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La réunification de l'île, gage de prospérité et de visibilité

Il y a deux semaines, du 7 au 13 novembre, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, les dirigeants chypriotes grec et turc se sont retrouvés en Suisse, pour poursuivre une série de négociations entamées depuis mai 2015. Plus de 42 ans après sa division, Chypre serait-elle en train de baliser le chemin de la réunification ? Et pourtant, elle le devrait parce qu’elle a beaucoup à y gagner.

La réunification de l'île, gage de prospérité et de visibilité

En juillet 1974, l’armée d’Ankara envahit la partie nord de l’île pour répondre à la tentative de coup d’État perpétré par la junte grecque au pouvoir à Athènes contre le gouvernement chypriote, provoquant l’inquiétude de la minorité turque. Cette invasion a été suivie par des déplacements massifs et forcés de population pour rejoindre la partie du pays correspondant à leur ethnie. Depuis, Chypre est divisée en deux entités distinctes. La République turque de Chypre du Nord se proclame indépendante en 1983, mais n’est reconnue que par la Turquie. Depuis, Chypre connait de graves difficultés économiques du fait de l’isolement commercial de la partie nord qui ne peut échanger qu’avec la Turquie, et suite à la crise grecque, le dommage devient collatéral pour la partie sud de l’île.

Les pourparlers et les négociations ont donc repris et l’idée d’une république est retenue et même la question des arrangements territoriaux était à l’ordre du jour, et ce pour la première fois, et sans que cela ne provoque l’irritation d’aucune des deux parties grecque et turque représentées respectivement par Nicos Anastasiades et par Mustafa Akinci, présents tous les deux lors des négociations et accompagnés d’Espen Barth Eide, émissaire de l’ONU pour Chypre.
Les pessimistes chypriotes grecs craignent de subir de facto les conséquences d’une évolution du contexte géopolitique dans le cas de la réunification avec la partie nord sous la tutelle turque. Les négociations portent sur un système fédéral, la partie grecque craint une influence turque plus importante sur l’île, étant donné la complaisance des puissances occidentales face à la Turquie membre de l'OTAN, notamment les États-Unis. À cela s’ajoute le facteur démographique, la crise migratoire en Europe et en Orient, la question religieuse avec l'Islam politique soutenue par le Président turc Erdogan, la faiblesse de l'Union européenne face au chantage de la Turquie… Ce qui dérangeraient vraisemblablement le plus, ce sont les différences culturelles, pour ne pas dire religieuses.
Éloignons-nous un peu de ce registre excessivement sensible et contreproductif et abordons la question sous un angle d’approche économique. 

En 2013, l’exposition de Chypre à la crise grecque avait fait planer le spectre de la faillite sur l’île.
Chypre a dû accepter, la même année, un plan de sauvetage européen en échange de coupes budgétaires, de privatisations et de la liquidation d'une de ses principales banques.
Selon les défenseurs de la réunification, celle-ci serait certes coûteuse, mais elle devrait toutefois augmenter les opportunités commerciales et économiques.
Selon une étude intitulée : «Réexamen des bénéfices de la paix pour Chypre» publiée en 2014 par l'antenne chypriote de l'Institut de recherche sur la paix d'Oslo, la réunification générerait quelque 20 milliards d'euros de gains pour l'économie de l'île puisque les deux côtés de l'île en tireraient profit, grâce aux «bénéfices de l'ouverture du marché turc, de 74 millions de personnes, aux Chypriotes grecs», et à «l'ouverture du marché européen, de 500 millions de personnes, aux Chypriotes turcs».

L'étude se fonde sur l'hypothèse qu’une «une fédération bicommunautaire et bizonale», «composée de deux États membres de statut égal», avec la condition qu’elle soit établie en 2016. À cela s’ajouterait, selon toujours la même étude, une augmentation du revenu par habitant d'environ 12.000 euros, quelque 20 milliards d'euros de gains pour l'économie, et une hausse de 2,8 points en moyenne de la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel pendant près de vingt ans.

Le PIB de l'île dans son intégralité passerait de près de 20 milliards d'euros en 2016 à presque 45 milliards en 2035, contre 25 milliards en 2035 sans accord de paix, souligne l'étude.
De même, la croissance économique moyenne serait de 4,5% pendant plus de vingt ans, contre 1,6% sans accord. La réunification permettra l’exploitation, au bénéfice de tous, des champs gaziers découverts récemment dans les zones maritimes au large de l’île, exploitation qui reste toutefois compliquée en raison de la division du pays. À travers ces réserves de gaz naturel, Chypre «est appelée à devenir un acteur-clé» de la région, comme l’a souligné Joe Biden, en 2014.

Espérons que d’ici fin 2016, la raison l’emporte sur les blocages psychologiques et les représentations mentales afin de mettre fin à ce «scandale géopolitique» sur une île plus petite que Saint-Domingue et sur laquelle se manifeste, pourtant, un choc des civilisations en Méditerranée orientale. 


Plan Annan : Un oui turc et un non grec

En 2004, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, présente un plan qui prévoit la création de la République chypriote unie, qui serait une fédération au sein de laquelle les deux États (République de Chypre et République turque de Chypre du Nord) seraient conservés. Malgré l’assurance donnée à la République de Chypre d’adhérer à l’Union européenne, indépendamment du résultat du référendum, les Chypriotes grecs n’ont pas fait de compromis. Le plan est soumis au vote référendaire en avril 2004 et est refusé massivement par les Chypriotes grecs (76% de Non), malgré la majorité du Oui (65%) parmi l’électorat chypriote turc. Discuté avec les deux parties, le plan Annan proposait la mise en place de nouveaux organes de pouvoir au sein desquels les deux communautés seraient représentées soit proportionnellement à leur population (les deux Chambres parlementaires), soit de manière égale (Cour suprême), soit alternativement (Président et vice-président). Ce plan prévoyait la conservation des Constitutions de chacun des États, mais l’adoption d’un hymne et d’un drapeau communs pour représenter la République fédérale de Chypre, avec l’incorporation des couleurs représentatives de la Grèce, le bleu, et de la Turquie, le rouge. De plus, le plan Annan apportait la solution à un des enjeux majeurs qui concerne le processus de dédommagement des personnes qui ont subi des expropriations lors des migrations forcées de 1974. Le plan prévoyait un montant de 12 milliards d’euros de compensation, mais n’avait réussi à rassembler que 500 millions d’euros. Le plan onusien reste la principale tentative de réunification de Chypre, mais qui a avorté.


Pourparlers et perspectives de réunification

La position d’Ankara est également cruciale dans la perspective de la réunification des deux parties. Le 5 novembre dernier, Mustafa Akinci s’est rendu à Istanbul pour rencontrer son homologue turc, Erdogan, en prévision de la semaine de pourparlers. Il faut rappeler qu’Akinci s’est fait rappeler à l’ordre par la Turquie lors de ses prises de position contre les répressions menées par Erdogan suite au coup d’État manqué. Cette position montre une (timide) velléité de se défaire partiellement de la tutelle turque, nécessaire à la réunification. Les habitants craignent dans ce cas de figure, au-delà des compromis difficiles sur la restitution des terres et des habitations qui sera limitée, la coexistence à moyen et long terme avec un partenaire difficile parrainé par la Turquie dont la trajectoire s'éloigne de l'Europe. Pour de nombreux observateurs, la réunification mènerait à la disparition à plus long terme de la République de Chypre grecque, sous le poids de l'évolution défavorable des rapports de forces géopolitiques.

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