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Rabiâa Marhouch et Eugène Ébodé parlent du projet “Sembura, ferment littéraire”

La première livraison littéraire de la «Collection Sembura» a été présentée le 17 novembre 2021, lors d'une cérémonie solennelle au siège de l'Académie du Royaume du Maroc. Ayant pour vocation de promouvoir la littérature africaine, cette collection, née d'une collaboration entre la plateforme «Sembura, ferment littéraire» des Grands Lacs d'Afrique et la maison d'édition «La Croisée des Chemins», est portée par l'Académie du Royaume du Maroc et la Fondation suisse Corymbo. Pour faire toute la lumière sur cette entreprise ambitieuse, visant à ériger le Maroc en terre de convergence des lettres africaines, «Le Matin» a interviewé Rabiâa Marhouch et son époux Eugène Ébodé, qui pilotent ce projet éditorial et culturel d’envergure.

Rabiâa Marhouch et Eugène Ébodé parlent du projet “Sembura, ferment littéraire”

Le Matin : Parlez-nous de la genèse de ce projet de «Collection Sembura».

Rabiâa Marhouch-Eugène Ébodé :
La «Collection Sembura» est née en janvier 2021, mais l’idée a germé un an plus tôt quand Maja Schaub, coordinatrice de «Sembura, ferment littéraire», m’a contactée pour un projet éditorial à partir du Maroc dans le but de donner un nouvel élan au projet éducatif, créatif et fédérateur «Sembura, ferment littéraire», initié en 2010 dans les Grands Lacs africains par des universitaires de cette région et des intellectuels de la diaspora africaine. En une dizaine d’années, des ateliers d’écriture à Bujumbura, Bukavu et Kigali, regroupant en priorité des jeunes, se sont imposés comme le levain privilégié pour une paix durable dans une partie martyrisée de notre continent qui a connu, en 1994, le génocide des Tutsis au Rwanda et d’autres drames en cascade. Dérivé du verbe «gusembura» qui signifie en kinyarwanda «faire fermenter», le mot «sembura» appelle, incite et invite à faire fermenter les idées, ouvrant un horizon enchanté sur l’épanouissement de la créativité littéraire, sur l’émulation intellectuelle et sur la fraternisation des imaginaires.

La collection Sembura porte la philosophie de la plateforme «Sembura, ferment littéraire» et s’inscrit dans la continuité de ses activités autour de la promotion de la paix et du dialogue à travers la littérature, l’écriture, la lecture et l’enseignement littéraire. Ouverte aux auteur(e)s du continent africain et de sa diaspora, elle accueille la littérature générale contemporaine, la littérature d’idées et les réflexions sur le plus vieux continent du monde. Soucieuse de toucher un large public africain, elle met l’accent sur l’accès gratuit à une bibliothèque numérique composée d’anthologies littéraires qui explorent les thématiques de la paix et du vivre-ensemble. Celles-ci sont publiées au format EPUB et téléchargeables gratuitement sur le site internet de l’éditeur.

Comment êtes-vous entrés en contact avec l'Académie du Royaume du Maroc ? Quels ont été vos principaux arguments pour bénéficier de son concours ?

Le secrétaire perpétuel, un homme de culture et un grand panafricaniste, est le préfacier de l’ouvrage collectif «Qu’est-ce que l’Afrique» qui regroupe de grands écrivains et intellectuels du continent. Il s’est beaucoup intéressé à ce projet et nous a fait l’honneur de le soutenir, notamment par l’organisation d’une séance solennelle pour présenter les productions littéraires de Sembura au sein de la prestigieuse institution qu’il dirige. Nous sommes fiers que l’Académie du Royaume du Maroc nous ouvre ses portes et accorde sa confiance à ces ouvrages, à la fois parce qu’ils sont de grande qualité, mais aussi parce que notre continent a besoin d’une institution intellectuelle et littéraire forte pour porter ce genre de projet. Ce dernier est tourné vers notre continent pour fédérer les intelligences et la créativité littéraire de ses auteurs afin de promouvoir la littérature, valoriser les langues africaines et inventer de nouvelles images de nous et de nos réalités. C’est cette philosophie qui prône la compréhension mutuelle et l’émulation intellectuelle et fraternelle qui a intéressé le secrétaire perpétuel, dont l’ouvrage «Le Maroc des heures françaises» m’a énormément bouleversé.

L’approche de Sembura s’inscrit dans la filiation intellectuelle des idées de cet ouvrage précurseur qui, dans les année soixante-dix déjà, mettait en avant la déconstruction des stéréotypes qui entravent nos imaginaires africains, afin qu’une nouvelle Afrique naisse de ses propres réalités historiques, intellectuelles et artistiques. Publier des ouvrages d’écrivains africains, à partir de l’Afrique pour penser et parler de l’Afrique telle que nous la vivons et la voyons est une façon de reconstruire nos imaginaires par nous-mêmes, en racontant nos propres histoires et en inventant nos propres images.

De quelle manière comptez-vous procéder pour rallier les grands noms de la littérature africaine à votre projet ? Et comment envisagez-vous de vous employer à repérer les auteurs doués mais encore méconnus ?

Les grands noms de la littérature africaines font déjà partie de notre projet. Quand vous ouvrez «Qu’est-ce que l’Afrique ?» vous y trouvez de grands écrivains, philosophes, économistes, journalistes, etc. Pour n’en citer que quelques-uns, je pense à Véronique Tadjo, Eugène Ébodé, Gaston-Paul Effa, Gaston Kelman, Abdellah Baïda, Ali Benmakhlouf, Amobé Mévégué… Pour le lancement de ce projet éditorial et pour un premier ouvrage collectif des intellectuels africains, cette liste me paraît très riche et exaltante. Un autre ouvrage collectif est en préparation sur les institutions en Afrique et nous espérons qu’il rassemblera d’autres grands noms de notre continent et de sa diaspora. Et pourquoi pas faire émerger de grands noms à partir de la collection Sembura ! «Je fête donc je suis» de Juvénal Ngorwanubusa, par exemple, publié dans la première livraison de l’année 2021, nous offre un récit fort et enjoué qui mêle humour, célébration et critique des mœurs fêtardes de Bujumbura (Burundi) et du système des bashingantahe, cette justice traditionnelle de proximité qui avait pour rôle d’apaiser les esprits et de régler les conflits courants des habitants. La collection vient de voir le jour, mais le travail accompli cette année est enthousiasmant et prometteur. Elle est désormais ouverte aux manuscrits venus de tout le continent et de sa diaspora (à envoyer à [email protected]) et dispose d’un comité de lecture, composé de grandes plumes, ce qui fait aussi sa force dans le choix des manuscrit et l’accompagnement des jeunes plumes sur le chemin de la littérature.

Quels sont vos projets pour 2022 et de quelle manière comptez-vous introduire la Collection dans les régions non francophones ?

Pour 2022, nous prévoyons de publier un ouvrage collectif sur les institutions en Afrique, une anthologie numérique sur le vivre-ensemble dans les Grands Lacs africains et aussi de nouveaux romans. L’ambition est également de pouvoir traduire les livres publiés dans d’autres langues (arabe, anglais, berbère et d’autres langues africaines), avec la possibilité de faire des livres audio pour toucher le public qui ne maîtrise pas les langues européennes ou qui n’est pas alphabétisé… Beaucoup d’idées sont en germe, ou pour le dire en kinyarwanda : beaucoup d’idées «semburent» et nous faisons de notre mieux pour qu’elles voient le jour. Et comme dit le proverbe : «Qui a planté un arbre n’a pas vécu inutilement». Alors, plantons !

Propos recueillis par Hicham Oukerzaz

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