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Bonaparte d'Ahmed Youssef : pérégrinations napoléoniennes en Egypte

Malgré son appartenance aux Lumières, Napoléon a conféré une forte dimension religieuse à son expédition en Egypte. De conquérant, il a été conquis par ce pays et du choc culturel qu'il a initié, les terribles ondes demeurent actives jusqu'à aujourd'hui.

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Persuadé qu'il fallait mener avec vigueur la lutte contre l'Angleterre, Bonaparte a choisi de la frapper sur la route de la plus riche et de la moins soumise de ses colonies, l'Inde.
Le 5 mars 1798, il obtient du Directoire l'autorisation de mener l'expédition d'Egypte.
Deux semaines plus tard, ce même Directoire a ordonné de mettre à la disposition de l'armée qu'il vient de lever, tous les moyens en matière de sciences et de savants.

Le 19 mai, les 300 navires de la gigantesque armada que la revue «Historia» qualifiera de «premier raid scientifique» lèvent l'ancre à Toulon. 50.000 hommes, 1.200 chevaux, 300 femmes, mais aussi des artistes, des ingénieurs, des juristes, une vingtaine de polytechniciens et, bien entendu, des savants dont Monge et Berthollet... En bon fils des Lumières, Bonaparte a choisi la pacification par la culture.

Il débarque à Alexandrie, le 1er juillet, triomphe des Mamelouks à la bataille des Pyramides le 21, s'empare du Caire, mais le 1er août en rade d'Aboukir, sa flotte est détruite par Nelson. Le voilà donc prisonnier de sa propre conquête.
Défait, Bonaparte va tester la mansuétude de l'Islam pendant les treize mois et vingt jours qu'il demeurera en terre d'Egypte.

Les prémisses du nationalisme

Si personne dans son entourage n'avait songé à la place que cette religion occupe dans le cœur et dans l'esprit des Egyptiens, Bonaparte lecteur attentif du «Mahomet» de Voltaire y a pensé. «Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans... Ne les contredisez pas, agissez avec eux comme nous avons agi avec les Juifs, avec les Italiens. Ayez des égards pour leurs muftis et leurs imams comme vous en avez eus pour les rabbins et les évêques».

Auteur de « La fascination de l'Egypte : du rêve au projet»(Editions L'Harmattan, 1998), «Cocteau l'Egyptien : essai sur la tentation orientale de Jean Cocteau» (Ed. du Rocher, 2001), « Les sept secrets de la bibliothèque d'Alexandrie» (Ed. du Rocher, 2002) et «L'Orient de Jacques Chirac : la politique arabe de la France» (Ed. du Rocher, 2003), Ahmed Youssef qui a soutenu sa thèse de doctorat d'Etat à la Sorbonne va nous narrer les efforts de Bonaparte pour s'adapter aux traditions du pays que ses armées ont occupé.

L'introduction de l'imprimerie et la création de l'Institut d'Egypte en sont un élément relativement bien connu ; plus peut-être que la conversion à l'Islam du général Jacques Menou que les Egyptiens ont surnommé « Sultan El-Kébir».

Si Napoléon n'a, en définitive, nullement franchi le pas vers une meilleure compréhension de l'Islam et des Musulmans, son deuxième successeur, le général Menou « succombera à la tentation», lui qui proclamait : « Soldats, sachez donc être généreux envers les Egyptiens ; mais que dis-je ? Les Egyptiens aujourd'hui sont Français ; ils sont vos frères». Il a été surnommé par eux Abdallah Jacques.
Moins d'une vingtaine d'années après, les armées égyptiennes bâtiront un empire dirigé par un chef d'état-major français ; en l'occurrence Soliman Pacha, colonel Sève de son vrai nom.

Après Bonaparte, l'Egypte n'était plus ni simplement arabe, ni totalement inféodée à la Turquie. La pensée de ses élites a été fécondée par les idéaux de la Révolution française et par les prémisses d'un nationalisme pan-arabe en gestation. Selon Ahmed Youssef, ils ne pouvaient répondre au « raid scientifique» de Napoléon que par le mimétisme le plus béat ou la révolte la plus totale. Ces deux choix vont, tour à tour, alterner et se conjuguer à Damas, au Caire, à Alger et à Bagdad. Mais c'est du côté de l'isthme reliant la Mer Rouge à la Méditerranée qu'Arabes et Occidentaux vont entrer dans l'ère de la paranoïa civilisationnelle.

Un vieux rêve

Creusé à Suez, ville que Bonaparte a inspectée personnellement aux-côtés d'un général pour lequel les Egyptiens ont gardé un souvenir affectueux, le canal a été inauguré solennellement en présence du Cheikh d'Al-Azhar et du représentant du Pape.

Ferdinand de Lesseps qui parlait la langue arabe et qui entretenait des relations d'amitié étroite avec le khédive, réalisait là un vieux rêve français, mais c'est à Ismaïlia, ville française s'il en fut, qu'apparurent ces frères musulmans qui abhorrèrent l'Occident par dessus tout. La nationalisation de cet isthme en 1956 peut, dans cette optique, apparaître comme une revanche contre l'Histoire et comme un acte de souveraineté nationale marquant l'indépendance économique et l'entrée en modernité.

La statue de la liberté qui marque l'entrée en rade de New York, à l'origine destinée à être érigée face au canal de Suez, porte le souvenir de ce choc culturel voulu par Bonaparte et dont les terribles ondes ne cessent de secouer le monde jusqu'à aujourd'hui.

«Bonaparte et Mahomet, le conquérant conquis» de Ahmed Youssef, Editions du Rocher, Paris 2003, 180 pages
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