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La vulnérabilité des pays du Maghreb face au terrorisme

Avec l’annonce d’un nouveau califat, proclamé le 29 juin 2014, le mouvement djihadiste le plus violent, qui a mainmise sur une grande majorité de la Syrie et près des deux tiers nord de l’Irak, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Ce mouvement a attendu le moment opportun pour entrer en Libye et en Tunisie pour y former un noyau et répandre la terreur, comme il le fait en Irak et en Syrie.

La vulnérabilité des pays du Maghreb  face au terrorisme

La même année, l’allégeance à Daesh d’Ansar Al Charia en Tunisie et en Libye faisait craindre une invasion imminente de ces deux territoires. Les défaites subies récemment par les groupes terroristes Daech et Al-Nosra en Syrie et en Irak obligent leurs membres survivants à chercher refuge dans d’autre pays, lorsque cela leur est possible. La Libye semble leur offrir une base de repli et de ressourcement. Une base à partir de laquelle les milices professionnelles de Daesh pourraient être facilement lancées contre les pays voisins, comme la Tunisie, l’Égypte ou l’Algérie.

La Libye est un pays où prévaut une situation à l’irakienne, opposant divers acteurs : une élite porteuse d’une vision et d’un projet d’État centralisé islamique et tourné vers la modernité, des séparatistes, des islamistes et des groupes criminels jouant leur propre jeu sur une base provinciale et tribale. Bien que l'essentiel des forces de Daesh dans la région se trouve concentré dans l'Est libyen, autour de Syrte, à 500 km de la capitale, en décembre 2015, la cité de Sabratha, à 70 km de Tripoli, a eu droit à un défilé composé d'une trentaine de véhicules tout-terrain armés de mitrailleuses lourdes et arborant le pavillon noir de Daesh. Une action démonstrative qui en dit long sur les intentions du groupe en Afrique du Nord. Donc au-delà de la Libye c’est la sécurité de toute la région qui est menacée. Une région qui est confrontée à un ordre régional déphasé, fragmenté, marqué par des inégalités relativement aux étapes du processus démocratique et susceptible, selon l’évolution de la situation, d’aboutir à une reconfiguration de la carte régionale. Les développements inégaux au sein de l’Afrique du Nord et les nouvelles tensions affaiblissent l’ensemble de la région et aggravent sa situation économique et sécuritaire.

La Tunisie post révolutionnaire serait la brèche qui encouragerait l’infiltration de cette menace vers l’ouest du Maghreb. Dans le pays de la Révolution du jasmin, les manifestations clivantes sur la charia, les droits des femmes ou les nouvelles normes à établir ne sont pas sans nous rappeler certaines actions du Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), l’ancêtre d’Al Qaïda dans le Maghreb islamique (Aqmi), qui ont entrainé l’Algérie dans une «sale guerre» au tournant des années 1980-1990, et montrent que les salafistes de Tunisie sont bel et bien entrés dans une logique de djihad. D’autres actions sont à mettre à l’actif des salafistes tunisiens, telles que leur ascendant sur les mosquées où ont été chassés des imams modérés, leurs offensives contre certaines manifestations artistiques ou culturelles jugées impies ou blasphématoires et l’occupation de l’Université de la Manouba. Le risque était de voir ces actions prendre une ampleur plus violente, aidées en cela par les armes en provenance de Libye et le rôle d’Internet dans l’embrigadement des jeunes dans le djihad. Et c’est ce qui s’est réellement passé avec les attaques terroristes sur le sol tunisien. Tous ces facteurs font de la Tunisie la terre promise pour une deuxième étape dans l’échéancier de Daech dans la région. Une région où les groupes djihadistes, dont plusieurs branches d’Aqmi, ont annoncé officiellement leur allégeance à Daech et se sont ralliés à une cause commune, établir un califat islamique. Il s’agit là d’un argument idéologique de taille pour s’assurer l’allégeance de l’ensemble des djihadistes et enrégimenter de nouveaux.

On assiste, dès lors, à l’entrée en scène de deux autres acteurs de ce désordre régional, à savoir le grand banditisme et le business de l’insécurité. Une situation paradoxale qui a jeté toute la région dans un cercle vicieux de violence. La solution est de prendre des mesures de réduction de la violence. Pour ce faire, il faut des réponses ancrées dans la compréhension des contextes locaux et régionaux spécifiques. Le monde, le Moyen-Orient et l’Afrique ont effectivement besoin d’une stratégie globale pour faire face aux facteurs et aux acteurs majeurs de l’insécurité, dont font partie les groupes qui recourent au terrorisme. Certes, cette stratégie doit inclure un renforcement de la coopération entre les services de sécurité et de renseignement à l’échelle internationale, exigée par la mobilité des acteurs de la violence. Mais elle doit aussi contribuer à construire des États organisés et effectifs sous des directions politiques responsables et à créer des espaces de débats ouverts et citoyens permettant la formulation progressive de politiques publiques réfléchies. Une fois les États établis, il est aussi primordial d’inclure dans cette stratégie des processus d’identification des fragilités dans les pays avec des indicateurs permettant d’évaluer le risque de glissement vers un conflit pour mieux anticiper ce dernier et les prévenir. Le trou noir libyen est le cas le plus éloquent à cet égard, c’est un pays qui a besoin de la mise en place d’un État fort et du déploiement et de la conjugaison de tous les efforts de la communauté internationale afin de tuer dans l’œuf toute tentative de connexion entre le groupe Daesh en Libye et Boko Haram. Une telle union pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le continent et sur le reste du monde.

Dans une perspective régionale, un environnement instable et dangereux et en quête d’une alternative au leadership, le Maroc dispose d’un potentiel et a fait ses preuves en matière de lutte contre le terrorisme, expérience dont pourrait bénéficier à plus grande échelle toute la région. La coopération antiterroriste avec les Européens et les relations poussées avec les pays confrontés à la menace terroriste pourrait faire de lui un pays phare dans la résolution des équations sécuritaires dans la région. Un Maroc dont le modèle de l’Islam commence à s’exporter en Afrique et dans le monde arabe. Un modèle fondé sur l’inclusion de tous les acteurs du champ religieux dans un cadre organisé incitant au renoncement à la violence et appelant à la lutte contre la radicalisation des croyants. Une radicalisation qui transforme l’Islam en une idéologie de l’exclusion et de la haine sociale et au non-respect des fondamentaux du vivre-ensemble national.
Visionnaire et innovant, le Maroc, fort de ses liens étroits avec les pays du Conseil de coopération du Golfe, l’Union européenne et les États-Unis, d’une part, et de ses liens économiques et historiques avec l’Afrique de l’Ouest, peut jouer le rôle de hub d’une coopération antiterroriste interafricaine ouverte sur l’Europe, l’Amérique et le Moyen-Orient. La lutte contre le djihadisme est pluridimensionnelle. Il s’agit d’une lutte contre le désarroi, la précarité, le désœuvrement et l’exclusion qui prédisposent des esprits fragiles à préférer l’au-delà à l’ici-bas. Il est surtout question de lutter contre la mise en discours de la fascination de la mort. Un discours qui pousse les jeunes à arracher l’au-delà à sa temporalité, puisque pour eux il n’y a pas d’avenir. Outre l’idéologie fasciste et le projet de califat, le nihilisme est une nouvelle donne que doivent impérativement prendre en considération les sécuritaires et les géopoliticiens dans leur analyse de la matrice djihadiste. 


Le leadership marocain, légitime et crédible

Dans un tel contexte, le Maroc fait figure d’exception, il construit son économie et sa sécurité, d’abord dans le Maghreb, qui reste le seul espace garant d’une prospérité et d’une sécurité partagée. Il joue sa propre partition dans un but précis : faire en sorte que les trajectoires stratégiques dans la région se complètent et se croisent. Contrairement aux visions des autres pays maghrébins marquées par des tensions intérieures, des problèmes de stabilité, de modernité et de voisinage, le Royaume se perçoit à travers un ensemble régional stabilisé et parvient à s’élever à une vision commune et globale des enjeux sécuritaire dans la région. Il ne veut en aucun cas être réduit à la périphérie d’un centre qui se situerait ailleurs. Par son leadership confirmé dans les négociations interlibyennes à travers, d’une part, l’accueil des rounds de pourparlers et, d’autre part, à travers le rôle très important d'appui politique au processus de ces négociations, le Maroc prouve une fois de plus qu’il est un acteur stratégique dans la préservation de l’essence géopolitique de la région, dont la régulation ne doit en aucun cas être laissée à la seule initiative des puissances extérieures. Nous gardons à l’esprit que le rôle de ces dernières, en termes d’appui technique et de soutien financier ne peut être négligé, tellement les défis à relever et les chantiers à lancer sont très importants en Libye. Les futurs dirigeants libyens vont devoir réaliser un compromis politique acceptable par le plus grand nombre via la conciliation entre plusieurs tendances, à savoir : l’aspiration à la liberté et à l’indépendance, l’attente d’une libéralisation économique réelle ainsi que l'ouverture sur l’Union européenne et les États-Unis, l’attachement à l’islam tout en cherchant à le rendre compatible avec la démocratie et en écartant le risque extrémiste, la revendication des jeunes d’accéder à l’amélioration de leur vie quotidienne. À ce niveau, le Maroc peut apporter un savoir-faire et une technicité forgés à travers les dynamiques et les réformes initiées au niveau national depuis plus d’une décennie.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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