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Sommet UE-UA : les vrais enjeux d'un partenariat renouvelé pour le Maroc et l'Afrique

Au terme du sommet Union européenne-Union africaine, un plan de développement de «150 milliards d'euros portant sur les cinq prochaines années» a été approuvé. Annonçant la naissance d'un «partenariat renouvelé pour la solidarité, la sécurité, la paix et le développement durable» entre les deux «Unions», ce plan présente encore des contours flous. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, tout visionnaire qu'Il est, et parmi tous les milliards qui ont été évoqués tout au long de ce sommet, a fait mention dans Son discours à des «milliards» d’un autre genre. Le Souverain faisait référence aux 1.800 milliards d'heures d'apprentissage perdues pour les enfants et les jeunes africains.

Sommet UE-UA : les vrais enjeux d'un partenariat renouvelé pour le Maroc et l'Afrique

Les travaux du sixième sommet entre l'Union européenne (UE) et l'Union africaine (UA) se sont conclus vendredi dernier par l'adoption d'une déclaration politique finale, truffée de promesses «à suivre». En effet, et à en croire les propos d'un ministre ouest-africain relayés par «Le Monde», «Bruxelles a traîné les pieds, avant d'accepter au dernier moment la mise en place d'un comité de suivi du sommet». Les deux présidents des Commissions européenne et africaine, Ursula von der Leyen et Moussa Faki Mahamat, se sont donné rendez-vous au printemps pour dresser un premier bilan de l'avancement des projets. Pour le Maroc, l'enjeu de ce partenariat entre l'Union africaine et l'Union européenne gravite essentiellement autour de la garantie de l'éducation, de l'accélération de la formation et de l'employabilité des jeunes, de la promotion de la culture et de l'organisation de la migration et de la mobilité.

Dans Son discours adressé à ce sommet, S.M. le Roi Mohammed VI a souligné que «l’éducation, la culture, la formation professionnelle, la mobilité et la migration : telles sont les priorités de Notre action : au Maroc, en Afrique et dans le cadre de Notre partenariat avec l’Union européenne». «D’abord et avant tout, parce que c’est sur la jeunesse – notre capital humain – que ces thématiques convergent et que c’est pour elle que le Partenariat entre les deux continents doit investir, pour atteindre son plein potentiel. Ensuite, parce que ces secteurs majeurs ont été touchés de plein fouet par la pandémie, ce qui exige de nous une action commune d’envergure», a précisé le Souverain. À cet égard, S.M. le Roi a appelé à sanctuariser la continuité de l’enseignement en Afrique, en tenant compte du nouveau contexte de transformation digitale de l’éducation. Au même titre que les économies, les écoles, les universités et les établissements de formation professionnelle d'Afrique «ont besoin d'une relance robuste pour rattraper les quelque 1.800 milliards d'heures d'apprentissage perdues», a encore souligné le Souverain dans son discours. Concernant la culture, S.M. le Roi a insisté sur la nécessité de rétablir les coopérations culturelles afin de relancer ce secteur, véritable levier de rapprochement en Afrique, en Europe et entre l'Afrique et l'Europe.

Quant à la mobilité, la pandémie a démontré, relève le Souverain, que les migrants ne portent pas atteinte à l'économie. «Ils ont même un impact positif, pour les pays d’accueil – où ils sont souvent des «travailleurs essentiels» – et pour leurs pays d’origine. Il faut donc appréhender la question de la migration pour ce qu’elle est : non pas seulement un défi, mais bien plutôt un condensé d’opportunités». Il y a lieu de noter que la déclaration finale de ce sommet a souligné l'importance d'un partenariat renforcé et réciproque dans le domaine de la migration et de la mobilité. Les Chefs d'État et de gouvernement ont réitéré l'importance d'une action conjointe et du renforcement des capacités, notamment avec des institutions africaines spécialisées, en particulier l'Observatoire africain des migrations, lequel est la traduction institutionnelle de la vision de S.M. le Roi en la matière.

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Azzedine Hannoun, professeur en droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Ibn Tofaïl : « L’Europe ne pourra plus considérer l’Afrique comme une chasse gardée»
Pour Azzedine Hannoun, le Maroc est un acteur clé du partenariat UA-UE et il n’est pas imaginable qu’on ne puisse pas prendre sa contribution au développement et à la stabilité de l’Afrique dans ce partenariat. Le professeur en droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Ibn Tofaïl estime, par ailleurs, que les pays africains, tout comme le Maroc, ont tout à fait le droit de diversifier leurs partenaires et de défendre leurs intérêts. Pour lui, «ce qui s’est passé au Mali est emblématique de ce virage géopolitique. L’Europe ne pourra plus considérer l’Afrique comme une chasse gardée».

Le Matin : Quels sont selon vous les principaux enjeux du sommet UE-UA pour les deux parties ?
Azzedine Hannoun : C’est la conjoncture qui définit les enjeux de ce sommet. Il y a ainsi les enjeux immédiats qui se posent avec acuité, tels que la question sécuritaire au Sahel, dans le sillage du retrait des forces françaises et européennes du Mali. L’Europe cherche à sensibiliser ses partenaires africains aux conséquences géopolitiques et sécuritaires de ce retrait. Elle cherche également à maintenir sa présence dans la région de peur d’être déclassée par d’autres acteurs. Dans ce cadre, l’Europe voudrait renforcer son influence à travers un apport décisif permettant d’aider les États africains à faire face à la pandémie. Au sein de l’UE, certains acteurs mettent plus l’accent sur certaines thématiques telles que l’immigration, en raison d’une certaine préoccupation face aux conséquences sécuritaires et politiques du phénomène de l’immigration clandestine.

La question de la paix et de la sécurité est au cœur de ce sommet. L’UE a-t-il un rôle à jouer dans ce sens, notamment au Sahel ?
Bien entendu, on ne pourrait nier les liens historiques de l’UE et notamment de la France avec l’Afrique. Malheureusement, la situation sécuritaire dans le continent ne cesse de se dégrader et on voit partout des coups d’État et la multiplication des zones fragiles. On ne cesse de tourner dans un cercle fermé. L’Europe a pleinement son rôle à jouer, mais l’UE devrait augmenter et diversifier l’aide apportée aux pays du continent à travers une approche pragmatique tenant compte des intérêts de ses partenaires.

L’influence chinoise va grandissant en Afrique. Peut-on dire que l’UE cherche à se rattraper en proposant une stratégie d’investissement de quelque 150 milliards d’euros ?
Effectivement, la Chine et la Russie également se tournent vers l’Afrique et prennent pied dans certaines régions. Les États africains sont souverains et ont le droit de chercher leurs intérêts. C’est tout à fait légitime. C’est à l’Europe de changer d’approche. Ce qui s’est passé au Mali est emblématique de ce virage géopolitique. L’Europe ne pourra plus considérer l’Afrique comme une chasse gardée. Elle devrait bâtir un partenariat d’égal à égal en respectant l’intégrité territoriale des États et la dignité des Africains. La conditionnalité exacerbée de l’aide économique est un handicap exploité par les autres puissances. En même temps, en ce qui concerne le développement, l’Afrique a besoin de toutes les aides possibles. Les investissements chinois sont aussi les bienvenus, tellement le besoin et les carences de développements sont importants.

Quelle est l’importance de ce sommet pour le Maroc ? Que faut-il en attendre ?
Le Maroc devrait réaffirmer son leadership sur différentes questions, son leadership devrait être horizontal concernant toutes les dimensions. Il en est ainsi de la question de l’immigration où Sa Majesté n’a cessé d’exprimer une vision constructive dans ce cadre. En ce qui concerne la question du développement, le Maroc est également très bien placé à travers ses investissements et ses partenariats avec un bon nombre d’États et d’organisations régionales. S’agissant de la question de la paix et de la sécurité, on a vu comment le Royaume a contribué aux efforts de stabilisation de la Libye et de la région du Sahel. Le Maroc est ainsi un point focal de ce partenariat et il n’est pas imaginable qu’on ne puisse pas prendre ces données en considération.

Le Maroc table dans sa politique extérieure sur la diversification des partenaires. Peut-on dire alors que pour le Royaume ce sommet ne revêt pas l’importance qu’il aurait eu il y a une dizaine d’années ?
C’est ce que j’avais affirmé. Le Maroc et toute l’Afrique ne sont pas tenus de rester sous la coupole d’un seul partenaire. La diversification des partenaires est une nécessité. Ceci ne veut pas dire que le rôle d’un partenaire historique comme l’UE devrait être marginalisé, au contraire, mais il devrait être un élément de l’ensemble. C’est aux puissances de se mettre d’accord entre elles afin d’aider les États du continent à dépasser cet état de sous-développement. La concurrence pourrait être bénéfique dans d’autres domaines, mais on sait que l’Afrique a besoin d’un «plan Marshall» mondial qui nécessite l’adhésion de tous.

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Par Mustapha Sehimi, politologue


Déclaration finale du Sommet UE-UA : «Une disposition encourageante, mais qui devra avoir une implémentation opératoire»

Les dirigeants de l'Union européenne et de l'Union africaine se sont réunis à l'occasion du VIe Sommet UE-UA qui s'est tenu à Bruxelles, les 17-18 février 2002. À l'ordre du jour, ces grandes thématiques : les bases d'un partenariat renouvelé, le renforcement de la prospérité partagée, la promotion et la consolidation de la stabilité et de la sécurité grâce à une nouvelle articulation d'une architecture de paix. Dans le détail, pas moins de sept tables rondes sectorielles ont été organisées : financement de la croissance, système de santé et production de vaccins, agriculture et développement durable, éducation, culture, formation professionnelle, migration et mobilité (présidée par le Maroc), soutien au secteur privé et intégration économique, paix, sécurité et gouvernance, changement climatique et transition énergétique. Une déclaration conjointe sur une vision commune pour 2030 a été finalement adoptée par les participants.

Avec le message Royal, lu par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, le Maroc a fait entendre sa voix : celle du Royaume, celle de l'Afrique aussi, et la conception d'avenir qu'il se faisait du partenariat avec l'Union européenne. Un corpus, un code a été ainsi défini et bien circonscrit : l'éducation, la culture, la formation professionnelle, la mobilité et la migration. Des thématiques qui, globalement, présentent ce trait commun : celui du capital humain qu'est la jeunesse. Un grand potentiel qui a d'ailleurs subi particulièrement l'impact et les effets de la pandémie. Et le Souverain de détailler cette situation dans chacun des secteurs précités. Une mention particulière a été faite à la question migratoire. S.M. le Roi est Leader de l'Union africaine. Cette qualité lui a été confiée dans l'année qui a suivi le retour du Royaume à cette organisation continentale, à la fin janvier 2017.

Il faut rappeler qu'au 35e Sommet de l'UA, tenu à Addis-Abeba, les 5-6 février courant, un rapport de S.M. le Roi a été présenté. Des malentendus doivent être dissipés dans l'appréhension européenne du phénomène migratoire : 80% de la migration est infra-africaine, une connaissance plus conséquente des données réelles et des chiffres doit être faite. Enfin, doit prévaloir une autre vision devant «substituer au tout-sécuritaire le continuum mobilité développement dans l'esprit humaniste du Pacte de Marrakech», a encore souligné le Souverain. C'est sur ce référentiel adossé à des «objectifs porteurs d'avenir» que doit être redéfini et promu le partenariat engagé «résolument vers la paix, la stabilité et la prospérité», a conclu le Souverain.

Réinventer une relation ?
L'annonce de 150 milliards d'euros d'investissements publics et privés en Afrique a été l'une des annonces phares de ce Sommet de Bruxelles. Elle avait d'ailleurs été formulée, quelques jours auparavant, à Dakar, par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Il s'agit de les flécher vers de grands projets d'infrastructures. Il est prévu un programme de plusieurs années décliné autour des axes suivants : la connectivité numérique, de nouvelles liaisons de transport, enfin l'accélération du passage à des sources d'énergie à faible émission carbone.
L'Europe attend un retour sur investissement. Globalement, l'UE est soucieuse d'une mise en rang des économies européennes dans la perspective d'une rivalité plus accentuée avec la Chine dans le continent. Une manière de tenter de détourner l'Afrique de l'influence chinoise. Un continent qui avec une bonne cinquantaine de pays compte une population de l'ordre de 1,3 milliard d’habitants et qui est en voie de création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), un accord ratifié par 40 États, dont le Maroc (loi n° 2-19), «sous réserve de la déclaration interprétative (BO, 1er août 2019, p. 1779).
L'UE entend rattraper le retard. Elle a ainsi défini, en 2020, une stratégie européenne «Global Gateway», une réponse géostratégique à l'initiative chinoise «Belt and Road» («Nouvelles Routes de la soie»). Il est prévu par Bruxelles un câble de fibre optique sous-marin international sécurisé entre l'UE et l'Afrique, le long de la côté atlantique, de favoriser la souveraineté numérique des liens existants et de garantir les normes d'infrastructure et de cybersécurité.

Par ailleurs, les Européens ont décidé de réallouer à l'Afrique 13 milliards de dollars de leurs droits de tirage spéciaux (DTS) au FMI sur les 55 réalloués par les pays riches du niveau mondial. Pour l'UA, l'on reste cependant loin du compte – elle en réclamait huit fois plus, soit 100 milliards d'euros... Globalement, le besoin de financement additionnel de l'Afrique a été évalué à au moins 252 milliards de dollars (221 milliards d'euros) par le Président sénégalais, Macky Sall, président en exercice de l'UA en 2022. Et d'ajouter que ce concours d'ici 2025 est nécessaire «pour contenir le choc de la pandémie et amorcer sa relance économique» et surmonter les effets de la pandémie de Covid-19. Un engagement plus ferme et plus important est demandé à l'UE, tournant le dos à deux décennies d'hésitations, d'absence de cadre structurel européen et à une stratégie économique confuse. Durant cette séquence d'une bonne vingtaine d'années, les Africains ont eu le fort sentiment que l'Europe n'a pratiquement bougé que sur la lutte antiterroriste et la migration, deux questions impactant la vie politique intérieure de chacun d'entre eux.

L'Afrique n'ignore rien des intérêts des puissances dans le continent. Mais ce qui a changé, c'est une nouvelle vision qui prévaut désormais ces dernières années et qui a été formulée à Abidjan par S.M. le Roi Mohammed VI. Sur quoi s'articule-t-elle ? Quels sont ses credo ? Que l'Afrique est plus que jamais décidée à prendre son destin en main, que l'Afrique doit faire confiance à l’Afrique, que la coopération Sud-Sud doit être le référentiel prioritaire. L'Afrique n'est pas la chasse gardée des uns comme des autres, elle est ouverte à tous les partenariats, sauf à préciser qu'elle attend le respect des priorités de son développement et des choix de société de ses peuples.
Le Sommet de Bruxelles a-t-il permis de mieux imprimer ces principes ? Des programmes financiers spécifiques sont prévus. D'ici le prochain été, l'UE a décidé d'envoyer un total d'au moins 450 millions de doses de vaccins, elle mobilisera également 425 millions d'euros dans le domaine sanitaire : accélération des campagnes de vaccination, soutien de la distribution des doses et formation des élites médicales, etc. Mais en même temps, elle s'est opposée à une levée des brevets des vaccins. Enfin, les Européens se sont engagés à aider six pays africains (Égypte, Niger, Kenya, Afrique du Sud, Sénégal et Tunisie) à produire sur leur sol des vaccins à ARN messager – un programme dévoilé vendredi dernier par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cela dit, les enjeux de ce Sommet ont-ils été appréhendés d'une manière conséquente. L'on a eu droit à un discours européen conventionnel, une rhétorique convenue dans une grand-messe internationale. Des décisions ont été annoncées, les unes financières, les autres sanitaires. Une disposition encourageante, mais qui devra avoir une implémentation opératoire. Ce qui s'est passé avec la vaccination nourrit de fortes réserves à cet égard, puisque l'Europe ne s'est pas tellement mobilisée durant deux ans en faveur des populations du continent. À telle enseigne que seuls 11% de celles-ci sont vaccinées en février 2022...
Sur la question du réchauffement climatique, les engagements pris par l'Europe n'ont pas été tenus. Lors de la COP 26 qui s'est déroulée à Glasgow début novembre dernier, les pays occidentaux avaient été en effet interpellés à propos de leur non-respect de l'engagement pris avec l'Accord de Paris en décembre 2015. Il était prévu la dotation d'un fonds de 100 milliards de dollars pour aider les pays en développement – notamment ceux d'Afrique – à faire face à la crise climatique. Ce fonds n'est toujours pas opérationnel. Alors ?...
 

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