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À la guerre comme à la guerre !

S'engager dans la révolution digitale peut largement être assimilé à l'art de faire la guerre aux processus et pratiques classiques. Il est donc inutile de rentrer dans cette ère sans être muni de nouveaux moyens permettant aux entreprises de dompter cet «ennemi». Rompre avec les techniques traditionnelles du marketing, de la communication, du lobbying et s’appuyer sur des techniques de disruption, de création, d’innovation et d’influence… s'avèrent être aujourd'hui les défis à relever.

À la guerre comme à la guerre !

Ce n'est plus évident de résister en pleine ère du digital. L’enjeu pour les entreprises est de s’adapter avec ce monde en pleine mutation. Un monde qui leur impose de nouveaux paradigmes en redéfinissant leur business model, leurs approches. Objectif : renforcer leur position et gagner en compétitivité. Il s'agit là de la principale conclusion d’un séminaire organisé les 25 et 26 janvier à Casablanca à l’initiative du cabinet international Trusted Advisors sur le thème «L’art de la guerre digitale» animé par Caroline Faillet, cofondatrice du cabinet Bolero, entrepreneuse du Net et enseignante de la stratégie digitale et l'influence à HEC et au Celsa.

Le choix du sujet n'est pas fortuit, il est même au cœur de l'actualité et motivé par le fait qu’il est temps aujourd’hui de parler de la complexité de l’environnement auquel sont confrontées les entreprises à l’ère du digital. Un environnement qui s’apprête à une certaine guerre imposant de réfléchir à son business model, comme l’a souligné Farid Yandouz, Change & Management Advisor. Rassemblant à la fois cadres & managers des différents départements organisationnels (communication, RH, marketing, systèmes d'information, métiers…), cette rencontre était l’occasion d'aborder des questions d'intérêt commun : quel est le secret d’une stratégie digitale bien réussie ? Quelles sont les solutions qui existent pour maintenir le cap ? Comment mener à bien la révolution digitale ? Comment faire face à sa croissance rapide, qui impacte non seulement les processus, mais également le comportement des consommateurs ?... Autant de questions susceptibles de nourrir une réflexion en profondeur sur des aspects qui touchent les entreprises et leurs parties prenantes au quotidien.

Phénomènes violents

Avant de dévoiler aux participants sa méthode, commenter des cas concrets et émettre les recommandations pratiques essentielles pour la prise de décisions stratégiques, Faillet est revenue sur les différentes étapes de la guerre digitale, les 3 révolutions numériques (1.0, 2.0 et 3.0), ainsi que la manière dont le citoyen-consommateur a été impacté. L’experte a décrit dans sa présentation deux types de guerre liés au numérique : la guerre économique et celle idéologique. La première dite d’extermination, souligne l’experte, vise la destruction, voire l’anéantissement de l’adversaire. «Cette définition décrit bien la confiscation brutale d’une activité économique consécutive à l’arrivée du digital. On parle de hackers ou de nouveaux barbares pour qualifier cette piraterie des temps modernes qui consiste à piller un modèle économique.

Contrairement à une simple innovation concurrentielle, on a, en effet, affaire à des phénomènes violents, dévastant des filières entières en moins de 10 ans avec un effet de surprise où les victimes découvrent, trop tard, quand elles n'en n'ont plus les moyens, les lourds investissements qu'elles auraient dû avoir pour s'adapter. Cette extermination par le digital prend trois formes : désintermédiation, dématérialisation et disruption», écrit l’entrepreneuse du Net dans son livre «l’Art de la guerre digitale, survivre et dominer à l’ère du numérique». Pour cette spécialiste, la guerre est aussi idéologique, celle-ci vise à contrôler et surveiller son action aux noms de certaines idéologies. Elle s’appuie sur l’opinion publique qui lui permet d’exercer sa pression pour avoir «un permis social d’exercer». L’experte ajoute que «chaque guerre éclair fragilise un peu plus l'organisation». Le fait de ne pas prendre en compte les «crises d’images», «les rumeurs», les «agressions» impacte la réputation de l’entreprise et son image de marque. «Le jour où elle souhaitera vraiment être entendue, elle risque alors de se heurter à l'indifférence du public», avertit Faillet.

Du 1.0 au 3.0

Ces trois révolutions numériques sont un passage obligatoire pour se rendre compte de leurs effets sur le consommateur. Du 1.0 où l’internaute découvre le pouvoir de s’informer au 3.0 où il découvre l’exploitation économique de ses liens sociaux en passant par le 2.0 où il découvre le pouvoir de se mobiliser, Faillet a affirmé que «tant que les organisations tenteront de résister à la force de ces révolutions numériques, elles se heurteront à l’opposition citoyenne. Éviter la guerre, c’est donc accepter une forme de lâcher-prise». Elle insiste sur l’exigence de plus de transparence pour répondre au consommateur informé du Web 1.0, plus de dialogue et de nouvelles relations à nouer avec le consommateur mobilisé du Web 2.0 et enfin plus de remises en question sur la qualité de l’expérience client.

Du sang neuf

Pour saisir ces enjeux et tirer son épingle du jeu, la mobilisation est toujours de mise puisqu’elle permet de rassembler les différentes parties prenantes autour d'un seul objectif : détecter l'ensemble des risques et s’y attaquer.

«L'implication du top management est indispensable pour transformer l'organisation. Le porteur de la vision digitale de l'entreprise sera donc au Comex ou ne sera pas ! Cette proximité avec la direction générale est indispensable pour donner toute sa légitimité à l'action, lancer des stratégies digitales ambitieuses, briser les silos dans l'organisation et affronter les jeux d'influence internes, impliquer les équipes sur la réactivité et l'organisation de la transversalité», explique Faillet dans son ouvrage.

Selon cette spécialiste du digital, «l'enjeu de transversalité implique que le digital ne soit pas cantonné à un service, une unité de lieu. En effet, le digital n'est pas un média, ni même un canal de vente, c'est un sang neuf qui doit couler dans tous les organes de l'entreprise pour revisiter tous les métiers et moderniser toutes les procédures». Une idée partagée par Saâdia El Moumni, responsable formations digitales au sein de la direction des RH de Lydec, qui a déclaré à «Éco-Emploi» que «la réussite du projet e-learning dépend de l’implication du top management et de l’inscription de cette modalité dans la stratégie de l’entreprise. L’accompagnement des utilisateurs est aussi un élément fondamental. Plus le contenu est générique et plus l’accompagnement est nécessaire : langues, bureautique, management...»

Les facteurs influenceurs

Un autre point, qui suscite un intérêt grandissant, concerne les facteurs de domination. Ils sont au nombre de quatre : développer la cooptation, exploiter la technologie, défier les modèles établis et pratiquer l’union nationale. Le premier facteur implique que la voix du client doit être bien entendue. «Aucune organisation n'osera dire qu'elle n'est pas centrée sur le client, qu'elle n'est pas à l'écoute ni prête au dialogue», fait savoir Faillet, pour qui le succès des nouveaux modèles économiques montre qu’une organisation doit être connectée en temps réel
à son marché.

L'innovation est également reconnue comme facteur dominant via l’exploitation de la technologie.
L’experte recommande d’itérer le modèle initial et l’améliorer progressivement en intégrant les retours utilisateurs (feed-back). «Cette approche data-driven, c’est-à-dire objectivée par les données, implique que les professionnels du marketing cessent de chercher à passer des messages produits à des cibles qu’ils ont eux-mêmes définies, mais qu’ils commencent plutôt à observer et à écouter les usages et centres d’intérêt des clients. Ils doivent passer du statut d’annonceur à celui de veilleur», ajoute-t-elle. Le troisième facteur renvoie à l’évolution de la notion de valeur à l’ère digitale. Et enfin le dernier facteur, celui de l’union nationale. Celui-ci suppose que les frontières n'existent plus entre les populations qui échangent sur les réseaux sociaux. Un autre paramètre décisif dans la réussite de cette transformation est de développer des stratégies de disruption et d’influence pour renforcer leurs positions et gagner en performance en usant de 5 stratagèmes (occupation de terrain, lobbying auprès des influenceurs, cooptation des ambassadeurs, viralisation de contenus, ou encore, notoriété des contenus et services) avec tactique et connaissance du terrain.
«Une stratégie digitale performante intercepte donc naturellement le futur client et le retient le plus longtemps possible. Sun Tzu aurait dit “Ne te disperse pas et concentre tes troupes au bon endroit pour user avec parcimonie de tes forces”», conclut-elle. 


Laila Ahlafi Mhaimdat, directrice du digital à BMCE Bank Of Africa

«Au sein du groupe BMCE Bank, notre transformation digitale a commencé depuis 2002, voire un petit peu avant. C'est un travail de très longue haleine qui se construit dans le temps. En fait, on a construit plusieurs strates, donc différentes couches de travaux que ce soit sur les infrastructures ou sur tous les métiers du digital, d'une manière générale. Et puis tout récemment, depuis fin 2015, nous avons lancé un grand projet de refonte multicanal qui a impliqué toutes les entités de la banque d'une manière transverse pour revoir tous nos process et être au mieux à la disposition et en convergence par rapport aux besoins de nos clients qui se digitalisent de plus en plus, que ce soit au Maroc ou à l'étranger».


Saâdia El Moumni, responsable formations  digitales au sein de la DRH-Lydec

«Nous avons lancé en 2016 une consultation pour l’accompagnement à la mise en œuvre du projet de digital learning à Lydec. Pourquoi le e-learning au sein de Lydec ? Pour être en phase avec la stratégie de développement du capital humain de Lydec, mieux maîtriser l’offre de formation, sa diversification et sa généralisation (à l’ensemble des collaborateurs), adapter les compétences aux emplois, capitaliser sur les expertises internes de Lydec, rendre les formations en salle plus efficaces et disposer d’un outil de pilotage de la formation (grâce à la plateforme). Le e-learning est une opportunité réelle pour Lydec : “capitaliser sur le savoir-faire de Lydec et donner une réelle opportunité de positionnement de la formation et du Centre de formation professionnelle”. Ainsi, en procédant progressivement à sa révolution digitale, via le mode connecté, Lydec va impacter le fonctionnement de plusieurs métiers et de fait un grand nombre de collaborateurs. Le e-learning peut s’inscrire pleinement dans la conduite de changement à ce niveau».


Entretien avec Caroline Faillet, entrepreneure du Net et enseignante de la stratégie digitale et l'influence à HEC et au Celsa

«La seule bonne stratégie digitale est celle qui permet de se positionner sur les parcours d’influence des prospects»

Éco-Emploi : Parler de guerre digitale suppose qu'il y a confrontation entre deux ou plusieurs clans. Qu'elles sont les parties impliquées dans cette guerre ?
Caroline Faillet : La guerre digitale résulte de rapports de force et de renversements de pouvoir entre, d’un côté, les autorités scientifiques, économiques, médiatiques et, de l’autre, le consommateur-citoyen. Celui-ci a, au gré des 3 révolutions numériques, appris à maîtriser l’arme digitale : depuis le Web 1.0, le web des moteurs de recherche, il a la capacité de vérifier l’information émise par les organisations ; avec le Web 2.0, le web des médias et réseaux sociaux, il a la possibilité de dénoncer, de se mobiliser ou encore de boycotter. Enfin, le Web 3.0, le web des données, il détient le pouvoir de plébisciter le service concurrent qui crée un nouveau standard d’excellence et met en péril les business models traditionnels. Bashing, bad buzz, rumeurs et ubérisation sont les manifestations de cet empowerment citoyen. Certaines organisations résistent et se défendent en utilisant leurs armes d’antan, l’opacité et les démonstrations de force que sont la publicité et le juridique. D’autres ont compris qu’il fallait au contraire accompagner cet empowerment citoyen pour mieux le maîtriser. C’est le cas des «ubérisateurs» de business model, mais aussi de groupements, d'associations, d'activistes qui savent utiliser ce nouveau pouvoir citoyen au service de leurs causes.

Cette guerre du digital a bien commencé. Quelle stratégie mettre en place pour gagner et remporter le défi ? Devrait-on se suffire d'une réforme des méthodes de travail ?
La seule bonne stratégie digitale est celle qui permet de se positionner sur les parcours d’influence
des prospects.
Un «parcours d’influence» est le cheminement de l’internaute sur la Toile qui l’amène à avoir une opinion ou à prendre une décision. Il n’y a pas un unique parcours d’influence, mais autant de parcours que de cibles. Si vos prospects ne croisent jamais votre entreprise lors de leur navigation, que ce soit sur Google ou sur les réseaux sociaux, vous n’avez aucune chance d’avoir la moindre emprise sur leur opinion et sur leur comportement.

Les entreprises sont-elles conscientes de la nécessité de s'armer de la formation ?
Les entreprises sont en train de désapprendre 50 ans de leçons de marketing martelant que c’est la puissance et la répétition d’un message qui font vendre alors que, depuis les révolutions numériques, il faut remplacer la puissance par la personnalisation et la répétition par l’expérience client. La prise de conscience des entreprises à ce sujet est encore inégale et fragile. De plus, l’enjeu de transformation est tel qu’il ne peut être résolu par la seule formation.
Des managers ont juste besoin d'être sensibilisés, certains collaborateurs doivent s’approprier les bonnes pratiques, d’autres encore sont tenus de revoir leurs méthodes de travail, d’autres enfin doivent penser différemment tandis que tous sont dans l'obligation de rester motivés
et mobilisés. Toute la palette des techniques de conduite du changement va être activée, selon les publics, pour répondre à l’ampleur de la tâche : formations bien sûr, mais aussi «learning expeditions», conférences à TEDx qui font réfléchir, mise en situation, reverse mentoring, benchmark de sociétés comparables, événements internes…

Vous avez intitulé la dernière partie de votre livre «Qui veut la paix évite la guerre». Comment être en paix
avec le monde du digital ?
Un proverbe chinois dit : «Quand le vent du changement se lève, les uns construisent des murs, les autres des moulins à vent». Tant que les organisations tenteront de résister à la force de ces révolutions numériques, elles se heurteront à l’opposition citoyenne.
Éviter la guerre, c’est donc accepter une forme de lâcher-prise : plus de transparence pour répondre au consommateur informé du Web 1.0, plus de dialogue et de nouvelles relations à nouer avec le consommateur mobilisé du Web 2.0 et enfin plus de remises en question sur la qualité de l’expérience client, voilà ce qu’exige maintenant la concurrence des business models imposée par le web 3.0. Et le consommateur-citoyen n’est pas le seul à avoir vécu ces révolutions : le collaborateur également. D’apprenante à collaborative, voilà que l’entreprise doit être maintenant agile pour faciliter la vie de ses collaborateurs autant que celle de ses clients. Tout cela impose aux directions de sortir de leur tour d’ivoire. Non pour aller seulement faire un voyage dans la Silicon Valley, mais pour aller à la rencontre du client et des collaborateurs et écouter ce qu’ils ont à dire. 

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