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La malédiction de la richesse humaine

Lors d’une conférence de presse en marge du G20, le Président français Emmanuel Macron a attribué le retard du développement de l’Afrique, entre autres, à sa dimension purement démographique estimant qu’avec 7 à 8 enfants par femme, il n’est pas possible de relever les défis du développement d’un continent qui continue à alimenter les fantasmes entre «afrophiles» et «afrosceptiques». Mais la démographie est-elle le seul handicap à lever pour que l’Afrique décolle ? Analysons !

La malédiction de la richesse humaine
La théorie de contrôle des naissances, comme préalable au développement, avait le vent en poupe dans les années 1960, mais les faits observés un demi-siècle plus tard lui apportent un démenti cinglant.

Quelques faits pour commencer

Avant d’aller plus loin dans l’analyse, précisons que le taux de fécondité en Afrique est de 4,7 enfants par femme ; le pays africain le plus fécond dans le monde, à savoir le Niger, est à 6,7 enfants par femme. Dans certaines régions du continent, notamment en Afrique de l’Ouest, ce taux n’est que de 2,8. Au Maroc, le Haut-Commissariat au Plan vient de publier une étude sur la transition démographique dans notre pays à l’occasion de la 27e Journée mondiale de la population, où il fait ressortir un taux de fécondité de 2,2 enfants par femme en 2014 (contre 7 au cours des années 1960). Sachant que, selon les démographes, le seuil de renouvellement des générations serait, toutes choses étant égales par ailleurs, de 2,05 enfants par femme, nous serions passés en dessous de ce seuil dans les villes. C’est ce qui explique, entre autres, tous nos problèmes de retraite et de dépendance. Mais ça, c’est un autre sujet.
Ainsi, selon les chiffres exposés, l’Afrique est loin des 7 à 8 enfants par femme, et dans certains pays comme le nôtre, on a déjà achevé notre transition démographique. Et pourtant, toujours pas de développement ! Pour un pays comme le Maroc, nous avons la structure démographique d’un pays avancé, mais l’économie d’un pays sous-développé. La théorie de contrôle des naissances, comme préalable au développement, avait le vent en poupe dans les années 1960, mais les faits observés un demi-siècle plus tard lui apportent un démenti cinglant. Ainsi, beaucoup de pays ont réduit significativement la croissance de leurs populations, mais n’ont jamais emprunté les chemins du développement économique.

Quels sont alors les maux de l’Afrique ?

À l’instar de beaucoup de pays en développement, l’Afrique souffre d’un retard de développement parce qu’elle est riche en ressources naturelles. Comment expliquer ce paradoxe ? En effet, pour qu’un pays génère de la croissance et crée donc de la richesse, il lui faut des ressources naturelles qu’il pourra mettre en valeur (grâce à son savoir-faire technique et à la qualification de son capital humain), en vue de fabriquer des produits et services, qu’il vendra à l’intérieur de son territoire national et/ou au reste du monde. La finalité est de générer des revenus et donc de garantir un niveau de vie élevé à ses citoyens. Mais que faire quand ce pays n’a pas les ressources naturelles dont il a besoin pour alimenter son industrie et qu’il ne peut plus user de la force militaire pour exploiter celles de pays moins développés (la colonisation a été essayée à cette fin, mais elle s’est avérée coûteuse et inefficace) ? La réponse intuitive à cette question est d’acheter ces ressources.
Mais cette réponse d’apparence simple suppose un préalable qui l’est beaucoup moins, à savoir que le pays fournisseur reste dans un état d’arriération technologique qui l’empêche d’exploiter lui-même ses richesses naturelles. Ceci passe par l’exploitation de ses obstacles propres (conflits ethniques, différends territoriaux, contentieux historiques, etc.) ou par la création ex nihilo de nouveaux obstacles (guerre par procuration, orchestration de coups d’État, manipulation des cours des matières premières, surestimation du rendement de grands projets d’infrastructures et financement de ceux-ci par endettement, etc.). Dans tous les cas, il faut empêcher les pays riches en ressources naturelles d’avoir suffisamment de stabilité interne pour acquérir le savoir-faire qui leur permet d’exploiter eux-mêmes leurs richesses et de créer la rupture technologique. Ainsi, il n’est pas étonnant que les zones les plus riches en dotations naturelles soient celles où il y a le plus de conflits (Afrique, Moyen-Orient et Amérique du Sud). Si les grandes puissances veulent aider l’Afrique (ce dont nous doutons fort), qu’elles lui achètent les matières premières à des prix décents (faute de le faire aux prix réels), qu’elles cessent de l’inonder de produits qui tuent dans l’œuf son agriculture et son industrie et qu’elles s’abstiennent d’interférer militairement dans ses affaires. En un mot, qu’elles laissent l’Afrique tranquille et les Africains sont capables de relever eux-mêmes les défis de leur développement. Ils n’ont de leçons à recevoir de personne. C’est la vision de la diplomatie conduite par Sa Majesté.

Alors pourquoi ce coup de gueule ?

Ceux qui professent des leçons aux Africains savent mieux que quiconque les vrais problèmes de ce riche continent. Alors pourquoi cette sortie ? Et pourquoi maintenant ? Pour répondre à ces deux questions, nous partons du principe que dans les relations internationales, aucun pays ne défend les intérêts d’un autre, sauf s’il en tire un dividende ou évite en le faisant un danger. Ainsi, selon beaucoup de spécialistes, l’un des enjeux majeurs de ce siècle est le décalage démographique entre un Occident vieillissant et des pays en voie de développement (notamment les pays musulmans) jeunes en majorité. Par ailleurs, la croissance démographique en Afrique pose des problèmes d’immigration qui constitue le thème de prédilection sur lequel surfent les partis populistes en Europe, notamment le Front national en France. Voilà toute l’histoire. Jean Bodin disait «Il n’y a de richesse, ni de force que d’hommes», il a visiblement oublié d’ajouter «sauf en Afrique» ! 

Par Nabil Adel
M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.
[email protected]

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