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«L’Homme nomade» de Jacques Attali : la fin des empires sédentaires

Comment naissent les civilisations humaines ? Quels sont les ressorts qui leur procurent force et vigueur ou au contraire les plongent dans le déclin et le plus souvent la disparition ? Comment expliquer l’ingéniosité dont ces civilisations ont fait

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Les historiens sont unanimes à lier la civilisation au passage de l’Homme du nomadisme à la sédentarité à la suite de l’invention de l’agriculture. De chasseur cueilleur, appelé à se déplacer à la poursuite du gibier ou à la recherche d’arbres fruitiers, l’Homme, en inventant l’agriculture et l’élevage devient producteur de sa propre nourriture sur un territoire dont il se fixe désormais et dont il devient le propriétaire. On devine le reste : Devenant sédentaire dans une communauté d’autres sédentaires, l’Homme est obligé d’élaborer une langue pour communiquer des lois, pour gérer ses rapports avec les voisins, un chef pour diriger la communauté, punir et collecter les impôts, une organisation sociale pour distribuer les responsabilités, une architecture pour organiser l’habitat ,etc.

C’est donc, la sédentarité qui est à la base de la civilisation, le nomadisme étant la barbarie, voire la sauvagerie ennemi de la civilisation.

Rien n’est plus faut, affirme Jacques Attali dans son dernier livre, édité chez Fayard, sous le titre : «L’Homme nomade» qui en dit long sur les intentions de l’auteur : déclarer la guerre à un préjugé qui n’a que trop duré et qui fait du nomade un primitif, un danger pour les civilisations qu’il faille surveiller, combattre ou astreindre à la sédentarité. Pour lui, c’est le nomadisme, la mobilité qui est à l’origine de toutes les civilisations humaines avant même l’invention de l’agriculture. Pour lui, l’Histoire de l’humanité n’a été que l’Histoire de civilisations nomades dont l’une chasse l’autre : «(…) tout au long des cinq millénaires où l’agriculture a cru régner en maître, l’Histoire n’a été qu’une succession de batailles menées par des peuples voyageurs contre d’autres, anciennement nomades, arrivés là peu avant eux et devenus les propriétaires jaloux d’une terre prise à d’autres». écrit-il. Plus, pour Attali : «La sédentarité n’est qu’une brève parenthèse de l’Histoire humaine.

Durant l’essentiel de son aventure, l’Homme a été façonné par le nomadisme…», écrit-il. Plus loin, il ajoute: «Contrairement à ce que laisse croire l’Histoire telle que la racontent les sédentaires, il n’a pas fallu attendre l’agriculture pour que débute la civilisation. Au contraire, c’est pendant des centaines de millénaires nomades qu’ont été faites les principales innovations dont les sédentaires se sont ensuite servis : le feu, les rites, les vêtements, la chasse, les outils, l’art, les langues, la musique, la peinture, la sculpture, le calcul, le péché, l’éthique, l’arc, le commerce, les marchés, la loi, le bateau, la métallurgie, la céramique, l’élevage et l ‘écriture sont là bien avant que des nomades décident de s’établir paysans.

Et ce sont d’autres nomades encore, un peu plus tard, qui inventeront l’équitation, la roue, dieu, la démocratie, l’alphabet, le livre, la marine, entre bien d’autres choses encore».
Ce furent les nomades et les Hommes du voyage qui ont été à l’origine de tous les grands empires de la Chine à Rome et de l’Egypte à l’Empire américain d’aujourd’hui ; ce furent eux qui représentaient les véritables forces d’innovations et de création, contrairement aux sédentaires dont la stabilité et l’immobilisme finit par engourdir. On retrouve là une idée d’Ibnou Khaldoun ,qui pourtant, était loin de porter les tribus nomades dans son cœur. Lui qui accuse les Banou Hilal d’être des barbares destructeurs de civilisations, ne manque pas de relever toutefois que : «Le nomadisme est une vigueur qui produit une force combative et impulsive à même de faire naître l’Etat. Mais lorsque commence, dans le groupe initialement nomade, l’emprise de la jouissance provoquée par l’urbanité et l’usage de la luxure, cet Etat, et par la suite toute la nation, perd ses moyens de défense».
Tout au long des pages de son livre, Jacques Attali ne fait que développer cette idée en lui apportant les fondements dont elle a besoin.

Il se propose de «faire revenir aux premiers rangs de l’Histoire ces acteurs jusqu’ici ignorés ou oubliés, peuples nomades bergers, marchands, cavaliers, créateurs, découvreurs et migrants, qui furent les inventeurs de ce qui fait encore le substrat de toutes les civilisations, du feu à l’art, de l’écriture à la métallurgie, de l’agriculture à la musique, de Dieu à la démocratie».
Pour ce faire, Attali n’hésite pas à nous entraîner dans un voyage à travers les continents pour un tour d’horizon dans l’Histoire de l’humanité depuis les premières communautés de primates jusqu’à nos jours à l’heure de la mondialisation en marche. Des empires qui se sont succédés en Mésopotamie : Babylonien, Assyriens, Perse, à ceux qui se sont lancés à la conquête du monde à partir de la Méditerranée: Grecs, Carthaginois, Romains, Arabes, ou encore ceux qui ont pris leurs origines du fin fond de l’Asie : Turcs, Mongols, Wisigothe, Tatars et autres tribus nomades, sans oublier les empires indiens d’Amérique et D’Afrique, tous, martèle l’auteur, ont été fondées par des hommes de voyage, des nomades qui se sont sédentarisés.

L’Homme un grand voyageur

Polémique d’érudits ? Spéculation de spécialistes ? Pas du tout. S’il est toujours bon de redresser les préjudices de l’Histoire, il s’agit ici de l’interroger pour mieux se projeter dans l’avenir et avoir une meilleure intelligence des mutations en cours en tant que préludes.
L ‘enjeu est de taille : Dans quelle société serons nous appelés à vivre dans les décennies à venir ? Quelles seront les transformations majeure qui marqueront les rapports internationaux ? Quel type de citoyen peuplera le monde ? Que signifiera des notions tels, le travail, l’identité, le mariage, les rapports aux enfants, l’amour …Autant de questions qui préoccupent les hommes à l’échelle universelle.
Pour Attali, si l’Homme a été façonné par le nomadisme, il est en train de devenir voyageur. Des centaines de millions de personnes peuvent être considérées comme des nomades de travail, de la politique : immigrés, réfugiés, expatriés, «sans domicile fixe» et migrants de toutes sortes. Un milliard d’individus voyagent chaque année par plaisir ou par nécessité, des millions de nomades se déplacent chaque jour à l’intérieur de leur pays pour exercer leur travail ou en chercher.

Imaginons les sociétés du futur :
La délocalisation des entreprises va être le trait caractéristique dans les économies de l’avenir, elles seront organisées sur le modèle des troupes de théâtre qui se dispersent après la représentation. La mondialisation finit par désarticuler les services publics les plus sédentaires. Les nations ne sont plus que des oasis se disputant le passage de trop rares caravanes ; les solidarités géographiques ne fonctionnent plus ; le pouvoir réel est hors du contrôle de la loi ; trop minoritaires pour y imposer la réduction de leurs charges, les élites quittent les pays où les impôts sont les plus élevés. Les partis politiques opposent ceux qui acceptent ces mouvements et ceux qui les refusent.

Ce n’est là que quelques uns des phénomènes de la société internationale de demain. Bien sûr, à ces «hypernomades», il faudrait ajouter la cohorte des «infranomades» faite de miséreux qui représentent l’essentiel de l’humanité. «Ils seront traversés de toutes les violences, de toutes les fois, de toutes les espérances».
Pour Attali, les Etats-Unis sont le dernier empire sédentaire que l’Histoire ait engendrée. Il n’y aura pas de place pour un autre empire sédentaire. Le 11 septembre 2001 est l’acte fondateur d’une nouvelle ère, celle «des guerres opposant des rebelles nomades à l’actuel empire».
En fait, l’empire américain est menacé par trois «empires nomades». En plus de la foi, ce sont le marché et la démocratie. Si l’auteur ne dit rien sur la façon avec laquelle se déroulera la bataille, il est par contre certain sur la façon dont elle va se terminer : c’est une nouvelle civilisation qui naîtra du chaos, «faite de résidus glorieux de l’empire en déclin et des valeurs nouvelles, prises aux nouveaux nomades: le monde de demain sera à la fois démocrate, religieux et marchand.

A la fois nomade et sédentaire». Une sorte de démocratie «transhumaine» à l’échelle planétaire.

« Se dessinera alors, au-delà d’immenses désordres comme la promesse d’un métissage planétaire, d’une Terre hospitalière à tous les voyageurs de la vie.»
«L’Homme nomade» de Jacques Attali
Ed. Fayard 486 p.
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