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Conduites addictives : le milieu professionnel n'en manque pas !

«Workaholisme», techno dépendance, substances psychoactives... Le monde professionnel a aussi son lot d'addictions. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) indique dans un récent rapport que le milieu de travail n’est pas épargné par les conduites addictives. Celles-ci sont à l’origine de la baisse de la productivité, de l’absentéisme, du développement de conflits, de l’agressivité et même des accidents du travail.

Conduites addictives : le milieu professionnel n'en manque pas !
La dépendance au travail ou le «workaholisme», également qualifié de mal des temps modernes, est très répandu.

Si vous croyez que les addictions en milieu professionnel relèvent de l'improbable, eh bien détrompez-vous ! Le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental sur les conduites d’addiction met en exergue la gravité de ces troubles au travail surtout lorsqu’ils sont en rapport avec l’activité professionnelle. «On pourrait, a priori, considérer que l’exercice d’une activité professionnelle représente un facteur d’immunisation contre les conduites addictives. Cette vision conduit à sous-estimer et méconnaître les risques pourtant réels de telles conduites», souligne-t-on dans ce rapport.

Intitulé «Faire face aux conduites addictives : état des lieux & recommandations», le document du CESE révèle que dans le monde du travail, les actifs sont aussi exposés à la consommation de substances psychoactives, parfois du fait de leurs conditions de travail ou de la pression et du stress que cela engendre. «On peut également constater chez ces personnes l’apparition de dépendances comportementales à l’égard de l’activité professionnelle en elle-même qui conduit au “workaholisme” ou à la techno dépendance. La personne active peut ainsi importer et poursuivre sur son lieu de travail la consommation de substances addictives ou bien y être initiée suite aux sollicitations conviviales et récréatives des collègues au travail», affirme le CESE. Et d’ajouter que «certaines personnes peuvent s’accoutumer à des substances psychoactives à la suite d’un processus dit “d’adaptation” supposé aider “à tenir” le rythme et l’intensité des activités au quotidien, pour surmonter la peur, le stress, mais aussi parfois pour supporter les difficultés telles que les discriminations, vexations ou douleurs chroniques».

D’après le rapport, la consommation de substances psychoactives peut prendre plusieurs formes en milieu professionnel, soit collective, soit individuelle, occasionnelle ou répétitive, à l’occasion de moments festifs, conviviaux ou en raison de situations personnelles perçues comme difficiles et pouvant donner lieu à une consommation pathologique d’un ou plusieurs produits.

Des secteurs plus exposés que d'autres

Certains secteurs d’activité sont réputés plus exposés que d'autres, notamment ceux de l’hébergement, de la restauration, des arts et des spectacles, du commerce et du négoce, tous riches en interactions sociales, et ceux des activités récréatives. Par ailleurs, le CESE assure que la dépendance au travail ou le «workaholisme», également qualifié de mal des temps modernes, serait plus répandu qu’on ne l’imagine. «Le travail occupe une place centrale dans la vie de la personne dépendante qui n’essaie ni ne parvient à cesser son activité professionnelle durant les périodes de repos (week-end et vacances). Cet état pathologique induit stress, surmenage et donne lieu parfois au harcèlement professionnel à l’égard des collaborateurs. Cette addiction est d’autant plus dangereuse qu’à la différence des autres types d’addictions, elle renvoie à une image positive de la personne dépendante. Enfin, d’autres types d’addictions peuvent être développés en relation avec le milieu professionnel tel que l’utilisation inadéquate ou abusive des TIC (internet, téléphone, agenda électronique)».

Absence de programmes de prévention et de prise en charge

Le Conseil note, en outre, que ce type d’addictions en particulier est très sous-estimé. Il déplore l’absence de programmes de prévention et de prise en charge des conduites addictives en milieu professionnel. D’ailleurs, le Plan stratégique national pour la prévention des troubles addictifs 2018-2022 ne traite pas des addictions au sein des entreprises. «À l’exception positive et remarquable de l’expérience développée dans le cadre de la médecine du travail par le groupe Veolia au niveau de sa filiale Redal à Rabat, il ne semble pas que les addictions sur les lieux de travail soient un sujet significativement pris en considération par les entreprises marocaines», indique le rapport qui rappelle les principaux constats et conclusions de la démarche développée par Redal. Il en ressort que les conduites addictives en milieu professionnel ont pour effets une baisse de la productivité, l’extension de l’absentéisme, la dégradation du climat de travail avec le développement de conflits et de l’agressivité dans les relations de travail. Quelque «15 à 20% des accidents du travail ont pour origine des conduites addictives, lesquels seraient la cause de 28% des accidents mortels. Un pourcentage important de personnes en situation de dépendance à une substance présente également une pathologie psychiatrique. Une personne dépendante sur quatre nécessite une prise en charge par un psychiatre et pour une d’entre elles sur deux la prise en charge a abouti à l’abstinence à l’égard de la substance (47,25%)», révèle le CESE. D’après l’expérience de Veolia, on a conclu que l’intervention sur le risque de l’addiction est jugée bénéfique pour et par le personnel de l’entreprise par sa contribution, d’une part, à l’amélioration de la santé grâce au dépistage de certaines maladies psychiatriques, la prévention de l’aggravation de certaines maladies chroniques, l’arrêt de l’intoxication par des substances psychoactives chez 47% des malades… et, d’autre part, à l’amélioration de la sécurité en contribuant à la prévention des accidents du travail et des accidents de circulation.

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Le dialogue social doit s'en mêler, selon le CESE

Afin d’assurer une meilleure prise en charge des troubles addictifs dans le milieu professionnel, le CESE appelle à définir avec les professionnels de santé et les partenaires sociaux un plan national de prévention et d’action contre ce type de conduites. Le Conseil plaide également pour l’inclusion de ce sujet à l’agenda des médecins du travail et au périmètre du dialogue social au niveau des entreprises, ainsi qu’aux plans sectoriels, local, régional et dans le cadre du dialogue social à l’échelle nationale.
Enfin, le CESE recommande d’inclure la prévention des addictions parmi les plans de mesures dédiés à l’amélioration des conditions et de la productivité du travail, la réduction de l’absentéisme et la prévention des accidents du travail.

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Déclaration de Dr Mohamed Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste



Mohamed Hachem Tyal : «Les employeurs et l’État doivent être sensibilisés à cette problématique qui est à l’origine de la déperdition du travail et la perte de performance»

«Nous avons tendance à penser que le milieu professionnel protège des conduites addictives. Ce qui n’est pas totalement faux, mais ce qui est loin d’être vrai aussi. Certes, dans le milieu professionnel, on est censé avoir moins tendance à consommer des produits psychogènes et des substances psychoactives, mais compte tenu des conditions de travail, on constate qu’il y a de plus en plus de personnes qui y ont recours. En effet, plusieurs personnes consomment de la drogue ou de l’alcool avant de se rendre au travail pensant que cela va les booster, sans parler de l’addiction au tabac qui est considéré par beaucoup de gens comme étant quelque chose qui les aide décompresser.

Certaines professions sont plus exposées que d'autres telles que les professions artistiques, ou de restauration et d'hôtellerie… mais pas seulement. Il y a aussi des professions dans lesquelles l'environnement de travail est difficile et extrêmement stressant ou bien lorsque la personne se livre à une recherche presque maladive de la performance, se donnant corps et âme au travail au point d’en devenir addicte. Ces personnes ne font plus du tout de distinguo entre le temps alloué au travail et celui de leur vie privée, ce qui est très problématique.
Pour remédier à ce problème, il faut d'abord s’en rendre compte. Je tiens dans ce sens à rendre hommage au CESE d'avoir insisté sur ce volet. Les conduites addictives sont à l'origine de la déperdition de travail, de la perte de performance… c'est donc quelque chose qui est mauvais pour l’individu, mais aussi pour la collectivité. Il faut que les employeurs et l'État prennent conscience de cette problématique pour faire le nécessaire. Il faut nécessairement mettre en place des programmes au sein des entreprises pour la détection précoce les addictions et sensibiliser les employés à ce problème. Il est aussi nécessaire de mettre en place éventuellement des programmes de prise en charge des personnes malades.
Et pour aller dans ce sens, il faut d'abord sensibiliser et former les responsables et les managers à cette problématique et adopter les mesures nécessaires, ce qui rendra service non seulement à l’entreprise, mais également au pays.

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