et d’actions des acteurs publics et privés. Ces pays avaient aussi compris qu’il fallait apprendre à penser la recherche scientifique et technique en dehors des laboratoires, des universités, des revues spécialisées, du travail des chercheurs, des découvertes et des innovations. Un système de recherche et développement ne vient pas se greffer aux systèmes politique, économique ou social existants : il en est l'infrastructure commune.

C'est pourquoi l'environnement institutionnel joue un rôle déterminant.
Outre le poids de l'histoire, des pratiques et des pouvoirs établis, le cas de certains pays, tels les États-Unis et le Japon, montre qu’une politique scientifique et technique suppose d'abord une organisation institutionnelle très complexe. Elle est conçue et mise en œuvre par un ensemble d'institutions associant des savoirs et des compétences dans un grand nombre de domaines. Elle exige des ressources humaines autant que financières, des universités puissantes aussi bien qu'un tissu d'entreprises de conception, de production et de conseil, des organismes de formation, de gestion et de régulation, un cadre juridique, un État et une administration adaptés. Un tel écosystème peut être national, aussi bien que régional ou local. La réalité est tout autre dans les pays à la traine, la notion d’innovation est souvent limitée et confondue avec une politique industrielle de l'innovation, une planification des investissements dans la recherche et développement, une stratégie de recherche organisée par un État ou un gouvernement dans une logique de rattrapage. Ce qu'on observe dans les puissances émergentes est d'une tout autre ampleur. Ces dernières semblent rivaliser d’enthousiasme, ces dernières années, pour la recherche et développement. Pour des pays tels la Chine, l’Inde et le Brésil, remonter les filières pour augmenter la valeur ajoutée de leur production industrielle ou de leurs services passait nécessairement dans un premier temps par une phase d’imitation qui s’inscrit dans un contexte où les moyens manquent pour stimuler la recherche et développement.

Le Japon est passé par cette phase dans les années 1960-1970 avant d’offrir une valeur ajoutée plus élevée aux produits et méthodes venues d’Occident. Le Brésil, l’Inde et la Chine ont bien compris que le transfert de technologie est la meilleure voie pour innover. Quand l’Inde prévoit au début des années 2000 d’acquérir 36 avions de chasse français, suédois ou américains en échange d’un transfert de technologie que les trois entreprises ont accepté ; ou quand l’Inde bénéficie d’un transfert de technologie de l’entreprise française DCN vers l’entreprise Mazagon Dock Limited (qui fabrique de 2006 à 2014 la majeure partie des sous-marins pendant que les pièces les plus complexes sont produites à Cherbourg), suite à l’achat des sous-marins classe scorpène ; ou quand l’accès au marché chinois passe très souvent par un accord de transfert de technologie, comme c'est le cas avec Areva pour la construction de réacteurs nucléaires. Ces trois exemples nous montrent qu’il faut disposer d’une très forte marge de négociation pour arriver à de tels accords. Les rachats d’entreprises ou de filiales innovantes avec l’obligation de former des joint-ventures pour les entreprises qui veulent s’implanter sur un territoire donné sont des voies privilégiées pour acquérir la technologie. L’absorption de la filière hardware d’IBM en 2005 par Lenovo ou encore la création d’une co-entreprise entre une filiale d’Areva et le groupe chinois Dongfang Electrical Machinery pour fabriquer des pompes de réfrigérants pour réacteurs nucléaires, restent des transactions qui obéissaient plus à des motifs technologiques qu’à des motifs commerciaux. L’acquisition de l’innovation peut également passer par le détournement des règles de la propriété intellectuelle.

L'Inde et le Brésil sont adeptes de ce type de stratégies dans le secteur pharmaceutique en produisant des médicaments génériques à bas prix à destination des marchés du Sud. Le Brésil rejetait jusqu’en 1997 l’existence de brevets pour les médicaments qui étaient considérés comme des biens libres, tandis qu’en Inde la loi protégeait le procédé de fabrication, mais pas la molécule brevetée. En Russie, Skolkov, la Silicon Valley russe ou la Kremlin Valley, se veut le symbole d’une modernisation sans précédent de l’économie russe, afin de libérer celle-ci du joug de la rente énergétique. Capitalisant sur son potentiel intellectuel et scientifique, la Russie projette d’attirer vers cette ville nouvelle d’importants investissements étrangers afin de donner au pays l’impulsion nécessaire au développement du secteur de la science et de l’innovation. Alors que la ville intelligente du futur était encore à l’état de projet, d’importants contrats ont été signés avec de grandes entreprises étrangères telles qu'Alstom, Schneider, Apple, Boeing ou encore Microsoft. Le constat est double et sans appel, recourir à ce type de pratique suppose que le pays est une puissance émergente solide et qu’il dispose des moyens de faire pression sur des entreprises très intéressées par des marchés en pleine expansion et suppose, aussi, que le pays est prédisposé à ne pas s’encombrer de principes en utilisant des vides juridiques ou en détournant des règles.

L’objectif de ces puissances émergentes est de faire partie de la tête du peloton en matière d’innovation.
Cependant, elles dépendent largement des investissements directs étrangers et restent pour l’instant technologiquement inférieures aux pays du Nord qui disposent d’une longue tradition de recherche, d’une infrastructure aux standards internationaux, de moyens importants, de chercheurs mieux formés et surtout d’entreprises privées impliquées en amont et en aval dans le système d’innovation.
La culture de la puissance inclut l’innovation parmi les règles et les modalités de la puissance. Cette donne doit être bien assimilée par les pays à la recherche d’une croissance économique et d’un rôle géopolitique stratégique dans leur environnement régional, voire au niveau mondial, des pays qui entendent rentrer et rester dans la course.

Mais il leur faudra fournir un effort plus substantiel que celui déployé actuellement dans le domaine de l’innovation. Gardons à l’esprit que la puissance est un concept évolutif, que son évolution est étroitement liée à l’innovation et à la recherche et développement et que ce sont souvent les ruptures technologiques qui redessinent les contours et les moyens de la puissance. À bon entendeur…

 

le classement du Maroc en matière d’innovation

Le récent classement en matière d’innovation, publié chaque année par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), classe le Maroc en 78e position sur un total de 143 pays, avec un score réalisé de 33,19 points. Le Maroc a ainsi réalisé un bond de 8 places en ce qui concerne l’innovation, par rapport à l’échéance précédente, ce qui lui a permis de se placer deuxième en Afrique du Nord, juste derrière la Tunisie (77e) et loin devant l’Algérie (126e). Cette bonne performance est due au dynamisme dont fait preuve le Royaume en matière d’innovation, rappelle ainsi le ministre de l’Industrie en mentionnant que l’innovation constitue un facteur clé pour relever les défis du plan d’accélération industriel ; et que le développement de la propriété industrielle au Maroc permet de plus en plus la protection des créateurs et des innovateurs.

les pays les plus avancés en matière de recherche et développement

La crise économique de 2008 n’a pas altéré l’accroissement de l’intérêt accordé par les nations à la recherche et développement.
En 2015, dans l’indice global d’innovation, le classement est dominé par la Suisse, suivie de pays tels que le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas, les États-Unis, la Finlande…, pour ne citer que ceux-là (rapport de la Global Innovation Index). Il est à noter que l’indice de l’innovation, tel que le rapporte Global Innovation Index, est calculé sur la base de 79 indicateurs, parmi lesquels le capital humain, le niveau de créativité et les résultats technologiques.
Dans le classement Bloomberg des pays les plus innovants dans le monde en 2015, c’est la Corée du Sud qui sort championne, suivie du Japon, l’Allemagne, la Finlande, Israël, les États-Unis, la Suède, Singapour, la France et le Royaume-Uni… Le Maroc quant à lui est classé 50e dans cette catégorie, devancé en Afrique pas la Tunisie et l’Afrique du Sud. Il est à noter que le classement Bloomberg des pays les plus innovants est établi chaque année selon les six principaux critères que sont :
• L’importance de la recherche et du développement,
• La production à haute valeur ajoutée,
• Les entreprises de haute technologie,
• L’éducation supérieure,
• Le personnel de recherche,
• Le nombre de brevets déposés.

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Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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