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La nouvelle théorie des dominos de George Bush

Les attentats du 11 septembre ont eu ceci de particulier qu'ils ont réveillé l'Amérique de sa torpeur. Le soutien, manifesté à l'échelle mondiale, que les gouvernements lui ont apporté spontanément s'accompagnait d'une condamnation sans réserve du terrori

La nouvelle théorie des dominos de George Bush
Un mois plus tard, lorsque les premières frappes s'abattirent dans la nuit du 8 octobre sur Kaboul, l'opinion mondiale retint à la fois son souffle et soupira de soulagement : George W. Bush ne se contentait donc pas des proclamations et des gesticulations. Il venait de passer aux actes. Les Talibans et le peuple afghan n'en attendaient pas moins à vrai dire, plongés désormais dans une longue nuit où leur destin relevait à coup sûr des scénarios mis au point au Pentagone. Le démantèlement ensuite, mené tambour battant, des poches de résistance du réseau Al-Quaïda, l'échinante recherche de Oussama Ben Laden dans les grottes de Tora-Bora - au demeurant toujours introuvable ! - a, l'arrivée des troupes américaines et alliées, d'abord à Mazar-al-sharif, ensuite à Kandahar et enfin à Kaboul sonnaient comme un refrain plus ou moins programmé, assez logique en tous cas pour ne pas susciter de grands enthousiasmes. Un peu moins de trois mois, en effet, auront donc suffi pour renverser un rapport de forces inextricable dans cette partie du monde, devenue subitement le point de mire de la diplomatie internationale, plate-forme des contradictions stratégiques aussi. Le nouveau gouvernement de l'Afghanistan libéré qui en est issu, puzzle etnico-culturel en permanente menace d'être défait, s'est d'emblée inscrit dans la nouvelle logique. Il y a eu comme la récupération d'une identité usurpée par talibans interposés.
Les conséquences de la guerre d'Afghanistan continuent de se mesurer naturellement en termes de pertes humaines et, accessoirement dirions-nous, de dollars. L'armada américaine déployée, après avoir stabilisé le pays, compte, si l'on en croit George Bush, s'y maintenir aussi longtemps que les risques d'instabilité persistent et menace la cohésion du pays. C'est une donne nouvelle, que celle de voir désormais les troupes américaines s'installer durablement sur les théâtres d'affrontements, là où Washington juge à tort ou à raison ses intérêts menacés.
Le fil rouge, le fil conducteur de cette mobilisation, accompagnée d'une hausse vertigineuse du budget de la défense à laquelle le Congrès acquiesce sans rechigner, c'est évidemment la «lutte contre le terrorisme» Celle-ci relance, c'est le moins que l'on puisse dire, le vieux débat, ce mythe du « containment» anticommuniste qui servait il y a trente ans à justifier le principe des interventions américaines un peu partout dans le monde. Et que les conseillers en stratégie , Henry Kissinger, Zbignew Brzenzki et autres avaient codifiée sous forme de règle. L'Asie, l'Afrique, le Moyen Orient voire l'Europe servaient tour à tour, parfois simultanément de points d'accrochages politico-idéologiques où l'Amérique impériale jouait son va-tout...

Une Amérique revigorée mais menacée
Non que la situation d'aujourd'hui soit comparable à celle des années cinquante et soixante. Non que la conseillère ardente, Condolezza Rice chevauchât sur les sentiers et les traces de ses prédecesseurs... A l'époque, les Etats-Unis, de Foster Dulles à Ronald Reagan et G. Bush père , en passant par Eisenhower, John FItzgerald Kennedy, Lyndon Jonhson, Richard Nixon, Jimmy Carter, avaient en face d'eux une Union soviétique aguerrie par le bolchévisme , qui constituait, bon an mal an, une sorte de glacis impénétrable, fascinante par ses mystères et repoussante à la fois par les révélations que les dissidents, à leur tête Shakarov et Soljenitsyne, en faisaient. L'empire soviétique, arraché et taillé à Yalta en 1945 par Jospeh Staline face à un Roosevelt plus ou moins lassé et chancelant , est parti en quenouille en novembre 1989, fondu dans la marée des espérances humaines. Depuis lors, il ne représente plus de danger potentiel pour une Amérique revigorée mais menacée en revanche par la certitude qu'elle constitue désormais la seule puissance militaire du monde. De n'avoir plus d'adversaire de la taille de l'Union soviétique, peut-il conduire l'Amérique à une sorte d'affaissement sur elle-même ?
La question est pertinente, elle nous interpelle gravement en ces temps où les repères se perdent sous le flot d'images et de clichés qui nous brouillent la visibilité des événements et compliquent davantage qu'elles nous éclairent les entrelacs d'une situation chaque jour compliquée. La fin de la guerre froide, sonnée en automne 1989, n'a pas pour autant éteint les lampions ou le spectre de la guerre tout court.

Les champs de bataille en ruine

En témoigne la trentaine de conflits qui embrasent, tour à tour, les régions de la planète, où l'ONU se trouve plus d'une fois piétinée, où enfin l'Amérique se trouve projetée malgré elle dans le rôle ingrat de «gendarme ». Si les années cinquante et soixante, voire soixante-dix et quatre-vingt incarnaient une sourde mais constante rivalité américano-soviétique et un affrontement feutré entre les Etats-Unis et la Chine populaire, les dernières années du siècle qui vient de s'achever ont a contrario placé le gouvernement américain devant ses nouvelles « responsabilités impériales » ( Raymond Aron) . Les foyers de tension, de guerre larvée ou déclarée, au Rwanda, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Irak, en Somalie , au Proche Orient, sont un peu à la responsabilité des Etats-Unis ce que les provinces pacifiées furent à l'extension de Rome...Des points sur la carte géopolitique, certes lointains, mais cruciaux dans le dispositif stratégique que l'Amérique ne cesse de façonner.
On en veut pour preuve : l'intervention américaine ce week-end dans l'île de Basilan, dans le sud des Philippines qui, placée naturellement dans le même ordre de préoccupations, à savoir la lutte antiterroriste, semble renouer avec de vieilles habitudes. Lyndon Johnson, après qu'il eut succédé à John Kennedy, assassiné à Dallas, avait lui aussi commencé en 1964 par faire envoyer des conseillers militaires logistiques au Vietnam , mettant chaque jour un peu plus le pied dans cette fourmilière, engluant progressivement l'Amérique jusqu'au jour où la guerre du Vietnam était devenue la guerre de l'Amérique, la guerre contre l'axe du mal communiste. La tentation est grande, aujourd'hui, de procéder à une comparaison plus ou moins justifiée. Au prétexte qu'il combat l'islamisme, selon certains à Washington, substitut au mal communiste, George Walker Bush n'engage-t-il pas l'Amérique sur les sentiers d'une nouvelle guerre froide, opposant cette fois les stratèges américains à une communauté opaque, deux milliards de Musulmans peu ou prou attentifs aux mouvements qui les interpellent ? Qu'ils dénocent avec vigueur le terrorisme, qu'ils se refusent à l'identification abusive avec les islamistes, ne les empêche nullement de condamner, non sans amertume, la politique de deux poids, deux mesurtes de l'administration Bush, notamment au sujet de la Palestine. Car, enfin voilà de beaux principes qui servgent de pilier à la politique américaine, mais qui sont tout simplement démantibulés par l'arrogance du gouvernement Sharon au Proche Orient. L'Afghanistan, le Sud des Philippines, bientôt l'Irak, la Somalie, la Corée et l'Iran ... Le déploiement des troupes américaines à l'échelle planétaire nous fait retrouver un goût du déjà vu. Il relance cette fameuse théorie des dominos, cultivée naguère dans les officines du brain-trust militaire américain et mise en œuvre, mais à quel prix, des décennies durant. Que la France proclame aujourd'hui son opposition à la théorie nouvelle de l'axe du mal, formulée et défendue mordicus par George Walker Bush, n'est pas sans rappeler l'acharnement avec lequel le général de Gaulle dénonçait autrefois la tendance à l'interventionnisme des Etats-Unis . Il est vrai que 'Amérique ne saurait à elle seule, nous le pensons, assumer le poids du monde. Dans sa grandeur et sa puissance, elle est plongée bon gré mal gré dans une terrible solitude. Il n'est pas moins vrai que les servitudes de la grandeur n'autorisent pas non plus la propension à tout régenter au nom du fameux « America first » et de la seule conviction que la puissance militaire est la seule politique...
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