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Le directeur de l'UNESCO : un milliard d'habitants privés d'accès à l'eau potable

L'article qui suit résume l'intervention de l'auteur aux Entretiens du XXIe siècle organisés dernièrement par Jérôme Bindé à l'UNESCO, à l'occasion de l'Année internationale de l'eau douce, et en amont du Troisième Forum mondial de l'eau de Kyoto. Les aut

Le directeur de l'UNESCO : un milliard d'habitants privés d'accès à l'eau potable
L'eau a fait une entrée remarquée sur la scène politique internationale. C'est la marque d'une prise de conscience : et si ce don du ciel au cycle apparemment perpétuel n'était pas pour autant inépuisable ? C'est aussi la fin d'un symbole : et si cette source de vie, qui est au cœur de nombreux rites et des pratiques d'hygiène, n'était plus synonyme de renaissance et de pureté ? Il faut se rendre à l'évidence : l'eau est une ressource de moins en moins courante, et sa qualité aura de plus en plus un coût. En fait de pureté, on ne compte plus les régions du monde où l'eau, souillée, répand la mort plus que la santé. En lançant le Programme Hydrologique International dès les années 70, l'UNESCO a depuis longtemps anticipé cette nouvelle donne que le Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg vient de reconnaître comme l'une des grandes préoccupations de ce début de siècle.
En effet, au Nord comme au Sud, l'accès à une eau potable et saine constitue un élément essentiel de la sécurité humaine et du développement durable. Il est de plus en plus un droit. Or, 1,2 milliards de personnes n'ont toujours pas accès à l'eau potable et 2,4 milliards sont privés de services d'assainissement. Pourtant, les ressources mondiales d'eau douce sont presque partout suffisantes pour couvrir les besoins en eau potable, mais des disparités considérables, tant géographiques que sociales, affectent la distribution de l'eau. Le problème se pose donc moins en termes de quantité que de répartition. Et, de plus en plus, la qualité de l'eau est au centre des enjeux.
Extrêmement sensible à l'activité humaine, soumise à une exploitation intense qui mobilise toute une ingénierie technique, l'eau est une ressource de moins en moins « naturelle ». En un sens, elle ne coule plus de source. La nécessité d'une nouvelle culture de l'eau, unissant aménagement et ménagement, s'inscrit dans cette logique. Pour répondre aux besoins alimentaires, sanitaires et énergétiques d'une population croissante, il est temps d'adopter une attitude plus « sobre ». Comme tout droit, celui de l'être humain à l'eau impose aussi des devoirs : devoir pour les responsables publics d'assurer la desserte, devoir pour les usagers de réduire les gaspillages.
Ainsi, l'agriculture consomme à elle seule près des deux tiers de toute l'eau prélevée dans les réservoirs naturels. Améliorer le rendement des cultures, installer des systèmes de drainage, juguler l'irrigation excessive responsable de véritables désastres écologiques, tels sont les objectifs. De plus, les prélèvements d'eau ont été globalement multipliés par sept et l'utilisation par l'industrie par 30 au cours du XXème siècle. Dans ces domaines comme dans d'autres, les applications de la recherche scientifique pourraient modifier considérablement la situation, pourvu que l'information suive et que les comportements s'adaptent. Science et éducation sont donc les conditions de ces progrès, dont l'urgence se fait plus pressante à mesure que les besoins des villes augmentent. Celles-ci ne sont d'ailleurs pas un modèle d'économie : on estime à 40% la part de gaspillage dans leur consommation !
Parallèlement, les rejets d'eaux usées ont été multipliés par vingt en un siècle. Quant aux pollutions diffuses liées à l'agriculture (nitrates, pesticides…), à l'industrie et au développement urbain, elles continuent de menacer les réserves en eau. Des risques pèsent sur la sécurité alimentaire, les écosystèmes sont bouleversés, les maladies causées par l'eau affectent gravement les pays en développement : des millions de personnes en meurent chaque année. Cette pollution constitue d'ores et déjà un vaste problème de santé publique. Si nous ne réagissons pas, c'est l'avenir même de la ressource qui est compromis et, avec lui, le bien-être, voire la vie des générations futures.
La réduction des inégalités et la protection de l'eau imposent que celle-ci soit reconnue, au niveau international, comme bien commun et comme patrimoine. Cette conception, qui met au premier plan la valeur de partage, participe aussi d'une contribution à la paix. Car l'eau, de plus en plus vitale, est par là-même devenue un enjeu stratégique. Or, 261 bassins fluviaux de par le monde sont partagés entre plusieurs États. On voit poindre le risque de « guerres de l'eau ». En se dotant d'instruments juridiques solides, la communauté internationale doit éviter que le conflit ne prenne le pas sur la concertation dans la répartition de l'approvisionnement, notamment dans les régions où se conjuguent manque d'eau et tensions politiques.
L'eau a intégré le circuit économique, c'est un fait. Avec les investissements énormes que nécessitent les aménagements hydrauliques, la gratuité n'est plus de mise. Mais l'accès de tous à l'eau potable suppose qu'on tienne compte des moyens et des besoins des utilisateurs pour ajuster les tarifications : la nouvelle culture de l'eau, c'est aussi une éthique. Un même souci d'équité devrait guider la prise de décision : les grands chantiers hydrauliques, en particulier les barrages, ont souvent une « addition » sociale et humaine très élevée, et l'on éviterait bien des désastres en favorisant plus de concertation. Mais là encore, la démarche ne se conçoit pas sans un effort d'éducation, d'information et de formation.
L'UNESCO a décidé de faire de l'eau l'une de ses principales priorités au cours des prochaines années.
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