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L'Europe sous la lorgnette de la frilosité

La mise au point faite par l'ex-Président français Valéry Giscard d'Estaing, actuel président de la Convention européenne, à propos de «la fin de l'Europe» si celle-ci venait à intégrer la Turquie en son giron, est pertinente à plus d'un titre. La questio

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Deux tendances se sont longtemps affrontées que l'on résumerait en «fédéralistes intégraux» et «stato-nationalistes» dont les premiers sous la houlette d'Alexandre Marc, Denis de Rougemont, Henri Bruchmans, Guy Hérault qui font la synthèse originale entre la pensée proudhonienne (donc contre Marx), le personnalisme de Mounier, nourri au catholicisme et à l'hellénisme. Je me souviens qu'à Athènes en avril-mai 1979, où je fus convié par la CEE qui finançait un grand colloque des fédéralistes européens, prélude à l'immédiate adhésion de la Grèce, où les mêmes questions de fond furent soulevées bien que ce fût le temps lourd de la guerre froide.
International, page 9
Des discours tels que ceux du président Rey, Claude Chasson, le président Tsatsos, ou des historiens ou juristes, tels que J.R. Dupuis ou Zinkin ont placé l'entrée de la Grèce comme un retour à l'Hellénisme salutaire et source d'inspiration pour l'identité européenne.
Les grecs dans leurs majorités n'ont pas tari d'éloge pour cette intégration car ils sortaient de la longue nuit des colonels et surtout - on le cachait à peine - elle renforçait leur position face à la Turquie dont il était clair à l'époque qu'ils la voyaient hors de l'Europe et flanque de tous les préjuges du passé et de la barbarie bien qu'alliée militaire et verrou inconditionné du «contraignement» du camp de l'Est par le Bosphore et les Dardanelles.
L'Islamisme modéré majoritaire aux élections de ce novembre 2002 est-il la goutte qui a fait débordé le vase pour poser le pavé dans la mare ?
Il est un chemin commun en Europe que la tendance la plus affirmée est pour une «identité européenne» dans laquelle le projet est politique mais dont la composante religieuse ou spirituelle repose sur la chrétienté. Helmut Kohl l'appelle «club chrétien». Valéry Giscard d'Estaing qui a l'immense tâche de coordonner le labeur d'élaboration de la constitution de l'»Europe unie» affirme donc que la Turquie n'a pas de place dans ce projet. Il le fait à partir du critère spatial («majorité du territoire turc est en Asie») et du intègre démographique («95% de sa population et de sa culture est hors d'Europe»). La notion de «culture» ici ne fait point de doute : elle signifie la croyance, la credo et la religion.
On peut argumenter que l'espace européen inclut aussi des territoires hors du continent européen (Dom-Tom français par exemple) comme la population européenne contient des millions de Musulmans. Où se situe alors le problème ?
La première «phobie» du projet de «l'Europe unie» trop élargie est celle d'une dilution de l'identité - essentiellement hellénique et chrétienne - de cette entité. Qu'il s'agisse du front est ou du flanc sud, il est naturel que, spatialement, les frontières de «l'Europe unie» doivent être fixées. L'actuel élargissement à l'horizon 2004 à 25 pays fait face aux limites dans lesquelles, la question russe est centrale. Les opposants sont nombreux à refuser l'entrée de la Russie à l'Union et d'autres admettent par contre que l'Ukraine puisse y trouver une place, ultérieure comme c'est le cas pour la Pologne.
Une «Europe de l'Atlantique à l'Oural» comme le percevait De Gaule prend-elle pied dans le réel de la construction. Il est trop tôt de le savoir alors que le refus dominant de la Russie (orthodoxe et slave) répond à quelque chose de plus profond encore, qu'on peut qualifier de phobie de dilution (espace sibérien, héritage lourd du tsarisme et du communisme… ?).
C'est le cas turc qui a pourtant justifier la phobie. Il faut reconnaître que la promesse institutionnelle d'intégrer la Turquie a de véritables antécédents dans les archives de l'Union depuis ses débuts après la signature du Traité de Rome en mars 1957 et on a raison de dire qu'elle date d'une «quarantaine d'année» (Daniel Vernet, in Le Monde 10-11 novembre). Mais il faut reconnaître que la construction européenne obéit à plusieurs logiques stratégiques : la lutte contre le camp de l'Est, la restauration de la démocratie et la sécurité commune avant même de penser à l'immédiate préoccupation du marché commun ou unique.
La première préoccupation est présente dans le cas des pays satellite de l'ex-URSS dont la libération puis et l'intégration à la «maison commune» tente au fond de faire tabula-rasa de la révolution russe et de ses avatars de l'après seconde guerre mondiale qui ont fagorité des pays naturellement du culture et d'identité européenne. La Turquie intégrait la promesse qui lui a été souvent de l'adhésion pour cette raison là à partir du rôle au sein de l'OTAN et du fait qu'aucune parcelle européenne de son territoire ne doit échapper au souci de la défense et de la sécurité commune (pour les Balkans et pour la Méditerranée).
La restauration de la démocratie valait en ce temps là pour tous les régimes des pays du Sud européen : Portugal, Espagne Grèce et évidemment même pour l'Italie au parlementarisme instable et au parti communiste fort et la Turquie où l'Armée s'est depuis toujours arrogé le rôle du gardien du Temple kémaliste.
Faute d'une politique de défense commune affirmée, l'OTAN et les accords bilatéraux faisait l'équilibre nécessaire dans lequel la Turquie n'est jamais absente dans la donne.
Aux trois conditions évoquées on comprend que l'adhésion de la Turquie ne pouvait qu'être toujours inscrite à l'ordre du jour du projet européen qui avance selon une logique «étapiste» et pragmatique que dictent les rapports de force.
A Athènes en 1979, deux courants traversaient (et le traversent toujours) la question de l'Union quel que soit l'aménagement institutionnel (et de prise de décision) du confédéralisme ou fédéralisme envisagé : le vecteur des forces d'une identité européenne vers l'Est et le vecteur d'une identité européenne vers le Sud.
Lorsqu'on évoque l'actuel élargissement vers les pays de l'ex-URSS (avec les conséquences économiques, financières que l'on sait sur l'espace) c'est la première tendance qui l'emporte depuis belle lurette au détriment d'un «approfondissement» du flanc sud dont le processus de Barcelone est la conséquence légitime.
C'est pour cette raison que Valéry Giscard d'Estaing peut avoir raison de voir - au regard de cette perception «est» - que l'intégration de la Turquie signifie une frontière avec le Moyen-Orient et signifie-t-il «pourquoi pas le Maroc dont le Roi (Hassan II) a déjà posé la candidature» ?
La solution au regard du sacro-saint «pacta sunt servanda» vaut pour une adhésion de la Turquie puisque depuis les débuts jusqu'à Copenhague l'Europe a fixé des rendez-vous à Ankara selon des critères.
Pour avoir suivi les conditions de l'aménagement des différents élargissements, l'observateur sait que des conditions sélectives sont faites, parfois draconiennes, pour que l'Etat-candidat devienne membres.
La Turquie s'y est énormément plié et la question objective est de savoir quand ces conditions seront-elles réunies plutôt que de revenir sur une «identité européenne» plutôt mystique que réaliste. Le fait qu'on ait souligné qu'en France ni le Président Chirac ni le Premier ministre Raffarin ne partage la conviction giscardienne peut en dire long sur le dilemme.
Mais il faut reconnaître aussi que le Président Giscard d'Estaing vient en réalité de soulever le couvercle de cette boite de Pandore en posant la question épineuse des frontières de l'Europe.
D'une part, puisqu'il refuse l'entrée de la Turquie à l'»Europe unie», il place Ankara face à face avec elle-même et d'une manière brutale si jamais Bruxelles aboutissait à cette décision.
En effet, le kémalisme est une révolution puis qu'Atature mettait fin au Califat, instaurait la république laïque, à la culture arabo-musulmane dont l'écriture arabe est le symbole pour cette «modernité» qu'il confondait avec l'Europe. Il ne pouvait seulement transporter le territoire entièrement en Europe pour répondre aux exigences actuelles.
La montée de l'Islamisme radical d'Arbakan bloqué intérieurement lorsqu'il céda à la pression de l'armée on celle du PJD «modéré» qui déclare adhésion à la démocratie, à l'Etat de droit, serait-elle la fin d'une illusion européenne du projet kémaliste ?
Le risque majeur est qu'une frontière qui met hors du champ européen la Turquie signifierait à plus ou moins long terme l'accélération du retour à un atavisme religieux du lointain «Etat islamique khalifal». La perception du Sérail européen clos n'est pas loin et qu'aucune formule «associaniste» privilégiée ne saurait compenser car on partant du critère identitaire on retrouve une altérité en face. Au flanc sud-ouest, l'identité européenne commencerait par un dépassement de l'ère coloniale à Gibraltar comme à Ceuta, Mellila et les îles occupées par l'Espagne.
La méthodologie des «cercles concentriques» qui désignerait des catégories d'Etats au sein de l'Union selon le degré d'intégration est une supercherie ségrégationniste que la théorie fédéraliste refuse car celle-ci est fondée sur l'autodéfinition et le consentement mutuel.
Le dilemme européen réside encore entre universalisme et une impulsion de type identitaire mystico-religieuse qu'elle avoue à peine alors qu'elle fustige les nations où s'expriment les effluves du moi-collectif.
L'historien Max Gallo signifie cela brillamment dans sa trilogie récente sur la chrétienté «que ne saurait faire taire quelques décennies de laïcité de la république, celle-ci étant aussi fille de l'Eglise» (entretiens à TV5, début nov. 2002).
Lorsqu'on parle entre européens de frontières de leur futur «Etat-nation» unifié, l'universalisme semble être en panne. J'y est vu personnellement le signe d'un échec de l'ouverture prônée et d'un esprit d'une Babylone naissante.
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