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Approvisionnements : la valeur de la fidélité en affaires

Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Approvisionnements : la valeur  de la fidélité en affaires
Il est important d’envisager la relation dans une logique de partenariat à long terme, où l’entreprise est l’extension de ses fournisseurs .

Les réflexes traditionnels des acheteurs sont de négocier les prix d’achat les plus bas et les délais de paiement les plus longs. C’est ce qui fait leur performance aux yeux de leur hiérarchie. Or, bien souvent, ces négociations tournent à l’épuisement des fournisseurs et à la défaillance des plus fragiles d’entre eux. Ceux qui résistent sont les plus solides financièrement et non ceux qui ont un savoir-faire avéré. Ainsi, ce que gagne l’entreprise financièrement (marges et trésorerie), elle le perd en stabilité et en qualité de l’expérience clients. L’ennui est que son gain est éphémère, alors que sa perte est durable.

La stabilité avant la compétitivité

La politique d’approvisionnement est la force de frappe de beaucoup d’entreprises. Disposer de fournisseurs solides et stables permet d’avoir une avance considérable sur la concurrence. Et pour cause, au-delà de la qualité des intrants, de la compétitivité des coûts de revient et de la maîtrise des délais, la stabilité des fournisseurs garantit à l’entreprise la permanence d’une bonne expérience client. Imaginons un restaurant qui change continuellement ses fournisseurs ; et l’impact de cette politique sur le goût de ses plats et donc sur la satisfaction de ses clients. Vue sous cet angle, la valeur des bons fournisseurs peut dépasser celle des clients, dans bien des métiers. Il est certes important de diversifier ses sources d’approvisionnement, mais uniquement dans une optique préventive et pour faire jouer la concurrence.
En la matière, on ne le dira jamais assez : quelques partenaires fidèles de longue date valent mieux que plusieurs fournisseurs instables, même s’ils offrent de meilleurs prix. Or souvent, les négociations de l’entreprise avec ses fournisseurs se bornent à la réduction des prix et à l’extension des délais de paiement. Bien que pareille attitude soit justifiée et même salutaire dans les affaires, mais poussée à l’extrême, dans le cas d’un rapport de force favorable à l’entreprise, elle peut s’avérer préjudiciable. Les managers doivent négocier, mais sans étouffer. Les dirigeants doivent sensibiliser leurs collaborateurs au nécessaire équilibre entre coûts bas et pérennité ; et au fait que la perte d’un bon fournisseur peut être plus onéreuse que celle d’un client fidèle ou d’un collaborateur talentueux.

En effet, le changement fréquent d’intrants peut conduire à modifier les caractéristiques, les attributs ou encore les délais de réalisation des produits. La qualité de la relation de l’entreprise avec ses clients peut s’en trouver considérablement affectée.
Les managers avisés doivent veiller à renforcer leurs bons fournisseurs et les aider dans les moments difficiles à traverser les crises qui peuvent les toucher (accélération des délais de paiement pour soulager leur trésorerie, maintien des prix d’achat à un certain niveau pour préserver leurs marges, formation des collaborateurs du fournisseur aux normes d’approvisionnement de l’entreprise pour fluidifier les relations, etc.). Il est important d’envisager la relation dans une logique de partenariat à long terme, où l’entreprise est l’extension de ses fournisseurs. La séparation ne doit être prononcée que dans deux cas. Le premier est celui de la défaillance d’un fournisseur que l’entreprise doit naturellement tout faire pour éviter.
Le second est quand le cœur de la relation est atteint, à savoir la confiance. En dehors de ces deux cas, les autres éléments techniques de la relation peuvent toujours faire l’objet de discussions et donc être améliorés continuellement.

Parfois, les conflits avec les fournisseurs sont salutaires, car ils témoignent d’un partenariat sain et non indifférent. Ils sont même l’occasion d’opérer des progrès sensibles dans le fonctionnement au quotidien. Un bon responsable des approvisionnements n’est pas uniquement celui qui négocie des prix bas, mais celui qui dote son entreprise des fournisseurs les plus solides et les plus fidèles, dont la valeur dépasse souvent celle des fournisseurs compétitifs. Cette leçon de saine gestion, un importateur marocain de fruits secs l’a apprise à ses dépens. En effet, il a réussi à négocier d’excellents prix d’achat auprès d’un fournisseur étranger, mais le responsable des approvisionnements n’a pas fait attention à ses capacités de production. Résultat, quand la demande sur les produits de l’entreprise a explosé, ce nouveau fournisseur a été dans l’incapacité de suivre le rythme. Ceci s’est traduit par un allongement des délais de livraison jusqu’à la rupture, laissant beaucoup de distributeurs de l’entreprise sans produits, en pleine haute saison. Les conséquences de cette situation ont été catastrophiques sur toute la chaine, jusqu’aux clients finaux.

Le prix du savoir

Outre la stabilité du partenariat, les managers doivent investir dans la connaissance des fournisseurs, à travers deux actions. D’abord, une reconstitution des coûts de revient des principaux intrants pour bien négocier les prix d’achat. Les acheteurs qui se livrent à cet exercice voient leur pertinence considérablement augmenter dans les négociations, ce qui leur permet de faire des contre-offres crédibles, car fondées sur des bases rationnelles. Avant de sous-traiter l’aménagement de son réseau d’agences, une compagnie d’assurance a fait aménager par ses collaborateurs, en charge du projet, une agence pilote. Ceci lui a permis de faire d’une pierre plusieurs coups : connaître le coût approximatif de l’aménagement d’une agence, les délais de réalisation et surtout les problèmes d’exécution. En phase de déploiement, les fournisseurs ont eu en face d’eux une équipe qui connait son sujet, ce qui a fortement accéléré le processus. La deuxième action à mener par l’entreprise est la mise en place d’une base de données fournisseurs la plus riche possible (fournisseurs actuels et prospects). Ceci est de nature à lui assurer une continuité du service, en cas de défaillance d’un de ses fournisseurs et de renforcer ses capacités de négociation des termes de contrats d’approvisionnement. Dans certaines entreprises, le fichier des fournisseurs est plus sensible, et donc plus protégé que le fichier des clients. Car si l’objectif de l’entreprise est la satisfaction du client, cela passe nécessairement par la qualité des fournisseurs.

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