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Détention provisoire : oui, un prévenu innocent peut prétendre à la réparation du préjudice !

Aujourd’hui, près de la moitié des personnes détenues le sont à titre préventif. Cette proportion anormalement élevée appelle une réforme de la politique pénale. Car malgré les recommandations du ministère publique exhortant les procureurs généraux du Roi à ne pas recourir systématiquement à la détention provisoire, cette pratique reste très répandue et à même tendance à s’amplifier. Outre le problème du surpeuplement carcéral et la pertinence de recourir à ce choix dans beaucoup de cas, se pose la question des droits des détenus en cas de non-lieu. Si le prévenu qui a été incarcéré pendant un certain temps est innocenté, peut-il prétendre à une réparation ? Éclairage de deux éminents juristes.

Détention provisoire : oui, un prévenu innocent peut prétendre à la réparation du préjudice !

Le recours à la détention préventive demeure anormalement élevé dans le système judiciaire marocain. Allant à contre-courant des recommandations du président du ministère public, Moulay El Hassan Daki, et de son prédécesseur, Mohamed Abdennabaoui, les parquets généraux continuent de recourir à cette pratique, pourtant notoirement contreproductive. Les chiffres officiels se passent de commentaires : 44,56% des personnes incarcérées à la fin du mois d’octobre 2021 l’étaient à titre préventif, contre 36,3% à la fin du mois de mars 2019.
Outre le problème du surpeuplement carcéral et la pertinence de recourir à ce choix dans beaucoup de cas, se pose la question des droits des détenus en cas de non-lieu. Si le prévenu qui a été incarcéré pendant un certain temps est innocenté, peut-il prétendre à une réparation ? À cette question, les deux experts consultés par «Le Matin» répondent par l’affirmative. Maître Naoui Saïd, avocat au barreau de Casablanca et docteur en droit privé et sciences criminelles, et maître Abdelkebir Tabih, avocat et militant des droits de l’Homme, affirment à l’unisson que les victimes de la détention préventive peuvent exiger une réparation auprès du tribunal administratif à la suite d’un non-lieu ou d’un acquittement. «Le tribunal administratif a statué en faveur des personnes victimes de la détention préventive dans plusieurs affaires», affirme Me Tabih.

Me Naoui rappelle, quant à lui, l’affaire qui avait éclaté en 2018 concernant l’application de décisions de contrainte par corps sur des automobilistes n’ayant pas payé des contraventions dont ils ignoraient l’existence, faisant savoir qu’un bon nombre de ces automobilistes, qui avaient porté leur affaire devant le tribunal administratif, avaient obtenu gain de cause. Et d’insister sur la nécessité de prévoir des solutions alternatives à la détention préventive qui entraîne de sérieuses séquelles psychiques chez des personnes de bonne moralité qui, par un concours de circonstances, se retrouvent emprisonnées et contraintes de cohabiter avec des délinquants. «Et les récits de ce genre sont légion», ajoute Me Naoui.

Question de moyens… et d’audace

Le recours systématique à la détention préventive peut s’expliquer par un souci en termes de moyens pour localiser la personne faisant l’objet d’une plainte ou ayant commis une infraction, et par un manque d’audace de la part des procureurs généraux, souligne maître Naoui Saïd. «Les procureurs généraux privilégient la prudence plutôt que de relâcher une personne faisant l’objet d’une plainte ou ayant commis une infraction, de peur qu’elle ne puisse être repérée ultérieurement», explique Me Naoui.

Et l’avocat de préciser qu’il y a bien une partie de la population carcérale qui n’aurait jamais dû franchir les portes des prisons. «Soit parce que ces personnes sont innocentes et qu’il s’agit d’une erreur, soit parce qu’elles ont commis des délits mineurs ne justifiant pas la détention, ou encore parce que l’arsenal pénal au Maroc n’offre pas suffisamment d’alternatives à la détention provisoire». Ces mesures alternatives comprennent, par exemple, la mise en œuvre de la procédure de conciliation, la libération sous caution, le placement sous surveillance électronique fixe ou mobile, le retrait du passeport et la fermeture des frontières ou encore l’assignation à domicile. Elles peuvent porter également sur l’interdiction pour une durée déterminée de paraître dans certains lieux, de fréquenter certaines personnes ou d’entrer en relation avec certaines personnes (notamment la victime de l’infraction).

De son côté, Me Abdelkebir Tabih estime que la surpopulation carcérale, enflée par les détentions préventives, reflète les carences du système pénal marocain, plombé par l’inefficacité dans le traitement de pas mal d’affaires, la longueur des enquêtes, l’ouverture tardive des procès, les multiples ajournements... Tout en admettant que le recours à la détention préventive par les procureurs peut se justifier, ne serait-ce qu’à l’égard de la victime, Me Tabih admet cependant que la contrainte par corps ne peut être la réponse aux problèmes socio-économiques dont souffre la société.
«La durée de la détention préventive (fixée à 3 mois pour les délits, et à un an pour les crimes) doit être révisée», souligne l’avocat, ajoutant que les infractions mineures et non violentes sont à maintenir à la première phase de la justice pénale, qui devrait fait appel à la médiation, aux sanctions pécuniaires ou aux travaux d’intérêt général. Il est à rappeler que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui avait annoncé que le projet du Code de procédure pénale était prêt et serait soumis à l’approbation des deux Chambres du Parlement dans quelques semaines, avait déclaré que ce projet prévoyait bon nombre de dispositions visant à rationaliser la détention préventive. 

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