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Gestion des opérations : le secret des grands

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Gestion des opérations : le secret des grands
Dans tous les métiers, de l’agriculture aux industries, de la banque et des assurances au tourisme et aux transports, le secret des grandes entreprises est la maîtrise des opérations.

L’entreprise reste prisonnière de sa taille, jusqu’au moment où elle met sur pied l’organisation nécessaire au déploiement de son produit à grande échelle. C’est la différence entre, par exemple, une enseigne mondiale de restauration rapide et le fast-food du coin de la rue. Ce dernier peut servir des menus de meilleur goût que la première, mais ça ne lui sera pas suffisant pour connaître le succès. L’industrialisation est davantage dans l’organisation des usines que dans les réussites des laboratoires. C’est valable pour les entreprises et ça l’est également pour les pays. La différence entre un artisan et un industriel est dans la gestion des opérations.

Au-delà du produit, le processus

Beaucoup de petites entreprises disposent de produits de meilleure qualité que des multinationales du même secteur ; et pourtant, elles n’arrivent pas à grandir au-delà d’une certaine limite. Et cette limite, c’est leur capacité à gérer des opérations à grande échelle. Autrement dit, leur inaptitude à passer du stade artisanal au stade industriel. C’est valable pour les entreprises et ça l’est également pour les pays.

La révolution industrielle est d’abord une rupture dans les modes de gestion des opérations. Par opérations, il faut entendre l’ensemble des processus d’approvisionnement, de transformation et de distribution qu’une entreprise déploie pour fabriquer un produit et le faire parvenir à ses clients. Dans son ouvrage fondateur des sciences économiques modernes : «Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations» (1776), Adam Smith explique cette richesse par la division du travail et l’explosion de la productivité qui en a résulté. Tous les progrès ultérieurs du capitalisme ont été rendus possibles grâce à des ruptures dans le mode de gestion de la transformation : le Taylorisme, le Fordisme, la Qualité totale, et plus récemment le Business Process Reengineering et le Lean Management.

À l’échelle microéconomique, le savoir-faire d’une PME atteint ses limites face à son incapacité à le déployer à l’échelle industrielle. Ainsi, une bonne cuisinière peut préparer d’excellents plats, mais elle serait incapable de gérer un restaurant et, encore moins, une usine de ces mêmes plats surgelés. Ce n’est pas tant le savoir-faire qui lui manquerait, mais la capacité de le transformer en processus industriel.

Dans tous les métiers, de l’agriculture aux industries, de la banque et des assurances au tourisme et aux transports, le secret des grandes entreprises est la maîtrise des opérations. Quand Renault ou Peugeot ouvrent leurs usines au Maroc, elles apportent dans leurs bagages, outre le savoir-faire nécessaire à la fabrication d’un moteur ou d’une boîte à vitesses, les processus de travail et d’organisation des chaines de production pour en fabriquer des milliers à des coûts compétitifs. D’un point de vue industriel, la valeur n’est pas dans le produit, mais dans les processus.

La maîtrise des opérations : un processus qui s’acquiert

Avant d’être une question d’organisation scientifique de processus opérationnels, le passage à un stade industriel nécessite un changement dans la mentalité des dirigeants. En effet, la taille artisanale offre le confort de la maîtrise et du contrôle. Passer à un niveau industriel plonge ces mêmes dirigeants dans l’incertitude liée à l’adoption de nouvelles méthodes de management qu’ils ne maîtrisent pas et donc l’angoisse, réelle ou supposée, de devenir les otages de ceux qui détiennent ce savoir-faire. Cette mutation prend souvent la forme d’un conflit générationnel entre des aînés qui présentent les changements des méthodes d’organisation comme un risque pour toute l’entreprise ; et des jeunes qui voient ce risque dans l’inertie et le statu quo au profit des concurrents.

La différence entre les entreprises qui atteignent le stade industriel et celles qui restent artisanales réside souvent dans la manière dont ce conflit est géré. La gestion des opérations est un ensemble de techniques que toute entreprise peut acquérir, si elle y met la volonté et les moyens. Pour ce faire, elle peut procéder en trois actes. Le premier est celui de la prise de conscience de la nécessité d’adopter une approche moderne de gestion des opérations. Le deuxième est le recrutement de collaborateurs expérimentés dans la transformation industrielle et ayant des références solides, en la matière, quitte à aller les chercher de l’étranger quand il le faut. Nous seulement il faut les repérer, mais il faut leur préparer l’environnement de travail requis et leur donner la liberté de gestion et de décision nécessaire à une mission compliquée de déploiement à une échelle globale. En d’autres termes, mettre à leur disposition ce dont ils ont besoin et les laisser travailler.

Le troisième acte, est la mise en place d’un vaste chantier de transfert de ce savoir-faire industriel, à l’échelle de toute l’organisation, pour passer de l’individuel à l’institutionnel. Désormais, le savoir doit appartenir à l’entreprise, en tant qu’entité et non être la somme des savoirs des individus qui la composent. Il y a donc lieu d’investir dans la documentation exhaustive de tous les processus, les procédures et les instructions de travail et dans la formation régulière de nouveaux collaborateurs, pour déconcentrer le savoir et le diffuser au sein de toute l’organisation.

Un pays peut faire des ruptures technologiques de taille dans ses laboratoires de recherche, il ne passera au stade d’économie industrialisée que si ses usines arrivent à maîtriser, à une grande échelle, le processus de transformation, et plus généralement, le management des opérations. À méditer pour notre émergence industrielle.

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