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Patrick Bauer : «Nous avons plus de 1.100 coureurs inscrits pour la 36e édition, tous veulent revenir pour en découdre avec le désert !»

Après avoir mené l’expérience en solitaire en 1984, Patrick Bauer a finalement fondé une course qui allait s’imposer comme l’une des plus éprouvantes et des plus célèbres du monde du sport-aventure : le Marathon des sables (MDS). Après la 35e édition, qui a été décalée au mois d’octobre 2021, suite à 3 reports en raison de la pandémie, l’instigateur du MDS prépare désormais la 36e édition, qui devrait avoir lieu du 25 mars au 4 avril 2022. Dans cet entretien, Patrick Bauer parle de l’incident dramatique ayant marqué la précédente édition et nous donne les premiers chiffres concernant le prochain opus, tout en revenant sur la concurrence entre les deux frères Mourabity et la belle victoire de Aziza Erraji en course féminine, une véritable «fierté» pour le Maroc selon lui.

Patrick Bauer : «Nous avons plus de 1.100 coureurs inscrits pour  la 36e édition, tous veulent revenir pour en découdre avec le désert !»
Patrick Bauer. Ph. Seddik

Le Matin : Vous chapeautez l’organisation d’un événement majeur du sport-aventure au Maroc. En octobre dernier, vous avez bouclé une 35e édition qui s’est tenue dans des conditions exceptionnelles. Quel bilan en faites-vous ?
Patrick Bauer :
C’était très difficile ! Mais je crois que tous les organisateurs d’événements ont vécu le même stress cette année. Il y avait de gros inconnus… l’édition 2021 a eu lieu en octobre après 3 reports, je n’ai pu faire décoller mes avions que 3 jours avant le départ. Vous imaginez le stress que cela peut occasionner… Il y avait une température assez excessive au mois d’octobre par rapport aux températures habituelles et personne ne s’attendait à ça. Cela a donc engendré quelques coups de chaleur, quelques déshydratations, sans oublier une épidémie de gastro-entérite qui a touché même des gens de l’organisation. On a donc enregistré un taux d’abandon de 48%, avec 321 personnes qui ont dû être rapatriées à Ouarzazate. Pour ce qui est des côtés positifs, on a eu 350 concurrents qui ont accroché la médaille malgré la chaleur, et puis quand même un super doublé marocain avec Aziza Erraji chez les femmes et Rachid Mourabity chez les hommes. Le Maroc peut être fier, surtout pour Aziza. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est qu’elle signait sa troisième participation et qu’elle était tellement obstinée à vouloir monter sur la première marche du podium. Finalement, c’était son édition !

Vous avez déploré un incident tragique cette année, avec le décès de l’un des concurrents. Comment avez-vous vécu ce drame en tant qu’organisateur et quelles en ont été les péripéties ?
C’est très très difficile à vivre, je ne vous le cache pas, avec toute la fatigue qu’il y avait. Il y a eu un arrêt cardiaque lors de la deuxième étape, dans les dunes. Il y avait un coureur, le fils de mon directeur médical, qui l’a immédiatement massé, le temps qu’on arrive sur les hélicoptères. Malheureusement, ce n’était pas suffisant. C’est la troisième fois qu’on vit un drame comme celui-là en 35 ans. Vous me direz que c’est peu par rapport à d’autres événements, même au Marathon de Paris, mais c’est toujours très dur. On a géré toutes les procédures administratives avec la gendarmerie à Errachidia, ils se sont déplacés au Bivouac pour nous faciliter la tâche, les déclarations officielles, le rapatriement du corps à la morgue puis à l’extérieur avec l’aide du consulat de Fès, que je remercie aussi vivement. Après, il a fallu contacter la famille, l’épouse… Très dur (en larmes) ! On a pleuré ensemble au téléphone, j’ai essayé de lui expliquer avec délicatesse. On a ensuite avisé ses compagnons de tente, puis l’ensemble du Bivouac. Après, il fallait rédiger un communiqué de presse officiel pour qu’on n’annonce pas n’importe quoi ! En ces moments, ça va très vite, il faut gérer, maîtriser la communication et aller dans l’ordre des priorités, mais je vous avoue que cette édition a été lourde sur le plan psychologique, émotionnel et même physiquement… C’est une édition où on a eu beaucoup de misère, mais c’était quand même un retour aux sources !

Nous vivons une conjoncture assez difficile à quelques mois de la 36e édition, dont le coup d’envoi est prévu en mars. En cas de quatrième vague de la pandémie au Maroc, est-ce que vous vous préparez à l’éventualité d’autres reports ?
Je vous avoue que tout ça est très difficile ! On essaye de rester positifs et enthousiastes comme d’habitude et de se dire qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter, d’autant qu’il y a plus de 1.100 coureurs issus de plus de 50 pays déjà inscrits. La difficulté de la 35e édition n’a pas donné d’image compliquée sur le marathon, puisque tout le monde revient et même beaucoup plus nombreux, avec une grosse motivation pour en découdre avec le désert. Tout le monde a envie d’être là en mars et avril. On a décalé un petit peu en raison du Ramadan pour que tout le monde puisse travailler dans des conditions normales. Ces problèmes de virus, tout le monde en a ras-le-bol, je sais que le Maroc a fermé ses frontières pour certains pays comme l’Angleterre, les Pays-Bas et l’Allemagne. Je nourris l’espoir secret que d’ici trois mois ou d’ici Noël tout ça soit terminé. Il faudrait aussi que les gens se fassent vacciner. À Ouarzazate, il y avait un taux de 93% de vaccinés, le troisième taux le plus important du Royaume. J’aimerais bien que les gens en Europe en prennent conscience, surtout les antivax et les gens qui ne pensent pas qu’ils mettent les gens en danger en n’étant pas vaccinés. On espère aussi que nos sponsors continueront à nous faire confiance. Je suis là d’ailleurs pour faire la tournée de ces sponsors, d’autant qu’il y en a des nouveaux, comme Royal Air Maroc que je remercie vivement.

Qu’en est-il de l’itinéraire de cette 36e édition, est-il déjà bouclé de bout en bout ?
Absolument, il est bien ficelé de bout en bout, mais je n’ai pas le droit de le dévoiler, car il est toujours secret ! Les gens le découvriront lorsqu’ils arriveront dans les autobus avec leurs road-books.

Pour en venir au volet purement sportif, Rachid El Morabity a confirmé sa supériorité en octobre. Certains voient en sa domination une réduction du facteur-surprise, essentiel à l’esprit de toute compétition ? Êtes-vous de cet avis ?
C’est vrai que Rachid et Mohammed se suivent de très prêt. Je me suis toujours posé la question de savoir si Rachid devait freiner un peu pour laisser passer Mohammed. En même temps, Rachid se bat pour égaler le nombre de victoires de Lahcen (Ahansal avec 10 victoires, ndlr). Donc il y a une véritable bagarre entre les deux frères, une belle compétition. Maintenant, il y a aussi des Français qui se battent, Robert Mérile qui est arrivé troisième. Il y a aussi le Marocain Ichou qui a terminé quatrième. Il y avait aussi Mathieu Blanchard, cinquième au bout de sa première participation. D’ailleurs, en octobre dernier, il y a eu un très beau moment entre Mohamed El Morabity et Blanchard à l’arrivée de l’étape à 42 km. Ils ont sprinté à fond lors du dernier kilomètre, ils avaient toujours du jus pour le faire après 42 km ! On vient de produire un film de 52 minutes sur le MDS avec une interview de Mathieu Blanchard où il reconnaît : les Marocains sont très forts, on n’arrivera pas à les battre ! Ils espèrent donc arriver sur le podium, mais de là à prendre la première place, ce n’est pas gagné encore.

En 2009, vous aviez programmé l’étape la plus longue de l’histoire du MDS sur 92 km. Est-ce qu’on peut s’attendre à une étape au-delà des 100 km bientôt ?
Vous savez, je ne conçois jamais la course selon le kilométrage. Certes, le marathon est l’une des courses les plus difficiles au monde, mais je ne dis jamais que c’est la plus difficile ou la plus dure. Il est facile d’ajouter un 100 km, mais quel intérêt s’il n’y a pas la difficulté et la beauté des paysages ? Vous savez, le 82 km de cette année vaut un 120 km sur une autre épreuve où il y a plus de plat, pas de sable, pas d’autosuffisance alimentaire, où il n’y a pas une chaleur intense. Les bivouacs doivent aussi être dans des sites magnifiques, les gens doivent toujours changer d’endroit. Je pense qu’on a raison de chercher la complexité et non pas la facilité. 


Entretien réalisé par Youssef Moutmaïne

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