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La Corée du Sud : Un poids économique croissant et une puissance géopolitique limitée

La Corée du Sud, classée 13e puissance mondiale et membre du G20, connait une grande ouverture sur le monde à travers l’organisation des Jeux olympiques de Séoul en 1988 et la Coupe du monde de football en 2002. Le pays hébergera aussi les JO d’hiver à Pyeongchang en 2018. Malgré tous ces atouts, la Corée du Sud, après avoir évolué dans l’ombre de certains grands pays, à savoir la Chine et les États-Unis, ainsi que, à un degré moindre, la Russie et le Japon, en tant que puissance moyenne émergente, cherche toujours à s’affirmer en tant qu’acteur actif de la communauté internationale. Ce pays chercherait-il à réduire le décalage entre son poids économique croissant et sa puissance géopolitique, qui reste encore limitée ?

Le pays de la révolution du fleuve Han est une civilisation ancienne qui a été soumise au joug japonais pendant une trentaine d’années. Il ne se reconnaissait ni dans l’ordre mondial de l’époque, façonné et légué par les Occidentaux, ni dans leurs systèmes de valeurs et leurs systèmes politiques. Cette puissance montante ne saurait en effet se satisfaire d’un modèle occidental qu’elle considérait parfois comme étant fondé sur l’individualisme. La Corée du Sud affirme qu’elle reste largement convaincue d’incarner un véritable modèle, appuyé sur ses traditions millénaires et sur le leadership du Président Park Jung-Hee.

Passée d’un PNB par habitant de 87 dollars (le plus bas au monde) en 1962 à plus de 26.248 dollars en 2013, la Corée du Sud reste une source d’inspiration et d’admiration. Le processus de développement coréen s’inscrit dans une logique d’appropriation des outils de la modernité et de la compétitivité et dans la mise en place d’un modèle particulier et séduisant. Le qualificatif séduisant, recouvrant un soft power et la capacité d’influencer par la persuasion, n’est pas choisi au hasard. La Corée du Sud semble considérer cet aspect de la puissance avec beaucoup de sérieux et c’est tant mieux. Les mesures prises par «le pays du matin frais» pour l’approfondissement de la démocratie, du progrès économique et du développement humain au cours de la décennie écoulée sont souvent l’objet d’approbation de la part de partenaires régionaux et internationaux.

Une telle réussite n’aurait jamais été possible sans une forte implication du secteur privé. Le défi du développement économique s’adresse, pour une large part, aux dirigeants des entreprises. Au niveau interne, un pays devient une économie émergente quand, sur le plan économique, il n’est plus seulement récepteur d’investissements directs étrangers, mais voit s’affirmer des entreprises nationales capables de concurrencer leurs homologues étrangères. Les membres du secteur privé doivent, d’un point de vue sociologique et psychologique, avoir le sentiment de constituer les acteurs essentiels sinon exclusifs du développement économique. Sur les plans régional et mondial, les acteurs du secteur privé doivent amorcer une diplomatie privée indépendante de la diplomatie officielle. C’est dans ce sens que la politique étatique favorisant l’essor d’industries fortes et compétitives autour des Chaebols, conglomérats d’entreprises d’inspiration japonaise. La Corée du Sud a su se placer dans la compétition internationale dans divers secteurs : construction navale, automobile, acier, pétrochimie, électronique...
Preuve d’une montée en gamme réussie, les grands groupes, Samsung, Daewoo, Hyundai ou LG ont aujourd’hui acquis une visibilité mondiale.

Une réalité atteinte grâce à une politique de recherche très volontariste et plus dynamique que celle des pays européens. Géo-économiquement, elle promeut son modèle de développement en Asie du Sud-Est, et même au-delà, puisque certains pays africains commencent à s’inspirer du modèle Saemaul Undong (SMU) pour le développement rural. Séoul va jusqu’à mettre en place une politique spécifique pour l’Afrique dans le cadre de la stratégie dite «Global Korea». Séoul a bien compris et intégré l’idée que l'influence la plus réussie est celle qui passe par la diffusion d’une très bonne image. Elle a exploré la voie d’un tel soft power en développant des stratégies et des outils adéquats et en se dotant d’une marque pays qui séduit le reste du monde. Elle a donc bien assimilé que le Nation Branding et l’innovation figurent parmi les règles de la compétitivité et les modalités de la puissance dont doivent disposer les pays à la recherche d’une croissance économique et d’un rôle géopolitique stratégique dans leur environnement régional, voire au niveau mondial.

Au niveau géopolitique régional, Séoul cherche à se positionner comme une puissance moyenne à travers un rôle de pilier de la sécurité en Asie du Nord-Est. À ce niveau, elle dispose d’une vision claire des objectifs et des moyens. Toutefois, la Corée du Sud n’a pas encore le rayonnement politique et stratégique qu’elle souhaite avoir. C’est sans doute du fait qu’elle se trouve au centre de rivalités régionales. Outre les problématiques posées par la Corée du Nord, le contexte régional fait qu’il existe un enjeu de rivalité entre Les États-Unis et la Chine, au moment où le Japon et la Russie sont également parties prenantes des problématiques régionales. Les États-Unis demeurent, depuis la guerre de Corée (1950-1953), un allié traditionnel et privilégié. Un tel partenariat est stratégique pour Séoul, notamment pour faire face à la menace nucléaire que représente la Corée du Nord. Son autre allié stratégique se trouve au niveau de l’Asie : des relations entre la Chine et la Corée du Sud, marquées à la fois par des intérêts géopolitiques et géo-économiques, tels la reconnaissance de la Corée du Sud par la Chine au début des années 1990, mais aussi le grand poids des échanges économiques et humains entre la Corée du Sud et la Chine (1.000 vols par semaine circulent depuis Séoul vers les grandes villes chinoises, la Chine abrite deux millions de Coréens), qui n’ont rien à voir avec ceux de la Chine et de la Corée du Nord. Quant à la Russie, bien qu’elle ne soit pas un allié naturel de Séoul, elle compte dans les calculs géopolitiques régionaux en raison des projets énergétiques dans la zone, comme le projet de gazoduc intercoréen. Le Japon se révèle être, à son tour, une puissance qui complète les équilibres régionaux.

Quand la Corée s’est lancée dans son processus d’industrialisation, elle s’est engagée dans la voie du rattrapage technologique et a réduit, ainsi, le fossé qui la séparait des puissances émergentes et des puissances traditionnelles. En plus, le pays dispose d’atouts tels qu'une population importante et homogène, une intelligence sociale et un esprit ouvert aux innovations. Peut-être que Séoul sera amenée à jouer, dans un futur proche, un rôle d’envergure dans le changement de l’ordre mondial ? 


L'industrialisation au cœur du développement économique

La Corée du Sud doit son développement économique à une politique volontariste proche du modèle japonais. Il s’agit de la théorie du vol d’oies sauvages développée par l’économiste japonais Kaname Akamatsu à la fin des années 1930. C’est une démarche qui consiste en trois phases : l’importation d’un produit donné, puis sa mise en production nationale avant son exportation. Dans certains pays, ce type de stratégie est appelée l’industrialisation par substitution aux importations (ISI). C'est un processus de développement industriel fondé sur l’interaction entre un pays en développement et des pays plus avancés. Le résultat de cette politique a été des plus impressionnants. Certes, la Corée du Sud se situe aux premiers rangs mondiaux pour l’électronique grand public, la construction automobile et navale ou encore la sidérurgie, mais c’est notamment à partir des années 1960, qui coïncident avec l’arrivée au pouvoir du dictateur Park Chung-hye, le père de l’actuelle Présidente, que la Corée du Sud commence à exporter et à s’industrialiser. En 1997, la crise financière asiatique donne un coup de frein à la croissance coréenne, mais elle a été l’occasion de mieux séparer les secteurs public et privé. Mais derrière ces succès, Séoul doit faire face à une société fragilisée par des inégalités grandissantes dans un contexte de ralentissement économique mondial. La nouvelle Présidente conservatrice Park Geun-hye a des défis à relever tant socio-économiques que de politique étrangère.

Émergence : entre le point de vue de Wallerstein et le tournant de Lewis

Plus d’un politologue avance que la course au développement économique constitue un facteur déstabilisant de l’équilibre mondial aussi bien sur le plan géo-économique que sur le plan géopolitique. Le fait est que l’industrialisation bouleverse l'ordre des puissances. Immanuel Wallerstein, un important analyste du «système monde», supposait dans son ouvrage «The Politics of World Economy, the States, the Movements and the Civilizations» que l’évolution capitaliste détermine la dynamique de changement du centre du monde. Selon lui, la puissance est un produit de l’expansion économique. La Chine, le Brésil et l’Inde ont émergé et produisent désormais des biens à haute valeur ajoutée qui concurrencent directement les produits des pays développés. Certes, ces pays se trouvent actuellement dans le tournant de Lewis (Lewis turning point : Arthur Lewis est un Prix Nobel d’économie qui a conceptualisé le modèle de basculement économique d’un pays émergent comme conséquence d’une main-d’œuvre qui se raréfie, entraînant une augmentation rapide des revenus qui constituent les prémices de la réduction des marges bénéficiaires des entreprises donnant lieu à une chute de l’investissement), toutefois d'autres pays prennent le relais.

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