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Plus que 5 mois et toujours pas d'alternative aux emplois menacés

La loi 77-15 interdisant l’importation, l’exportation, la commercialisation et même l’utilisation des sacs en plastique n’en finit pas de faire des vagues. Ce texte est tombé tel un couperet sur les industriels du secteur et avec eux tout leur personnel. Au moment où ces derniers cherchent à faire entendre leur voix, c’est motus et bouche cousue du côté du ministère de tutelle.

Juillet 2016 marquera un tournant décisif dans l’avenir de l’industrie du plastique et décidera de celui de quelque 50.000 emplois directs et indirects. Cette date fatidique correspond au délai fixé par le ministère de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique pour l’entrée en vigueur de la loi 77-15 sur les sacs en plastique. Pour les 211 unités opérant dans la filière, cette loi a signé leur arrêt de mort, d’autant plus que le délai fixé est jugé trop court pour envisager une autre alternative. «Nous n’avons pas le temps nécessaire pour nous adapter ou nous reconvertir», déplore Abdelwahed El Aribi, directeur d’Unibag, basée à Casablanca.

Pour lui, le rythme imposé par le ministère de tutelle poussera sûrement toutes les entreprises à entamer des démarches de mise en chômage partielle de leur personnel. D’ailleurs, les prémices d’une crise se profilent à l’horizon et l’impact de la loi se fait déjà ressentir sur les entreprises dont les grandes et moyennes surfaces (GMS) représentent 75 à 80% de l’activité. «Les commandes connaissent une forte baisse depuis quelques semaines déjà», nous apprend El Aribi.

Mais qu’en est-il de la reconversion des entreprises dans une autre activité ? «Nous avons bien envisagé cette alternative, mais un changement d’activité nécessite des investissements très lourds et du temps pour effectuer ce virage important et dangereux pour la vie d’une entreprise, voire celle de tout un secteur», estime El Aribi.
Même son de cloche auprès du président de l’Association marocaine des sacs, sachets et films en plastique, Bouchaïb Kasbane, qui va plus loin en assurant que même s’il y avait la possibilité d'une reconversion vers la fabrication de sacs en plastique autorisés par la loi, le marché est malheureusement étroit et saturé. La reconversion dans la fabrication des sacs en papier semble encore plus difficile pour plusieurs raisons. «Pour fabriquer des sacs en papier, il faut des investissements énormes en machines que personne n'est prêt à supporter. On est en train de liquider une industrie locale pour aller vers une industrie d’importation qui implique une sortie de devises», s’indigne Edwin Sluismans, DG de Greenberry, la première entreprise au Maroc à avoir introduit une technologie innovante pour la production de plastique oxo-biodégradable sans surcoût.
«Il s’agit quand même de 4 à 5.000 emplois directs qu’on va du jour au lendemain supprimer, en espérant que l'activité sera reconstruite par des secteurs d’avenir, ce qui n’arrivera pas. L’industrie locale n’a pas les outils, les machines et n’est pas performante. Il n’y aura pas d’emplois de remplacement», lance-t-il.

Il a également balayé d’un revers de main l’argument avancé pour la suppression des sacs en plastique, à savoir la protection de l’environnement, et a assuré qu’un sac en plastique a moins d’impact sur le réchauffement climatique qu’un cabas et à fortiori un produit en papier. «Un sac en plastique consomme le 1/5e de l’énergie nécessaire à la production d’un sac en papier et consomme 3% de la quantité d’eau. Un sac en papier doit être utilisé 7 fois pour arriver au même écobilan qu’un sac en plastique et 327 fois pour un sac en coton. On parle de réchauffement climatique et on va continuer à faire des allers-retours de dizaines de milliers de kilomètres de matières premières, d’importation de produits finis !», s'exclame l'industriel.
Il insiste qu’un sac en plastique en lui-même ne représente aucun danger pour l’environnement parce qu’il est composé de carbone et d’hydrogène : «il s’agit en fait d’une pollution visuelle et d’un problème de gestion des déchets. Pourtant, personne ne semble catastrophé par l’utilisation des pots de yaourt ni par les petites bouteilles d’eau qui ne sont pas recyclés !»

Pour lui, la loi est une mesure drastique qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Même le consommateur aura un prix à payer.
Les sacs en plastique représentent pour la grande distribution un coût estimé à 0,7% du CA. Les remplacer par des options plus onéreuses aura un impact inflationniste de 1 à 2% pour les ménages marocains. Et ce n’est pas le plus grave. «Le plus grave est que le consommateur qui se rendra aux grandes surfaces achètera des produits diversifiés qui vont devoir être emballés. Est-ce qu’on fait comme le ministère le préconise, un cabas en osier où l’on va tout mettre en vrac ? Le sac en plastique constitue une barrière microbienne pour la conservation des aliments.
La chaîne de froid au Maroc n’étant pas parfaite, le fait de ne pas emballer les aliments et d’interdire de les emballer est quelque chose de complètement aberrant», dixit Sluismans.

Qu’est-il advenu du dégradable et du biodégradable ?

Depuis au moins une dizaine d’années, l’État avait souhaité que l’on stoppe la prolifération sans limites des sacs en plastique, et le ministre de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies de l’époque, Ahmed Reda Chami, s’était emparé du dossier et avait même déclaré qu’«en 2013, ce sera la fin des sacs en plastique au Maroc».

En se rendant compte que c’était plus facile à dire qu’à faire, celui-ci a considéré une autre option : une technologie qui consistait à fabriquer des sacs plastiques traditionnels en y ajoutant un additif les rendant biodégradables. Cette solution avait été présentée par le groupe Label’Vie, qui était en ces temps-là en concertation avec la tutelle, comme étant idéale aussi bien pour l’environnement que pour la réorganisation d’une activité qui en avait grand besoin. Et c’est ainsi qu’en 2010 est née la loi 22-10 imposant le biodégradable dans la production des sacs en plastique. Mais celle-ci n’a pas fait l’unanimité et n’a été appliquée que par une partie des entreprises par manque d’accompagnement du ministère et absence de contrôle par les services concernés. Le contrôle de la loi 22-10 dans les commerces et l’industrie a été attribué au département de l’Environnement. «C’est tout à fait logique sauf qu’on se trouve devant un marché où la part de l’informel est de 60% et qui ne peut être contrôlée. En parallèle, le département concerné dispose en tout et pour tout de deux personnes dont ce n’est pas la fonction prioritaire que d’effectuer ces contrôles», dénonce Rim Rherras, directeur Développement de Greenberry. «À côté, les industriels, qui ont vu dans cette loi une atteinte à leurs intérêts, se sont vite sentis rassurés par la difficulté de la mise en œuvre», renchérit Edwin Sluismans, expliquant que les grosses pointures du secteur sont soit des importateurs de matières premières, soit des producteurs de colorants ou vendeurs de machines-outils. «Ils avaient tous intérêt à ce que la situation d’avant perdure parce que quand vous importez 90.000 tonnes de polyéthylène dont l’immense majorité se fait sur des intrants qui sont destinés à l’agriculture, exemptés de TVA, et qui repassent après comme par magie dans autre chose, il y a beaucoup d’argent en jeu». La loi
77-15 annule la loi 22-10 et met ainsi fin aux activités des entreprises qui commercialisent les additifs pour la production de sacs en plastique biodégradables et qui affirment avoir présenté une solution étayée par des arguments scientifiques : un produit qui s’inscrit parfaitement dans la ligne écologique, une approche qui va réduire les volumes et avoir une utilisation plus rationnelle, un produit recyclable parce que l’additif, contrairement à ce qu’on avance, ne contamine pas la composition du sac plastique, un produit éco-compatible…

Que propose le ministère de tutelle ?

«Aucune visibilité n’a été donnée aux industriels ni à leurs employés à 150 jours de l’entrée en vigueur de la loi», indique Kasbane. Le Matin Éco a sollicité le ministère de l'Industrie pour y voir plus clair, mais en vain. À l'heure où nous mettions sous presse, mais nos questions étaient restées sans réponses. Les industriels, eux, proposent que l’État intervienne auprès des banques pour soutenir ceux qui ont contracté des crédits ainsi que leurs salariés. Ils appellent également à la mise en place d’«une convention collective permettant aux industriels de se désengager de leurs salariés et charge à l’État de prendre sur ses fonds les indemnités de licenciement pour arrêt partiel ou total d’activité». L’État est ainsi appelé à trouver une alternative aux emplois perdus.

Ce qui interpelle le plus, c’est que les industriels n’auraient à aucun moment réclamé l’amendement de cette loi. Mais Edwin Sluismans y fait allusion quand il demande l’introduction de certaines exceptions. «Ma foi, le Maroc ne s’en porte pas plus mal quand des décisions autoritaires sont prises, mais cette loi devrait autoriser certaines exceptions, notamment pour les sacs répondants à des critères précis tels que la taille, la solidité, le biodégradabilité…». Des mesures qui devraient être accompagnées par le renforcement du contrôle et la réorganisation du secteur ainsi que par une éradication de l'informel. Ce qui permettrait au secteur organisé de recouvrer des capacités d'investissement et de développement.


Entretien avec Bouchaïb Kasbane, président de l’Association marocaine des sacs, sachets et films en plastique

 

«Aucune visibilité n’a été donnée aux industriels ni à leurs employés à 150 jours de l’entrée en vigueur de la loi»

 

Éco-Emploi : Les entreprises spécialisées dans la production des sacs en plastique ont-elles la possibilité de se reconvertir dans d’autres activités, notamment la fabrication de sacs non concernés par la loi 77-15 ?
Bouchaïb Kasbane : La grande majorité des entreprises va subir des préjudices par l’application de la loi 77-15, car elle ne pourra pas procéder à la fabrication de sacs non concernés par ladite loi, et ce, du fait que, techniquement, les équipements ne s’y prêtent pas. À cela s’ajoute le fait que le marché des sacs en plastique dont la fabrication est autorisée par cette loi reste très étroit et saturé. Cela ressort clairement dans l’étude réalisée par le ministère de tutelle dans le cadre des écosystèmes industriels de la plasturgie.
Par ailleurs, une machine de production de sacs plastiques ne peut fabriquer ni les sacs en papier ni ceux en tissu. De même, l’ouvrier qui fabrique les sacs en plastique n’a pas les compétences nécessaires pour fabriquer les sacs en papier ou les sacs en tissu. Dès lors, une requalification s’impose pour mettre à niveau les connaissances acquises dans la formation initiale en plasturgie.
À noter également que le papier, décrié dans plusieurs pays, délaissé par les pays les plus avancés en matière d’environnement au profit du plastique et même taxé à la consommation aux États-Unis, semble être le choix de certaines voix au ministère de l’Industrie, mais sans garantie que cette solution soit officielle et définitive. L’éco-balance du papier est la plus médiocre de tous les matériaux (verre, plastique, papier et métal).

Quelles sont les mesures d’accompagnement proposées par le ministère de tutelle et qu'en pensez-vous ?
Aucune visibilité n’a été donnée ni aux industriels ni à leurs employés à 150 jours de l’entrée en vigueur de la loi. Par contre, les professionnels peuvent évoquer un certain nombre de problèmes dont la liste n’est pas exhaustive et pour lesquels l’État doit se positionner avant l’entrée en vigueur de ladite loi. D'abord, résoudre les problèmes que posent les engagements financiers des industriels et de leurs salariés : pour les industriels qui ont contracté des crédits bancaires ou des prêts hypothécaires, l’État doit intervenir auprès des banques et auprès du ministère des Finances pour soutenir ceux qui ne pourront pas se tourner vers d’autres alternatives. Pour les crédits des salariés, ils doivent aussi faire l’objet d’une action de la part du gouvernement.
Ensuite, trouver une issue à la problématique sociale : quelque 50.000 familles au moins vont payer le prix fort sans alternative pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles et cela uniquement dans le formel. L’informel, où la fabrication de sacs est, pour plusieurs centaines de milliers de personnes, une activité génératrice de revenu, connaitra la crise la plus pénible de son histoire. Une crise qui peut se traduire, chose que nous ne souhaitons pas, par une détérioration de la paix sociale et de la sécurité.
À cet effet, le gouvernement doit mettre en place une convention collective permettant aux industriels du sac en plastique de se désengager de leurs salariés. Il incombe à l’État de prendre sur ses fonds les indemnités de licenciement pour arrêt partiel ou total d’activité.

Devant l’imminence de l’application de la loi, quelles sont les mesures prises par les industriels ?
La plus grande majorité sinon la totalité de l’activité de production des sacs et sachets en plastique sera anéantie à l’entrée en vigueur de la loi. Les entreprises alourdies par leurs actuels investissements feront face à la faillite économique et technique du fait de leur incapacité à honorer leurs engagements financiers envers les banques et l’incapacité de produire outre que des sacs en plastique en l’absence d’alternatives.
À cela s’ajoute la confiance des investisseurs qui sera ébranlée par la manière décourageante dont sont prises les décisions au sein du gouvernement. Élaborer une loi et fixer la date de son entrée en vigueur sans réaliser au préalable d’étude sur son impact économique, social et environnemental fait remonter à la surface la question de la confiance de l’investisseur, d’une manière générale, dans le schéma et le mode de prise de décision.
D’ailleurs, n’importe quelle autre alternative aux sacs en plastique sera à la merci du même mode de décision et pourquoi pas être interdite à l’avenir. Aucune garantie ne peut être fournie par les décideurs.

La problématique de l’impact des sacs en plastique sur l’environnement avait déjà trouvé une solution dans le biodégradable. Qu’est-ce qui a mal fonctionné ?
Indépendamment de la pertinence du choix du dégradable comme solution qui reste à la charge de ceux qui ont pris la décision, la loi 22-10 sur les plastiques dégradables était née morte. D’ailleurs, une étude réalisée à la demande du ministère de l’Industrie et des professionnels du secteur par un bureau d’expertise mobilisant des experts internationaux de renommée avait relevé les freins à l’application de la loi qui sont l’informel et la défaillance du contrôle.
L’expertise avait préconisé un indispensable accompagnement des industriels (financier et technique) afin de réussir la transition vers la production des sacs dégradables. Mais l'échec a été au rendez-vous pour maintes raisons. Primo, aucun accompagnement des industriels n’a été fait par les pouvoirs publics malgré moult relances des industriels. Secundo, aucune action n’a été entreprise pour résoudre le problème de l’informel qui a continué à produire les sacs non dégradables.
Tertio, seules les entreprises formelles étaient contrôlées par le ministère de l’Industrie.
Conséquence, une prolifération exemplaire des unités informelles de production des sacs en plastique qui pouvaient produire à un différentiel de prix de revient de plus de 2 dirhams au kilo, dû au surcoût de l’agent de dégradation utilisé et supporté par les entreprises du formel. Bien évidemment, il y a d’autres problèmes d’ordre technique que les cadres qui ont suivi le dossier au ministère de l’Industrie ne peuvent nier.

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