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Reportage : La jeunesse socialiste s'invite chez les jeunes d'Es-Smara : «Le temps de la politique d'exception est révolu»

«Nous avons une carte d'identité marocaine, un passeport marocain, nous sommes des citoyens marocains. Alors pourquoi mettre en doute notre marocanité et notre patriotisme dès que nous manifestons pour exprimer nos revendications socio-économiques ?». Le

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Ici, plus qu'ailleurs dans les provinces du Sud, la frontière entre revendications de jeunes et de familles, les premiers réclamant le droit au travail et les seconds un logement décent, et manifestations récupérées par les ennemis de l'intégrité territoriale est souvent mince, fragile, floue.

A quelque 80 kilomètres de Tindouf et de ses camps de la honte, à une cinquantaine de kilomètres du mur de sécurité, Es-Smara a été le dernier front de guerre contre les séparatistes, avant la proclamation du cessez-le-feu.
La ville est résistante, ses habitants n'en finissent pas de le rappeler. Comme ils rappellent que près de la moitié des membres de l'Armée de libération était originaire du Sahara. «Mais notre rôle dans la résistance et l'indépendance du pays n'est pas reconnu. L'histoire de la résistance est tronquée. Et cela est une erreur stratégique car en tant que Marocains nous nous sommes battus pour l'indépendance », soupire un vieux Sahraoui.

A Es-Smara, les jours s'écoulent dans une chaleur suffocante. Le climat est continental, les pluies sont rares, 10 millimètres à peine par an et les vastes étendues sablonneuses viennent rappeler qu'ici le désert commence. La province est pauvre, n'a pas de ressources et si peu d'activités socioéconomiques. «Ici, on vit de l'élevage de caprins et d'ovins, sinon il n'y a rien», témoigne la députée Sahraoui, Guejmoula Bent Abi,(ex-présidente de l'union des femmes du polisario), aujourd'hui élue sur les listes du Mouvement populaire.

Résultat, les habitants d'Es-Smara vivent les problèmes économiques et le déficit social, pourtant communs à toutes les villes du Royaume, de manière plus exacerbée qu'ailleurs. Une centaine d'associations locales et pourtant il n'y a aucune activité culturelle, à peine quelques manifestations sportives mais une forte culture de la revendication, de la manifestation, tendant à une étrange demande de traitement spécifique au risque de bafouer le principe constitutionnel de l'égalité des citoyens. Les jeunes de la ville ont un immense sentiment de «hogra» , exactement comme des milliers et des milliers de jeunes Marocains à travers le pays. Sauf qu'ici tout, absolument tout, est vécu de façon viscérale.
Le gouverneur de la ville en sait quelque chose.

Constamment sur le front des revendications de jeunes impatients, aux aguets de la propagande du polisario – la radio des séparatistes est captée, et il n'est pas rare de l'entendre déverser ses flots de mensonges dans les commerces même de la ville, l'homme a appris à gérer ce qu'il qualifie de «provocations», cachées derrière l'étendard de la liberté et d'une démocratie naissante. La nouvelle ère conjuguée au fameux «Mai 68 permanent» de Abderrahmane Youssoufi ont sûrement libéré les esprits et fait éclater en mille morceaux les chaînes. Les droits arrachés de haute lutte, aujourd'hui battant le pavé de Es-Smara à Casablanca, ont fait oublier les devoirs
«Toutes ces agitations, tout ce mal-vivre nous parviennent jusqu'à Rabat.

C'est pourquoi nous avons choisi de venir à la rencontre des jeunes de Es-Smara, les écouter, les entendre exprimer en toute liberté et sans barrières sécuritaires leurs critiques, reproches, doléances», explique Saïd Fekkak, patron de la Jeunesse Socialiste et cheville ouvrière d'une manifestation qui a fait le pari de concrétiser une rupture affichée et assumée par les pouvoirs publics avec les pratiques du passé, donnant à voir en ces temps pas si éloignés des partis politiques ,tenus à distance des provinces du Sud et, plus encore, du dossier du Sahara.

Rencontre ouverte avec les jeunes d'Es-Smara, derniers développements de l'affaire du Sahara et renforcement du front intérieur : le pari de la Jeunesse Socialiste prenait forcément des accents de défi. Comment écouter dans une séance de catharsis collective qui aura duré près de 5 heures puis convaincre les jeunes d'Es-Smara que leurs problèmes ne diffèrent pas de ceux des autres jeunes du pays, que les choses ont changé dans la gestion de la question du Sahara, et que justement le temps de l'exception faisant des Sahraouis des Marocains pas comme les autres est révolu ? Comment aussi croire aux paroles de ces dirigeants politiques –trois membres du bureau politique du PPS, dont un ministre, (Nabil Benabdallah, Abdelouahad Souheïl, Salem Latafi) ont fait le déplacement ce dimanche 7 novembre, alors que les partis se sont longtemps mis en repos biologique au Sahara, comme l'indique très justement ce militant local de l'USFP ?

" Difficile de parler aujourd'hui du renforcement d'un front intérieur alors que l'absence des politiques s'est fait cruellement ressentir durant les années sécuritaires. Il n'y a jamais eu d'action politique, seulement une présence ponctuelle lors des rendez-vous électoraux. Il est important que tous comprennent que les actions politiques ne doivent pas coincider avec les soubresauts que pourraient connaître le dossier du Sahara à l'internationale. Les partis doivent assumer leurs responsabilités dans cette région ", soutient ce sociologue natif de la province.

Toute la soirée et pendant ces cinq longues heures qu'a duré la rencontre avec les jeunes de la ville, la question de la confiance est revenue telle une itération. Et les interrogations sur ce registre n'en finissaient pas de se bousculer. " Pourquoi ne nous fait-on pas confiance ? Pourquoi les sahraouis ne sont pas associés à la gestion du dossier de l'intégrité territoriale ? Pourquoi ne compte-t-on pas sur les élites nouvelles du Sahara plus outillées et moins opportunistes que les notabilités locales qui ont plus pensé à leurs intérêts propres qu'à la cause nationale ". " On ne peut pas construire l'avenir sans confiance. En 30 ans, le Maroc a changé et la société sahraouie plus encore. Les instances élues sont l'un des instruments de la solution politique. Elles doivent aujourd'hui pleinement jouer leur rôle et cela ne peut pas se faire si les jeunes d'ici n'y adhèrent pas ", répond A. Souhail, membre du BP du PPS.

Absence d'encadrement politique et culture d'assistanat

Dans la ville, et en l'absence d'un véritable encadrement politique, la militance s'est organisée comme elle peut, c'est à dire souvent en marge de l'engagement citoyen et collectif. Et si ici beaucoup se battent au nom du respect de la dignité, la culture des privilèges et de l'assistanat reste, malgré tout ce discours " militant ", bien ancrée. La " cartia " donnant droit à 1360 dirhams par mois et la distribution gratuite de denrées alimentaires de base font l'objet de revendications.

L'exception est dans le même temps décriée et revendiquée. Et dans cet inventaire de doléances les confusions contribuent à compliquer davantage les choses, à l'image de ce jeune de la ville qui pense exactement comme tous les jeunes de la région que " la Constitution lui garantit le droit au travail et que de ce fait l'Etat doit [lui] trouver un emploi, un logement, une parcelle de terrain ". " Et ceux qui ont choisi le retour au nom de la patrie clémente, que deviennent-ils ? Ils vivent dans la misère. Les pouvoirs publics n'ont rien fait pour eux ! Pourquoi ne jouissent-ils pas de privilège ?".

" Toutes ces interpellations sont les avatars d'une politique de près de 30 ans, une approche basée sur l'exception qui a justement exclu les populations sahraouies. Il y a une volonté forte au somment de l'Etat pour que les problèmes du Sahara soient traités exactement de la même manière que dans les autres régions du pays ", explique Nabil Benabdallah. Quelques heures plus tôt, celui est qui est ministre de la communication et porte-parole du gouvernement interpellait, à son tour, les jeunes de Es-Smara : " Que voulez-vous, une approche construite sur l'exception et qui justement prônait l'exclusion ou une approche d'ancrage de la démocratie et de l'Etat de droit, c'est à dire une approche où tous les citoyens de ce pays auraient les mêmes droits et les mêmes devoirs, qu'ils soient du sud, du Nord ou du centre ? Les libertés et les droits imposent des devoirs. Je vais être très clair : certains sit-in que vous organisez sont exploités par les séparatistes. Nous nous devons tous d'ouvrir un débat que rien n'interdit : que signifie l'autonomie ? Jusqu'à quel point ? Et quel modèle de régionalisation voulons-nous ? "
Depuis Rabat, les provinces du Sud paraissent lointaines. Les lignes aériennes pensent rentabilité plutôt qu'accessibilité. La question des horaires d'avion a d'ailleurs fait l'objet de moult questions orales sous la coupole. Un énorme problème de communication vient se greffer à cet éloignement. Les pouvoirs publics en ont pris conscience et le samedi 6 novembre, à l'occasion de l'anniversaire de la Marche Verte, une station régionale de télévision était officiellement inaugurée à Laayoune. Une réponse à la propagande radiophonique des séparatistes, qui dit-on, s'apprêtent à lancer leur télévision.

Ce sont dans les anciens locaux de la RTM de la ville que 20 journalistes et techniciens ont pris place, disposant d'un matériel à la pointe de la technologie, dont deux régies de production. Le responsable de cette station est un enfant du Sahara, figure connue du milieu journalistique, M. Laghdaf . " Par un système de décrochage de la RTM, cette station émettra, en hassani, 2heures 30 par jour. On y trouvera des informations régionales, des documentaires sur la région, des émissions sur la culture hassania. Des jeunes de région sont en période de stage et ce sont eux qui travailleront dans cette station. Parallèlement à cela un site internet de la chaîne, pour renforcer la présence marocaine, est en train d'être mis en place ", indique celui préside aux destinées du ministère de la communication, avant de nous révéler que la réflexion autour de la création de cette station régionale de télévision, première du genre au Maroc, aura duré près d'une année.

24 heures après le discours royal du 6 novembre, et sa phrase-phare –" Le Maroc est dans son Sahara et le Sahara est dans son Maroc "- une langue nouvelle s'était fait entendre à Es-Smara, porteuse du nouveau discours en vigueur dans le pays depuis 5 ans. " Il est temps de trouver une solution politique. C'est la responsabilité de tous. Il faut bien savoir que sans stabilité, il n'y aura pas de développement ", affirme Guejmoula Bent Abbi. Le directeur du centre régional d'investissement de Laayoune, Hassan Maa El Aïnine, ne dit pas autre chose. " Le respect de la dignité et la satisfaction des revendications sociales et économiques se feront dans le cadre du développement local ".
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