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«Le projet de Dakhla Atlantique va redessiner l’offre portuaire dans le Royaume»

Connaissant le Maroc depuis des années, Régis Toussaint a 30 ans d'expérience comme directeur puis président de COFREPECHE, bureau d'études international en pêche, aquaculture et environnement marin. Il a suivi de près la genèse du projet de Dakhla Atlantique. Dans cet entretien, il présente les atouts et les perspectives de ce nouveau port et les retombées attendues sur la région.

«Le projet de Dakhla Atlantique va redessiner l’offre portuaire dans le Royaume»
Régis Toussaint.

Le Matin : Comment s’est établi votre premier contact avec le Royaume du Maroc ?
Régis Toussaint : Travaillant depuis plusieurs années dans le secteur de la pêche maritime, j’ai constaté l’énorme richesse halieutique dont regorge le sud du Maroc. Je suis donc venu et je me suis installé dans le Royaume que je connaissais très bien et que j’aimais déjà beaucoup. J’y ai créé, il y a 9 ans, une filiale de mon bureau d’étude avec un partenaire marocain, puisque je dirige un bureau à Paris, COFREPECHE. Petit à petit, je me suis intégré dans le développement de la pêche, qui est mon métier, ainsi que l’aquaculture du Maroc. Très vite, je suis allé à Dakhla, que je connaissais déjà. Là, j’ai découvert un potentiel de développement extraordinaire. Je me suis battu au niveau de la Direction nationale des ports pour défendre la construction, d’ici 2030, d’un port sur la façade atlantique. Après, j’en ai fait l’étude de faisabilité pour l’Agence de développement des provinces du Sud. À la fin, S.M. le Roi Mohammed VI a donné ses hautes instructions pour construire ce projet, dont j’ai conçu les grands objectifs.

Comment voyez-vous la conception du projet du nouveau port de Dakhla ?
L’idée est très simple. La baie de Dakhla est unique dans le Royaume. Elle mérite d’être protégée. Son positionnement, sa vocation et celle de son environnement, avec le développement du sport de glisse, le tourisme, et l’aquaculture dans une moindre mesure, doivent être préservés et protégés de la pollution. C’est ainsi qu’est née l’idée de transférer le port îlot de Dakhla et l’activité et l'industrie qui va avec à l’extérieur de la baie. Des recherches ont été lancées, avec l’aide du wali de Dakhla, pour trouver un site favorable à la construction d’un nouveau port sur la face atlantique. On est tombé sur deux sites. L’un au nord de Dakhla et l’autre au Sud. On a choisi le site du nord pour des raisons de proximité de la ville, il s’agit de Ntirift. On a donc étudié la possibilité de construire un port à Ntirift qui aura plusieurs composantes avec trois dominantes. Il s’agit d’un port de commerce, dans le but de désenclaver le territoire. C’est-à-dire permettre aux produits fabriqués à Dakhla, que ce soit ceux de la pêche ou de l’agriculture, au lieu de remonter vers une ville marocaine plus au nord, Agadir en l’occurrence, d’être transformés sur place. Il s’agit ensuite d’un port de pêche avec toutes les activités qui vont avec. Et enfin, il s’agit d’une zone industrielle dédiée aux produits de la pêche de façon à ce que ces produits soient valorisés localement, générant ainsi de la création de l’emploi. C’est cela l’enjeu du nouveau port de Dakhla. Et pour créer un port en plein désert, il faut une ville nouvelle et durable. Il y a donc le projet d’une grande nouvelle ville à Ntirift avec tout ce que cela suppose en termes d’approvisionnement en eau, d’énergie, des voies de communication rapides, etc. Tout cela est prévu dans les plans à moyen et long terme de la région de Dakhla.

Comment voyez-vous les perspectives de Dakhla en relation avec le nouveau port ?
Le port actuel et sa profondeur d’eau sont très limités en termes de capacité. Il est insuffisant par rapport aux perspectives. Il doit y avoir à peu près 500.000 tonnes de débarquées et la perspective c’est de débarquer 900.000 tonnes. Il y a des flottes de pêche qui existent, mais elles ne sont pas toutes adaptées à l’avenir. Il faut les améliorer et réfléchir aux navires du futur. Puis il faut construire des usines pour transformer la production en produits de conserves, congelés et plats cuisinés. Il y a un ensemble de filières à développer. Ensuite, il faudra les commercialiser sur les marchés intérieurs, les marchés régionaux et surtout les marchés de l’exportation vers l’Asie, l’Amérique, l’Europe et l’Afrique.

Qu’en est-il des perspectives du port de commerce ?
Les perspectives c’est de pouvoir accueillir les porte-conteneurs. Ce qui n’est pas possible dans la baie actuellement, qui est limitée à environ 7 mètres de tirant d’eau. De même, l’entrée de la baie est dangereuse. L’objectif est donc de créer un port avec une capacité de 12 mètres de tirant d’eau, ce qui représente un minimum.

Que va gagner, selon vous, la région par l’installation de ce nouveau port ?
Cela permettra de désenclaver la région. Car le port actuel n’est pas un port de commerce. C’est un port de pêche dont les installations ne sont pas adaptées à toutes ces activités. L’objectif est de créer un port complètement adapté au commerce moderne, au transport maritime et à conteneurs ainsi qu’un port de pêche à proximité des usines. L’idéal c’est d’avoir des usines pour transférer le poisson directement des bateaux vers les usines.

Donc, il faudra mettre en place de nouvelles infrastructures pour le port  ?
Le premier investissement ce sera dans l’infrastructure : le port lui-même, la zone industrielle… Le deuxième investissement, ce sera dans le capital humain, c’est-à-dire une ville durable, nouvelle à côté de la zone portuaire. Après, ce seront tous les investissements privés au niveau des usines elles-mêmes et de tous les services (techniques, bancaires, d’assurance...) indispensables et qui seront installés autour de la zone industrielle. Puis il faudra de l’eau, qui ne doit pas être puisée dans la nappe phréatique. Il faudra donc prévoir le dessalement de l’eau de mer. On aura besoin d'énergie… Tout cela est prévu dans les plans. Il faudra ensuite les moyens de transport.

Il existe déjà au Maroc plusieurs ports. Ce nouveau port va-t-il aider à élargir la part de marché ou est-ce qu’il va simplement grignoter celle déjà existante ?
Non, en ce qui concerne le port de pêche, il va augmenter la possibilité de capture. Car Dakhla est la zone la plus riche et la plus dense en poisson. Les réserves de poisson représentent, en gros, plus d’un million 200.000 tonnes par an à pêcher dans cette zone. Ainsi, s’il n’y a pas un port adapté, il n’y aura pas de développement, et c’est pour provoquer le développement que ce port est programmé. Donc, il ne viendra pas en concurrence avec les autres ports.

En est-il de même en ce qui concerne le port de commerce ?
En ce qui concerne le commerce, ce nouveau port aura une petite incidence sur les activités du port d’Agadir. Car actuellement, le flux de matière remonte sur Agadir vers les usines et les produits finis sont expédiés par le port d’Agadir. Nous venons, il y a quelques jours, de faire une étude sur l’avenir du port de pêche d’Agadir et on a démontré que l’impact est relativement faible pour tout un ensemble de raisons. Ainsi, chaque port peut se positionner, d'autant plus qu’il y a un ensemble de ports  : Laâyoune, Boujdour, Dakhla, Mhiriz… Il y a donc un environnement d’offres portuaires qui est en train de se dessiner et qui va l’être autour de Dakhla.

Dans ce contexte, quelle est votre appréciation du développement
de Dakhla ?
Quand je vois l’évolution en 20 ans de Dakhla, je me demande comment le Maroc a fait pour investir autant d’argent à Laâyoune, à Boujdour… C’est un miracle que les pouvoirs publics soient arrivés à le faire et ils ont le savoir-faire pour cela. Je suis venu à Dakhla pour la première fois il y a 20 ans. Je vois la ville d’aujourd’hui. L’essor est extraordinaire. Je trouve extrêmement formidable de voir que le Royaume a réussi à créer une véritable ville en plein désert, dans des conditions extrêmement difficiles.

Est-ce qu’il y a d’autres projets que vous suivez, à part celui de Dakhla ?
Je travaille sur des projets de cités de la mer dans plusieurs villes balnéaires du Royaume. Ces projets, qui visent à provoquer des vocations maritimes, sont destinés surtout aux jeunes pour leur apprendre à faire de la voile par exemple. Au Maroc, il y a des baies abritées, la baie de Dakhla et celle de Marchika à Nador. Deux endroits où l’on peut pratiquer la plaisance. Pour les autres, c'est beaucoup plus difficile, car n'offrant pas des bassins nautiques. Il y a des exemples de ces centres de la mer qui sont bien développés en Europe, marchent très bien et accueillent des milliers de visiteurs. 

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