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Nouveautés éditoriales

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Le roman de l'aïeule silencieuse


Romancier, poète, dramaturge, le Zimbabwéen Chenjerai Hove livre avec son nouveau roman un chant d'amour pour son pays mis à mal par la colonisation et la dictature.
«Elle était là, face au monde, sans mots cette enfant, cette nouveau-née, aux temps lointains d'une naissance. Une fille sans mots, si différente de celles qui chantaient à leurs amoureux les chansons les chatouillis du cœur…». C'est par cette évocation de la naissance de l'aïeule sourde-muette du narrateur que commence ancêtres. Le destin tragique, plein de poésie et de douleur. Méprisée par les siens, montrée du doigt comme «le cœur du mal», mariée de force à un ivrogne, elle se suicide. L'auteur a imaginé que de longues années après sa mort, Miriro renaît à la parole. Instrumentalisant la voix d'un jeune adolescent de sa tribu, elle revient raconter sa propre histoire, mais aussi celle de son peuple dont elle est la mémoire.
L'essentiel de cette histoire se déroule à l'époque coloniale. La conquête du pays par les Européens a éloigné la population de ses terres ancestrales fertiles. Depuis, celle-ci vivote dans des bantoustans étroits (où la terre n'est que du sable. Miriro témoigne de la frustration des adultes face aux persécutions que leur font subir les Blancs. Ce récit d'asservissement colonial est aussi celui de Mucha dont la voix sert de support aux Miriro ne lui emprunte pas seulement sa voix, mais aussi son existence de jeune vacher naïf dans les interstices de laquelle elle inscrit sa propre parole. S'adressant à lui à la deuxième personne, elle lui dit son présent, son passé et son futur. Elle lui fait revivre les tourments et les troubles de son enfance, son admiration pour son père et l'humiliation qu'il éprouvait à le voir se plier aux ordres du maître blanc. «Je veux oublier le temps où je me réveillais pour lécher les bottes sales de l'homme blanc».
De construction complexe, «Ancêtres» est un roman atypique. A mi-chemin entre récit, drame et presse poétique, ponctué de chants, de devinettes et de dialogues, il privilégie l'énonciation à la narration. Il est composé de voix qui se suivent et se superposent, faisant entendre une polyphonie chaotique et bouleversante d'espoirs brisés. Il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, mais des intrigues qui se croisent et s'entrecroisent, dessinant d'une manière impressionniste la carte des maux d'une société dominée, asservie à la loi du colonisateur du père.
Après Ossuaire publié en 1997, et Ombres en 1999, Ancêtres est le troisième roman de Chenjerai Hove traduit en français. Hove est aussi poète et a publié deux anthologies dans sa langue maternelle, le shora. Imprégnée d'un lyrisme lancinant et profondément enracinée dans les rythmes de la pensée et de l'oralité shona, son œuvre trace un sillon original dans le champ de la littérature africaine.
Chenjerai Hove : ancêtres. Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Richard. Collection «Afriques». Actes sud, 215p.

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Alain Mabanckou: un peuple en enfer


«Les Petits-fils nègres de Vercingétori» est le troisième roman du poète et romancier Alain Mabanckou. On se souvient de son premier roman Bleu-Blan-Rouge, lauréat du Grand Prix littéraire de l'Afrique noire 1999, qui racontait le monde bigarré des dandys congolais et leurs rêves d'immigration en France. Construit comme une enquête policière, son deuxième roman, et Dieu seul sait comment je dors (2001) qui explore le passé de malheurs et de traumatismes de son héros antillais, nous entraînait en Guadeloupe. Avec son troisième roman, Mabanckou revient sur ses pas et évoque les déchirures de l'Afrique postcoloniale. L'intrigue de ce livre se déroule dans un pays africain imaginaire, la République du Vietongo qui n'est pas sans rappeler le Congo-Brazzaville dont l'auteur est issu. Le pays est en proie à la guerre civile qui détruit sur son passage les individus, la société, la civilisation. L'histoire de la folie de la guerre ethnique qui a embrouillé et embrasé les esprits dans le Vietongo, est racontée à la première personne par la jeune narratrice qui a fui avec sa petite fille son foyer dans le Sud. «Je m'appelle Hortense Ilokki, je suis nordiste (...) J'étais mariée à Kimbembé, un sudiste, natif de la même région que Vercingétorix et Son Excellence Lebou Kabouya, deux personnages que le lecteur connaîtra très vite.
Les faits que je raconterai couvrent sans doute la période la plus sombre de notre pays.» Habituée à tenir son journal où elle racontait autrefois ses crises de puberté, ses flirts, Hortense écrit aujourd'hui dans l'urgence, retraçant dans des cahiers d'écolier pour une postérité toute hypothétique ce qui lui arrive, ainsi qu'à ses proches, mais aussi la lente descente dans les enfers de tout un peuple. Avec ce roman qui a pour thème la guerre et ses traumatismes, Alain Mabanckou renoue avec les grands textes des années 70 et 80 (Mongo Beti, V.Y. Mudimbe, Williams Sassine), qui mettent en scène avec une grande profondeur psychologique et un sens aiguë tragique les déchirures et les violences de l'Afrique des indépendances.
Alain Mabanckou : les Petits-fils nègres de Vercingétorix. Le Serpent à Plumes, 26 p.

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Fellag, un humoriste qui ne rit plus


«Le premier homme dans l'histoire de l'humanité, qui a frappé une femme avec un gourdinon lui disant de ne plus sortir de la grotte, a inventé la politique». Dans ce recueil de nouvelles, le deuxième écrit par le célèbre homme de scène algérien, l'humour est là, mais la tragédie domine. La cruauté, la terreur, l'absurde. A travers cinq personnages, Fellag nous plonge dans un Alger de cauchemar. Pour un rire mal placé, Mourad se retrouve entre les griffes de la police politique. Kamel et Nordine, amis d'enfance et désormais dans deux camps opposés, se tirent dessus sans savoir pourquoi. Farid, Samia et Hocine l'extrabondiste n'ont d'autre issue que de fuir : le premier dans un univers de rêve où tout est parfait ; la seconde à travers un long soliloque à l'intention d'un amant imaginaire; le dernier à New York... et dans la folie. La plupart «font partie de ces gens qui tentent de s'évader d'eux-mêmes sans y parvenir, tellement les barreaux de leur souffrance sont épais.» Comme dans Rue des petites daurades, le premier recueille de Fellag, on croise une foule de personnages et de situations poétiques clichés aux accents de roman rose parsèment le discours de Samia. Au total, la vivacité de l'écriture, les élans féministes et humanistes, l'intensité de l'émotion ressentie par le conteur et transmise au lecteur méritent le détour.
Fellag : C'est à Alger. Ed. Jc Lattès, 218 p.

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Echapper à son destin


Maïouf, un jeune Badawi (Bédouin) né d'une femme répudiée et d'un notable local dans un petit village de Syrie, s'efforce d'échapper à sa condition en se montrant brillant à l'école. Ses efforts couronnés de succès, le jeune homme s'en va faire des études en France. Ce premier exil enseignera à Maïouf, devenu Qaher pour mieux dissimuler ses origines bédouines, qu'il est difficile d'échapper à son sort. S'efforçant d'oublier Fadia, la jeune femme qu'il a laissé en Syrie, l'étudiant devenu ingénieur des pétroles s'en va travailler dans les puits des Emirats Arabes Unis. Il pensera un moment être devenu autre mais le destin et le désert ne laisseront pas s'échapper leur proie.
Badawi est un roman partiellement autobiographique. Son auteur, l'écrivain syrien Mohed Altrad, vit en France depuis longtemps mais l'infinie nostalgie qui émane de ce texte montre combien les blessures de l'exil sont longues et difficiles à cicatriser.
Geneviève Fidani
Badawi, Mohed Altard, Actes sud, pages.
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