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Monarchie et impératif culturel

L'unanimité ne s'est pas faite sur la notion de culture et les usages oscillent entre l'approche restrictive qui applique la notion à tout ce qui est création artistique ou intellectuelle et l'approche extensive, la plus large possible, qui consiste à con

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Cet usage est intéressant car il est au cœur des enjeux du débat public profond qui place la Monarchie, institution constitutionnelle, dans sa centralité et son primat dans l'évolution actuelle du Maroc contemporain. Quels critères adopter pour une lecture de cette évolution, la plus récente et comportant pour l'avenir les choix d'un impératif justement culturel ?
Il est de ce point de vue utile de s'interroger foncièrement sur nos «bases culturelles et sociales» de la démocratie comme il est toujours requis pour les sociétés l'ayant instaurée et vécue.
Quelles «caractéristiques institutionnelles et culturelles de base», selon la formule et critères de S.N. Eisenstadt peuvent être adoptées pour voir clair sur les quelques années qui viennent de s'écouler ?
L'institution monarchique s'est largement servie de ses prérogatives pour donner à la transition vers la démocratie ses plus profondes tendances structurelles. Sept points peuvent être avancés.
1. La multiplicité des centres de décisions autonomes, fondée sur «le ressort individualiste des sociétés civiles», est en train de se construire. La description largement diffusée, à la faveur d'une ouverture hésitante mais réelle, est que le lien étroit existant entre la vigueur d'une société civile et les chances des processus de démocratisation s'est affermi au Maroc. Comme pour toute œuvre d'introspection, il est certes difficile «de se mettre au balcon et de se voir passer dans la rue». Mais il ne faudrait point non plus céder aux tableaux sévères de zélés d'ici et d'ailleurs qui consistent à radoter le passé lointain pour faire croire à une tare insurmontable, assimilable à ces vulgates sur l'impossibilité démocratique chez les peuples du Sud et d'Orient.
2. Le haut degré de perméabilité entre les périphéries sociales et les centres politiques est encore non atteint mais à l'actif de la période actuelle tout le monde s'est nettement affranchi de ces «tabous» qui faisaient que l'on n'appelait point un chat un chat. Les linguistes et sémiologues n'ont pas encore livré les résultats de leurs investigations sur l'évolution nettement significative du langage politique et que les journalistes ont largement médiatisé. Force est de constater la foisonnante dynamique du propos sur l'ambition de rétablir l'égalité des chances, l'empire des seules compétences, d'instaurer la justice (distributive ou commutative), de rétablir l'éthique de responsabilité…, qui étaient dénoncés comme problématiques et au cœur de l'étanchéité sociale, de créer plus de perméabilité. On omet souvent d'invoquer le facteur temps dans les évolutions car l'obsession d'un «ici et maintenant» fait fi d'admettre qu'il faut du temps aux transformations. La culture ne s'invente pas en matière de représentations et à fortiori dans le domaine des pratiques sociales. L'insistante réalité est l'existence de demandes sociales dont la perméabilité consiste de leur trouver l'intermédiation politique valable. Le Souverain a, à maintes reprises, envoyé des messages forts dans ce sens.
La réforme du système politique capable d'amorcer l'évolution voulue pour plus de perméabilité entre périphéries sociales et centres politiques repose sur deux approches. L'une favorise la lecture consensuelle d'un texte constitutionnel dont il faut ressortir toutes les possibilités selon un réalisme qui contraint à croire que les évolutions constitutionnelles nécessitent un long processus de maturation sur la base d'une observation réfléchie des pratiques avant de «réformer».
C'est donner ainsi au texte constitutionnel sa sacralité car on ne le rabaisse pas à un texte ordinaire dont la modification (le terme «amendement» anglo-saxon est réservé à cette sacralité) est plus flexible, plus fréquente. Le Maroc va dans ce sens.
L'autre approche est d'aller vite en besogne chaque fois que la clameur publique fait écho de desiderata et lorgne du côté de la Constitution. La référence à l'exigence de sagesse pour garder le feu sacré de principes constitutionnels est d'une primauté à toute épreuve, où l'on ne s'improvise juriste constitutionnaliste, si le droit, et en parler, veut dire quelque chose au sein de la démocratie substantielle. Or on a trop invoqué l'urgence d'une réforme constitutionnelle là où il faut savoir aller plus en avant dans ce que permet déjà la Constitution actuelle.
On a jugé par méconnaissance qu'il y a lenteur, inflation de procédures et de niveau de contrôles dans l'adoption de ces règles commandant au changement en quête de la perméabilité évoquée. S'accommoderait-on donc d'un travail expéditif, d'un «fast food», en ces matières de réforme du système politique ? Il y a confusion dans les représentations relatives à la réforme chez les acteurs.
La définition d'un agenda politique, sa gestion et la programmation d'une légistique conséquente (pour établir les textes impliquant l'exécutif et le législatif) ont été au cœur du processus mais comportent des carences graves en raison du flou dans les représentations.
On a pu constater que le Souverain, à travers le discours Royal, a souvent tracé les grands contours d'une perspective de réforme, dans le fond et la forme, mais dont la conduite par l'exécutif vers le législatif comporte des hiatus. La notion de «centres politiques» est alors à visiter, sérieusement, car elle est certainement la préoccupation plus ou moins exprimée dans le souci inquiétant relatif aux partis, aux syndicats, aux associations professionnelles, etc.
Ces «centres» mal organisés retardent le processus visant à atteindre le «haut degré de perméabilité «attendu dans une démocratie.
3. La flexibilité sociale et l'absence de cloisonnements trop étanches est un critère fiable et les discours Royaux les ont directement abordées comme finalité du projet politique de réforme durant ces dernières années, si l'on admet que les politiques publiques à l'œuvre dans le domaine social visent davantage à déraciner les causes profondes des disparités, de la précarité spacialement et économiquement. Les indications sont directes et les multiples déplacements du Souverain in situ sont autant de signes que le décloisonnement des rapports sociaux est une préoccupation majeure. Régionalement, il importe qu'il se fasse entre espaces que traverse l'écart redoutable, notamment entre ruraux et urbains et entre catégories sociales pour un juste milieu salutaire.
4. On a aussi jugé que la forte autonomie des groupes sociaux figure parmi ces caractéristiques de base de la démocratie. Le pluralisme au sens culturel et social se trouve-t-il là où ses préceptes organisationnels par partis interposés ne sont que la face «procédurale» ? Il importe de savoir quels groupes sociaux dynamisent la configuration générale d'une société, notamment au plan économique mais aussi comme moteur des évolutions. S'il y a crise de l'entrepreneuriat, il faut s'inquiéter de la tendance car la formation du capital, le goût du risque, les alliances pour y parvenir, la créativité industrielle et la mise en œuvre de la transparence dans le jeu compétitif en affaires, etc. sont œuvre de longue haleine et sont justement nés de substrats culturels spécifiques à des groupes sociaux plus qu'à d'autres (V. thèse de Weber sur le protestantisme et capitalisme).
La réforme battant son plein pour rétablir le marché, asseoir les règles de la compétitivité mais va-t-on vers un marché sans esprit réel du capitalisme ? Comment encourager davantage la culture de l'initiative, de l'entreprise ? Il n'y a pas un jour où l'on ne constate ces questions traverser les espaces médiatiques.
Mais l'autonomie des groupes sociaux signifie aussi l'émergence d'autres catégories qui étaient davantage tues ou plus invisibles : la femme a gagné comme thème en visibilité et la catégorie subit un traitement qui manifeste la tendance, non sans entraves sérieuses, à l'autonomie. La maîtrise du dossier féminin via la commission Royale pour la réforme de la Moudouana a permis d'éviter des dérapages. La montée en puissance de revendications strictement politiques est particulièrement audible. L'essentiel est d'ouvrir un débat public, serein, qui puisse accepter les longs processus de maturation car il ne faut pas prendre l'idéal pour la réalité car celle-ci est plus dure côté féminin. L'élite est limitée aux villes et en dehors des capitales c'est le désert…
La réflexion sur les groupes sociaux peut continuer sur le «paradigme ouvrier» conduisant à la centralité du facteur travail, au rôle du droit (code du travail encore bloqué), à celui des syndicats en phase de libéralisation du marché, aux rapports de ces derniers avec les partis etc., L'»autonomie» est beaucoup plus complexe, sujette à caution et la nostalgie de l'ouvriérisme» ne semble point s'accommoder des lendemains des réformes en place.
Dans les schismes, les fractures idéologiques, l'édifice syndical s'effrite et il faut le «restaurer» au sens d'un monument culturel ou se contenter des traitements de façades sachant bien que la fonctionnalité est radicalement à changer ?
C'est pour cela qu'en cette phase de transition, la voix souveraine, constitutionnelle, opère cet arbitrage nécessaire qui cimente, rétablit la confiance entre capital et labeur pour une paix civile, sociale plus durable.
5. Mais la pluralité des élites, et en même temps que leurs multiples recoupements est le critère le plus vérifiable sur lequel la scène politique marocaine a offert les évolutions les plus marquantes ces derniers mois.
Le consensus ayant balisé l'alternance actuelle comme transition dans la transition vers la démocratie a permis d'opérer à froid l'interrogation sur la faisabilité d'un système partisan à même de produire des élites incontestées et crédibles pour bâtir une bonne gouvernance.
L'édifice en place, comme héritage, est lézardé à force de traîner une mémoire passée surtout des soldes négatifs, de porter les stigmates des schismes internes et des enfantements douloureux. La discorde gagne tous les points cardinaux du système partisan et en bonnes familles, on sauve souvent les apparences. Ceci est bien un trait culturel où l'on consomme difficilement les séparations et fait le deuil des morts subites. Mais il y a quelque chose aussi de très culturellement positif ou le proverbe marocain admet que «point d'amour sans adversité consommée» et les réconciliations entre extrêmes rompus se refont. La dynamique peut naître par civilité, par pacte admettant l'honneur, par invocation des ancêtres réels ou éponymes et l'avenir est reconstruit comme idéal commun.
Quand bien même l'élection en motive les élans, il y a quelque chose de profond dans ces éternels retournements pour croire en un dessein démocratique par le multiple et les élites s'adapter par survie mais aussi par conscience. J'ai toujours senti, qu'au lendemain d'un discours Royal, ces élites s'exprimant sur son contenu, y trouvent une motivation profonde voire même une source d'inspiration certaine.
6. Un juriste, observateur de la tradition juridique et de celle de la modernité reçue depuis des décennies, ne peut refuser d'admettre que l'indépendance du système juridique face à l'Etat comme critère du credo démocratique. Non pas qu'il faille rompre avec les règles d'essence étatique mais qu'en ce domaine, l'ensemble des règles et des institutions puissent fonctionner sans que la chappe étatique ne soit pesante voire présente partout et à tout moment et que tous les acteurs puissent recourir au droit avec indépendance sans contrainte bureaucratique et sans que le système judiciaire soit lui-même un ensemble de labyrinthes kafkaïens.
La culture en formation va dans le sens d'une revendication plus expressive de cette indépendance.
Les “corps» dont le label est la pratique du droit connaissent une crise et tout indique qu'à force de remettre de l'“ordre» partout, il y a des craintes de continuer à opérer un système de verrouillage préjudiciable. Mais l'expression sincère et franche de la revendication est elle-même symptomatique d'une ouverture salutaire.
7. Enfin, l'autonomie des villes et des centres de créativité intellectuelle, économique ou scientifique indique la tendance démocratique . La réforme communale en chantier, les opérations visant à préparer l'unité de la ville et son aménagement, la conscience que les “technopôles» sont nécessaires car elles joignent la ville aux préoccupations économico-financières et de créativité scientifique et intellectuelle. L'aménagement du territoire sort de quelques sentiers battus et il faudra ces derniers mois les desseins stratégiques au sud profond comme au nord le plus céleste et maritime. Il suffit de lire et surtout de bien lire, en discours et en actions.
Les sept critères évoqués méritent bien des illustrations à partir des discours Royaux pour démontrer à quel point la parole Royale est inséparable de l'impératif culturel qui sous-tend la construction démocratique au Maroc.
Néanmoins, deux observations majeures commandent à ces évolutions selon les sept critères discutés : elles sont liées à ce que l'on nomme comme le dessein identitaire.
La première est liée à l'identité territoriale puisque, autour d'elle, se structure l'être marocain et fait de notre ère contemporaine le trait dominant. Au sud, en ce moment, les territoires récupérés nécessitent davantage de mobilisation derrière le Souverain car les ennemis (il n'y a pas d'autres qualificatifs) ne décrochent pas car leur obsession atlantique découle d'une géostratégie où les voisins de l'Est s'inspirent de Ratzel, plutôt que d'Ibn Badis ou de l'Emir Abdelkader.
Au nord, on a vécu ces dernières semaines une résurgence du “rêve africain» de l'Espagne qui ne démord pas de ses vieux démons coloniaux.
La décolonisation est à l'ordre du jour car notre identité territoriale en dépend.
La seconde observation est relative à l'identité linguistique. L'apport cardinal de recourir à la création de l'IRCA (Institut Royal de la culture amazigh) est un tournant capital car le Souverain a défini à l'occasion les composantes de l'identité marocaine. Un pas gigantesque a été franchi et le pluralisme culturel a été libéré de décennies de fausses querelles dont la nuit coloniale et l'obstination étriquée ont tissé les contours. Le projet politique qui consiste à construire la démocratie dans l'authenticité culturelle a ses fortes chances.
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