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La partie immergée de l'iceberg

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

La partie immergée de l'iceberg
Un manager de bon niveau qui se respecte veut profiter pleinement de son travail, tout au long de sa vie professionnelle et non pas à sa fin.

Un dirigeant doit faire preuve de beaucoup de subtilité quand il s’agit de mettre en place une gestion moderne des carrières dans son entreprise. Certes, la transparence qu’elle instaure lui permet de dénicher des talents qui conduiront l’entreprise vers les chemins de la croissance et du profit, mais en même temps, elle peut révéler aux actionnaires le charisme et la compétence de celui qui pourra lui succéder avant l’heure. Aucun dirigeant, même armé de la meilleure bonne foi du monde, ne gère sans malice ce genre de situations. L’essentiel est que cette lutte de pouvoir ne cause pas un préjudice irréparable à l’entreprise.

La scène était presque familière, celle des pots de départs de collaborateurs ayant passé toute leur vie professionnelle au sein d’une même entreprise, voire au sein du même service. L’ayant intégré à la fin des études, ils y restaient jusqu’à la retraite. La stabilité était un critère hautement apprécié chez les recruteurs, car il témoignait de la fidélité des candidats. Les impétrants ayant changé fréquemment d’emplois avaient quelques soucis à se faire. Ce genre de scènes est de plus en plus rare et, preuve du changement d'époque, la mobilité est plus appréciée que la stabilité, car elle est la marque des candidats talentueux que les entreprises cherchent à attirer. Et pour cause, nous vivons dans une ère de rééquilibrage des rapports de force entre employeurs et talents, désormais de plus en plus conscients de leur valeur. Les carrières linéaires et la stabilité, qui étaient les seuls attraits de beaucoup d’entreprises, ne sont désormais plus suffisantes pour attirer et fidéliser les meilleurs. En fait, c’est la nature même de la carrière qui est à reconstruire.

La carrière, c’est le contenu avant le poste

Beaucoup de dirigeants assimilent l’évolution de carrière à un changement de grade, une hausse de salaire, des avantages généreux en nature et à l’augmentation des effectifs sous l’autorité de l’heureux collaborateur ayant bénéficié de la promotion. Si pour beaucoup de salariés cela est largement suffisant, pour les meilleurs, c’est un minimum. Le plus important pour eux est le contenu de l’avancement et non son appellation. Ainsi, beaucoup de directeurs généraux adjoints ne peuvent pas organiser un déplacement sans la signature du chèque des frais par le directeur général lui-même. Ils ont, certes, un titre «qui sonne bien», mais ils sont dépourvus de tout pouvoir réel de décision et sont, au mieux, une force de proposition, sans plus. Le dernier mot dans leurs projets revient à un seul détenteur de pouvoir dans l’organisation.

Or, tant que les dirigeants n’admettent pas qu’un haut potentiel a besoin de beaucoup d’espace pour l’expression des talents pour lesquels il est recruté, à travers de réelles prérogatives de prise de décision, ils passent à côté de l’essentiel. Dans ces conditions, la gestion des carrières devient juste une nouvelle mode de management vidée de toute substance. En effet, on ne peut raisonnablement demander à aucun cadre de haut niveau d’attendre la faible probabilité qu’il devienne numéro 1 de l’entreprise pour commencer à prendre des décisions et à s’épanouir dans son travail. Un manager de bon niveau qui se respecte veut profiter pleinement de son travail, tout au long de sa vie professionnelle et non pas à sa fin. En d’autres termes, il veut avoir des réalisations à afficher sur son CV pour le prochain emploi.

La gestion des carrières, une lutte de jungle civilisée

Demandez à un expert en gestion des ressources humaines ce qu’il propose pour la mise en place d’une gestion des carrières au sein d’une institution et ce ne sont pas les nouvelles méthodes plus sophistiquées les unes que les autres qui lui manqueront. Or ce qui réduit la gestion des carrières dans une organisation à sa plus simple expression n’est pas le manque ou la faiblesse des méthodes, mais l’attitude des dirigeants qui veulent un cadre sans contenu. Une gestion transparente des carrières dans une entreprise fait émerger des talents et des compétences qui finissent par faire de l’ombre à «l’ancien régime», surtout dans les structures familiales où les héritiers n’ont pas forcément le talent des fondateurs, mais ne veulent pas lâcher les rênes de la gestion à la compétence de technocrates qui ne portent pas le même nom de famille.

In fine, la gestion de carrières doit d’abord résoudre le dilemme du conflit entre la légitimité historique des dirigeants en place et les aspirations des nouvelles compétences. Dans un schéma idéal, la gestion des carrières doit s’atteler à identifier, former et mettre sur orbite les futurs dirigeants de l’entreprise. Dans la réalité, c’est un conflit permanent et une lutte sans merci pour le pouvoir, que les successeurs cherchent à conquérir et que les dirigeants bien installés ne veulent pas lâcher. Il s’agit de l’éternel conflit pour le pouvoir entre générations, dont l’entreprise est l’un des terrains de jeu. Cette guerre silencieuse est maquillée par l’usage de techniques modernes de management et l’appel à des consultants experts dans le domaine, mais dans le fond, aucun dirigeant ne veut paver la route à celui qui le mettra, peut-être, un jour dehors, fut-ce au nom d’une gestion moderne des emplois et des carrières. Mais c’est le genre de craintes qu’on doit maquiller et qu’on ne peut pas assumer publiquement, même si elles sont bien réelles. La vie quotidienne des entreprises est remplie de cas de disciples ayant mis leurs mentors à la retraite, mais avant l’âge légal !


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