Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next L'humain au centre de l'action future

Glyndebourne, îlot de civilisation: un opéra de classe mondiale au milieu des moutons

Un opéra de classe mondiale perdu dans la campagne, des gentlemen qui pique-niquent en smoking au milieu des moutons: bienvenue à Glyndebourne, sommet de raffinement et d'excentricité comme seuls les Anglais en sont capables.
On va à Glyndebourne, doma

No Image
«J'ai attendu treize ans sur une liste d'attente avant d'être admis comme membre (de l'opéra), pour avoir plus ou moins les billets que je veux», explique Pierre Richterich, homme d'affaires britannique à la retraite de 68 ans. Les inscriptions sur la liste d'attente sont d'ailleurs closes, le temps d'écluser les 7.500 noms qui s'y trouvent.
Il faut ensuite se perdre sur les chemins de campagne, à deux heures de route de Londres, et une fois arrivé, tenir son rang: smoking obligatoire pour les hommes, robe de soirée pour les femmes.
Mais le mélomane — ou le très snob — est récompensé de ses efforts par la certitude d'accéder à une des plus belles scènes d'opéra du monde, réputée telle depuis sa fondation en 1934 par le riche et excentrique Sir John Christie.
Ce passionné d'opéra se met alors en tête de créer un festival sur les terres familiales de Glyndebourne. Sa femme, la chanteuse d'opéra Audrey Mildmay, soupire, puis lance: «si tu veux vraiment dépenser tout cet argent, John, pour l'amour de Dieu, fais au moins les choses comme il faut».
D'où le perfectionnisme qui demeure jusqu'à ce jour la marque de fabrique de Glyndebourne, du choix des chanteurs à celui du répertoire, en passant par l'acoustique hors du commun de la nouvelle salle de 1.200 places inaugurée en 1994, briques taillées à la main à l'extérieur, pitchpin à l'intérieur. Cette nouvelle salle, et sa tour d'acier controversée, restent les seules concessions au contemporain.
Car les gens viennent aussi à Glyndebourne pour répéter un cérémonial rodé par des décennies: se faire son petit coin dans le parc, splendide, y installer table et pliants. Y revenir à l'entracte, qui dure une heure et demie, pour taper dans le pique-nique.
Les moutons du champ voisin ont pris l'habitude de déguerpir à la vue de cette horde d'hommes et de femmes drôlement vêtus. Parfois, la sérénité de leur soirée a déjà été gâchée par un hélicoptère qui a déposé un VIP sur l'herbe toujours verte de la propriété.
«Glyndebourne est ancré dans la tradition», se félicite Hugh Murchie, un propriétaire agricole de 56 ans qui en connait un bout sur la question. Cet Ecossais d'origine porte le kilt de ces ancêtres et pique-nique avec sa famille autour d'une table de camping rehaussée d'un splendide bouquet de roses rouges.
Après le concert, on discutera dans les jardins privés des Christie, par exemple au pied d'une statue de bronze de Henry Moore, don personnel d'un habitué du festival.
Le charme de Glyndebourne tient à cette alchimie entre hyper-professionnalisme et esprit de famille.
Gus Christie vient de prendre le relais, à la tête du festival, de son père Sir George Christie, qui avait lui-même succédé à son père Sir John.
Gus a prévenu les habitués des lieux: «vous remarquerez peut-être un ballon de football dans les parterres de fleurs, car ma femme Imogène, moi-même et nos quatre enfants venons de nous installer dans la maison», superbe demeure elizabethaine du XVIème siècle.
Tout cela ravit Pierre Richterich, l'homme d'affaires à la retraite, qui oublie chaque année son golf pour faire la route depuis Leeds, à l'autre bout du pays.
«Glyndebourne est un îlot de civilisation. Il n'y a plus beaucoup d'endroits comme cela dans le monde», confie-t-il à son voisin avant de s'enfoncer dans son fauteuil pour savourer les premières mesures du Don Giovanni de Mozart au programme ce soir-là.
Lisez nos e-Papers