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Un réel enjeu d’intégration économique pour le Maghreb

Notre précédente analyse de la place de l’économie verte au sein des politiques économiques de la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, nous procure une vue sur trois aspects inquiétants des situations de nos trois pays : social, économique et environnemental (voir «le Matin» du vendredi 29 juillet 2016).

Un réel enjeu d’intégration économique pour le Maghreb

Des défis communs
D’abord, et malgré les nuances constatées entre les trois pays sur le plan social, les politiques nationales maghrébines tendent à favoriser la surconsommation, limiter les investissements productifs et sociaux, et accentuer les disparités territoriales. À cela s’ajoutent d’autres carences dont l’insuffisance du ciblage des systèmes de protection sociale, un chômage accru chez les jeunes et la prédominance des emplois précaires chez les catégories les plus fragiles, en particulier les femmes. Ensuite, sur le plan économique, nos trois pays souffrent de maux semblables : extrême dépendance de l’importation pour des secteurs vitaux (produits alimentaires et énergétiques à forte valeur ajoutée), une productivité industrielle insuffisante et sans valeur technologique, une prédominance des exportations de biens primaires, un important secteur informel et le manque de compétitivité des entreprises, majoritairement des PME, avec un accès limité au financement, aux technologies et à l’expertise. Enfin, les trois pays sont confrontés à de grandes contraintes environnementales exigeant des efforts décuplés de la part des États, des entreprises et du citoyen. Aucun pays isolé ne pourra ainsi conjurer cette situation complexe sans une coopération internationale efficace. Nos pays sont face à la fragilité de nos écosystèmes, la raréfaction de nos ressources naturelles et spécifiquement hydriques, la baisse des réserves en ressources énergétiques non renouvelables, le mix énergétique des trois pays qui doit se détacher rapidement des ressources fossiles, la forte vulnérabilité aux changements climatiques et les risques liés à des pollutions croissantes. Nos problèmes sont similaires et nos solutions méritent rapprochement et partage. Si la Communauté internationale a opté pour la solidarité et la coopération multipartite pour lutter contre le réchauffement climatique, nos pays ne doivent pas se priver de rapprocher leurs stratégies pour affronter ensemble les défis liés à la dégradation de notre environnement commun.

Perspectives d’intégration économique : besoin de créativité

S’il y a un secteur où le courage politique et le pragmatisme économique devront l’emporter sur les réticences historiques, c'est bien l’économie verte. Il s’agit là de la survie de l’humanité et par voie de conséquence des populations maghrébines. L’on ne peut plus se payer le luxe de camper sur des positions historiquement dépassées par des défis globalisés. Notre responsabilité collective et historique exige d’aller de l’avant vers une intégration maghrébine économique commandée par la situation critique de nos économies respectives. Orientons-nous alors vers les secteurs verts pour consolider une base commune d’investissements et de partage des expertises. Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie peuvent constituer un bloc exemplaire et mondialement reconnu de partenariat énergétique et de protection de l’environnement. Qui nous empêchera de développer des zones communes de production des énergies renouvelables au moins autour de nos frontières ? Avions-nous évalué le potentiel de gain en ressources hydrauliques si nous lancions des dynamiques communes dans les zones frontalières et des mécanismes de partage des excédents ? Que perdrions-nous si nous élaborons un plan maghrébin de gestion des déchets solides et des eaux usées ?… Le Maghreb des régions économiquement homogènes est l’avenir et la solution optimale pour un développement socioéconomique mutuellement engagé de la part de nos cinq pays maghrébins. Cela paraît actuellement de l’ordre de l’utopie, quand on jette un regard sur l’état des frontières qui nous séparent.

Mais la responsabilité des gouvernants actuels envers les générations futures exige un degré élevé de clairvoyance et d’inventivité politique, économique et institutionnelle.À terme, nos pays seront condamnés à abolir toute forme de fermeture des frontières terrestres. Les souverainetés nationales historiques demeureront intactes, malgré tout, et ce quelle que soit l’architecture que prendront les institutions maghrébines chargées de concrétiser les étapes successives de l’intégration entre les pays et leurs territoires. Se posera alors le défi du développement territorial des zones frontalières. Devra-t-on dès lors songer à établir des schémas maghrébins de développement de ces régions pour le bien commun des populations ? Ou continuerons-nous à ignorer les potentialités extraordinaires de ces zones, malgré leur homogénéité historique et leur complémentarité économique ? La première approche paraîtra alors objectivement plus judicieuse ; et l’économie verte, par tous ses aspects, pourra ainsi constituer un formidable champ de développement territorial, durable et humain.

Il se trouve que notre future proche nous offrira une opportunité inespérée pour élaborer de tels plans ambitieux. Le Maghreb abritera une messe mondiale pour la protection de la planète. La COP 22 se tiendra à Marrakech en novembre 2016, et ce rendez-vous sera idéal pour aborder l’avenir de l’intégration économique maghrébine, à l’aune des défis environnementaux que nous devons affronter ensemble ; que nous le voulions ou non.
Il serait historiquement intelligent que les gouvernements maghrébins profitent de cette occasion pour décliner dès à présent des visions communes pour la production mutualisée des énergies renouvelables, la convergence des stratégies d’efficacité énergétiques et le partage des expertises en termes de lutte contre la pollution. Nos pays pourront ainsi produire un modèle unique avec des économies d’échelle inégalées et des perspectives de création de richesses et d’emplois tout à fait atteignables.

Le littoral commun, une chance pour les Maghrébins

Par ailleurs, les Maghrébins ont toujours été attachés, à travers l’Histoire, à leur littoral commun. La Méditerranée et l’Atlantique constituent un bien partagé pour le Maghreb géographique et historique. Et vu les dangers qui guettent notre richesse maritime, nous serons condamnés à faire converger nos réflexions et nos actions pour sa préservation. La lutte contre la pollution de nos eaux maritimes ne doit en aucun cas être compromise par des différends politiques. Et puis, nos frontières maritimes ne sont fermées à aucun endroit de l’espace maghrébin. Ne pourrions-nous pas ainsi profiter de cet atout pour faire preuve, pour une fois, de créativité collective et valoriser un secteur à fort potentiel économique, social et écologique ?
Il y a là différents angles pour élaborer une politique économique maritime commune. La pêche et l’aquaculture peuvent en constituer un pan durable et potentiellement intégrable. La part de ce secteur dans les échanges intermaghrébins reste en deçà des attentes et des capacités constatées. Pour pallier ce déficit, nos pays peuvent mettre en place des mécanismes maghrébins de coopération pour :
• Renforcer et harmoniser les dispositifs réglementaires et les cadres juridiques.
• Identifier des zones aquacoles maghrébines communes le long du littoral.
• Adapter et promouvoir la formation professionnelle commune pour développer les métiers de la pêche et de l’aquaculture.
• Favoriser l’accompagnement des jeunes entrepreneurs.
• Encourager les investissements communs dans le secteur.
• Développer des partenariats communs au niveau international…
Les secteurs maritimes productifs peuvent en effet constituer une piste pertinente, parmi d’autres, pour déclencher de réelles dynamiques de coopération économique intramaghrébine. Nos particularités étant complémentaires et nos spécificités sociales et naturelles logiquement conjugables, il est temps pour nous de faire du pragmatisme économique et environnemental un phare pour nos décisions politiques. Et l’économie verte constituera naturellement une aubaine pour la création de richesses communes aux Maghrébins. L’urgence climatique l’exige et l’espoir populaire le mérite. Vérifions cela à l’occasion de la COP 22, à Marrakech, haut lieu de l’histoire du Maghreb. 

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Par Rabii Leouifoudi,
chercheur en économie territoriale et en géopolitique et président fondateur de l’Union des jeunes euro-maghrébins au Maroc

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