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Franc CFA : L’Afrique se réveille…

L’actualité monétaire en Afrique est très riche en ce début d’année 2017. Tout d’abord, les huit pays membres de l’UEMOA découvriront cette année le e-CFA, la version numérique du billet physique du franc CFA émis par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et testé par le Sénégal (voir encadré). Mais ce qui retient le plus l’attention en ce mois de janvier c’est la mobilisation des Africains en Afrique et au sein de la diaspora pour demander la fin du france CFA. Par le biais de plusieurs conférences organisées la même journée à Abidjan, Bruxelles, Dakar, Londres, Ouidah et Paris, le samedi 7 janvier, les intervenants dénonçaient «les effets pervers de cette monnaie postcoloniale» et réclamaient «la fin de la servitude monétaire».

Franc CFA : L’Afrique se réveille…
Ph. Fotolia

La monnaie est étroitement liée à la géopolitique, elle est la manifestation de la puissance. Battre une monnaie constitue le premier droit régalien. La monnaie serait donc le pilier de la souveraineté qui permet de mettre en œuvre toute politique de développement et d'émancipation. Souveraineté, émancipation et développement ont tous guidé le choix des Anglais pour ne jamais faire partie de la zone euro. Les Allemands, à leur tour, n'ont pas changé de monnaie, mais simplement le nom de leur monnaie.

En effet, l'euro a la même valeur que le mark allemand et l'euro est toujours produit par la Banque centrale de Frankfort. La France, quant à elle, avait certes perdu sa monnaie, mais disposait du moyen de compenser cette perte par le biais du rattachement du franc CFA à l’euro à travers le Trésor public français. Les pays africains qui utilisent le FCFA subissent les fluctuations du cours de la monnaie unique européenne sans pouvoir intervenir. Cette situation signifie que si la conversion entre l’euro et les monnaies étrangères fluctue, les recettes des pays africains de la zone franc subissent des fluctuations de leur monnaie, étant donné que les recettes de leurs exportations doivent être converties en euro avant de l’être en francs CFA. Plus clairement, les pays africains de la zone franc n’ont pas le contrôle de leur politique de change.

La zone du franc CFA est une union de coopération monétaire dont le contrôle se fait depuis Paris et où les États satellites, membres de cette zone, sont des pays d’Afrique occidentale et centrale. Plus d’un s’accordent sur le fait que cette zone est un sous-système monétaire dont la France tire un gros profit aux dépens de la souveraineté et du développement des pays et des zones économiques qui adoptent le FCFA. La symbolique du maintien très visible d'un rapport colonial est très forte. La valeur externe de cette monnaie est donc déléguée à une entité extérieure, le Trésor français qui bénéficie de ces devises pour son propre financement, plus précisément le financement d’une fraction de la dette publique française. Une telle situation n’est pas sans rappeler celle des États de l’Europe de l’Est qui sont restés liés à l’ex-Union soviétique par le biais du Pacte de Varsovie à l’époque de la Guerre froide.

La restriction de la liberté des pays de la zone franc dans le domaine de la politique monétaire est décrite à juste titre par nombre d'observateurs comme inadmissible. Les pays de la zone CFA doivent verser un lourd tribut pour jouir d’une parité fixe. Les banques centrales de chacun des 15 pays qui ont adopté cette devise doivent déposer 50% – le taux était de 65% avant 2005 – de leurs réserves monétaires sur le compte dit «d’opérations» du Trésor français. En 2015, le dépôt de la BEAC (Banque centrale de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, UEMOA) et de la BCEAO (Banque centrale de la Communauté économique et monétaire des États de l'Afrique centrale, CEMAC) dans les coffres du Trésor français représentait environ 14 milliards d’euros. Ces milliards d’euros sont placés et rapportent des millions.

Des voix pourraient s'élever pour dire que les Banques centrales africaines perçoivent des intérêts, mais à quel taux ? Des taux relativement bas, comparés aux taux conséquents auxquels la France prête à ces mêmes pays. De surcroît, les principes de convertibilité et de libre circulation des capitaux (voir encadré) favorisent la fuite des capitaux de l’Afrique vers la France. Ce coût économique important que supporte la zone franc CFA pour bénéficier d'une stabilité monétaire empêche un développement endogène dans la zone.
La question qui se pose : pourquoi perpétuer un tel système ? La stabilité monétaire de ces économies est l’argument de taille. Or l’arrimage au franc puis à l’euro n’avait pas empêché la dévaluation du FCFA dans les années 1990. Nonobstant la clause de découvert illimité, la France avait ordonné sa dévaluation. Ce dernier avait subi une dévaluation de 100%. Avant la dévaluation, 1 franc français s’échangeait contre 50 francs CFA. En 1994, 1 FF s’échangeait contre 100 FCFA. Une décision unilatérale qui dénote la mainmise de la France sur la politique monétaire de la région.
Nous sommes tous d’accord que la stabilité financière, les facteurs de solidarité et la prévisibilité sont les maitres mots dans une économie mondialisée.

Avoir des monnaies communes exprime la solidarité entre les pays, donne une prévisibilité aux investisseurs et à l’ensemble des agents économiques et donc représente un facteur de relative stabilité. Certes, les pays de la zone CFA ne seraient pas en mesure de maintenir eux-mêmes la parité fixe avec l'euro. Mais en ont-ils vraiment besoin ? Le Maroc, à titre d’exemple, a atteint une certaine stabilité et une prévisibilité certaine à travers la définition de sa parité au-delà d’une simple relation à une devise, mais à un panier de devises.
Quand le Royaume échange avec des pays de l’UEMOA ou de la CEMAC, la stabilité est assurée entre la devise marocaine et les devises en usage dans ces communautés économiques régionales.
En général, l’investisseur ne se demande pas si l’euro est surévalué quand il fait 1,45 ou sous-évalué quand il fait 0,80 contre le dollar, il cherche tout d’abord la visibilité avant l’ajustement. Il est plus judicieux d’avoir une monnaie commune que de ne pas en avoir, mais en parallèle il faut instaurer des règles de stabilité de façon à avoir un serpent monétaire africain en vue de réduire l’incertitude. De surcroît, le pouvoir monétaire dans la zone franc est entre les mains des Banques centrales, des ministères et des banques marocaines qui sont devenues leader des marchés bancaires de la zone franc.

La situation monétaire actuelle en Afrique est telle que l’appréciation du dollar et la dévaluation du yuan assurent pour le continent une compétitivité monétaire meilleure. Compte tenu de ces réalités, le débat doit se faire à très grande échelle, en Afrique et dans le reste du monde pour trouver le moyen de sortir de cette «servitude monétaire» qui n’a pas l’air de servir les intérêts des quinze pays de la zone franc CFA, dont onze sont classés parmi les pays moins avancés par les Nations unies. 


Qu’est-ce que le franc CFA ?

Le franc CFA est la dénomination de la monnaie commune de 14 pays africains membres de la zone franc. Il s’agit des états suivants :
Le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, qui constituent l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont l’Institut d’émission est la BCEAO ;
Le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, qui constituent la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), dont l’Institut d’émission est la Banque des états de l’Afrique centrale (BEAC).

Historique

Le franc CFA est né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire internationale (FMI). Il signifie alors «franc des Colonies Françaises d’Afrique».
Il prendra par la suite la dénomination de «franc de la Communauté Financière Africaine» pour les Etats membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), et «franc de la Coopération financière en Afrique centrale» pour les pays membres de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC).

Convertibilité

• Garantie en franc français par le Trésor français
• Possible en devises à travers le marché des changes de Paris, avec le franc français comme étalon
• Liberté totale des transferts au sein de la Zone Franc
• 2 août 1993 : suspension par la BCEAO du rachat des billets de son émission exportés hors du territoire des pays africains membres de la zone franc.
• 17 septembre 1993 : entrée en vigueur de la décision des Autorités de la Banque des états de l’Afrique centrale (BEAC) de suspendre le rachat des billets de leur émission exportés en zone UMOA.
• 20 décembre 1993 : suspension par la BCEAO du rachat des billets de son émission détenus en Zone UMAC.


FCFA : Des Colonies françaises d’Afrique à la Communauté française d’Afrique

Par CFA, il faut comprendre franc de la Communauté française d’Afrique en 1958. Il s’agit de la nouvelle dénomination, car au début elle s'appelait Colonies françaises d’Afrique. Depuis 1945, le franc CFA est l’un des principaux moyens de paiement en Afrique, utilisé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. C’est une monnaie arrimée à l’euro par un système de parité garantie par la France. Le franc CFA est la monnaie commune à 14 pays africains situés au sud du Sahara. En Afrique centrale, les 6 pays de la CEMAC partagent le franc de Coopération financière africaine tandis que les 8 pays de l’UEMOA partagent le franc de Communauté financière africaine. Et tous ces pays ont signé chacun un accord de coopération avec la France.
Lié auparavant au franc français, le CFA est aujourd’hui directement lié à l’euro, c’est-à-dire que la valeur du franc CFA sur les marchés mondiaux dépend de celle de l’euro. Du fait de sa parité fixe, la valeur du franc CFA évolue de façon parallèle à celle de l’euro. Il convient de rappeler à ce niveau que la zone franc compte par ailleurs un quinzième membre, l’archipel des Comores, dont la monnaie a toutefois une parité différente de celle des 14 autres pays, ainsi que la France, liée statutairement à l’ensemble de la zone.

Les trois piliers qui perpétuent la zone franc

La zone franc, au sens strict est fondé sur trois piliers :

Pilier 1 : un système de change fixe déterminé par le Conseil des ministres où l’Union européenne, à travers Paris, conditionne le taux de change nominal, influence les taux d’intérêt et les taux d’inflation et donc le taux de change effectif bilatéral. C’est en France que le taux de change du franc CFA se décide, et ce à travers un accord de coopération monétaire qui garantit la convertibilité du franc avec la monnaie européenne, de façon illimitée. Avec la disparition du franc français et la création de l’euro à taux fixe, jusqu’à la prochaine dévaluation, 1 euro vaut 655,957 FCFA.

Pilier 2 : des Unions monétaires caractérisées par une monnaie commune, des Banques centrales multinationales et une unité de la politique monétaire.

Pilier 3 : un espace monétaire et financier tutélaire où le Trésor garantit la convertibilité des francs CFA grâce aux comptes d’opérations, incite au respect des règles et favorise la crédibilité de la politique monétaire.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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