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Journalistes dans la guerre : les nouveaux risques du métier

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Au vu du nombre de morts depuis le début 2005, le devoir d'informer se paye d'un lourd tribut dans les rangs de la profession. Les enlèvements et les morts récentes, d'envoyés spéciaux en Irak, l'a rappelé : la fragilité du statut de journaliste semble s'accentuer alors que les conflits planétaires changent de nature.

La guerre, même conçue selon des moyens sophistiqués, reste une affaire dangereuse. Encore une fois la mort de journalistes en Irak et en Afghanistan confirme dramatiquement cette vérité.. Les décès et leurs circonstances dramatiques ont projeté une lumière troublante sur la « drôle de guerre » menée jusqu'alors par les Américains et leurs alliés sur le terrain. Une guerre dont les développements et les objectifs restaient peu perceptibles à l'opinion, réduite à consommer les seules informations fournies, au compte-goutte, par les stratèges militaires. « On parle toujours de la guerre virtuelle, de la guerre invisible, avec son cortège d'expressions absurdes: frappes chirurgicales, visée laser, etc.

C'est connu, cette guerre-là, on n'en voit pas les morts, on ne les connaît pas», a pu relever alors un éditorialiste de RTL, en soulignant qu'il était précisément de la mission des journalistes d'aller voir de l'autre côté du décor, de ce « rituel mensonger qui appartient aux conquêtes », et qui pouvait finir par faire croire que «la mort était factice.» C'est d'ailleurs un des nombreux paradoxes de cette guerre sans visage, et pendant longtemps presque sans images. Les journalistes tués sont les premières victimes du conflit à avoir un nom, aux côtés des victimes civiles afghanes et irakiennes restées anonymes.

Qu'il s'agisse de journalistes indique assez quelle est la portée de leur présence sur le terrain. Et ils trouvent la mort précisément au moment où le conflit changeait de nature: on allait peut-être enfin savoir ce qui se passait, dans le jeu d'ombres du théâtre afghan. Les décès de journalistes émeuvent profondément une profession qui se mobilise pour essayer de comprendre ce qui se passe. Une fois encore on s'est interrogé sur les conditions de la « prise de risques » par les correspondants de guerre étrangers. Les journalistes prennent-ils des « risques inconsidérés ? Il faut savoir ce que l'on veut, signale Robert Ménard, de l'association Reporters sans frontières.

Ou vous voulez une information indépendante, ou vous vous contentez de ce que disent les Américains, les Talibans, les chiites etc...» Ce que confirme Nicolas Poincaré, un habitué des théâtres de guerre pour la chaîne télévisée TF1 : « La prise de risque est liée à l'information qu'on veut ramener. Or, tout le monde était très frustré : il n'y avait pas d'information.» « Toutes ces villes qui tombaient subitement, ils voulaient voir ça », constate également Michel Peyrard, grand reporter à Paris Match.

Ce dernier, échappé des griffes des Talibans, après avoir été pris en Afghanistan sous un déguisement de femme, n'hésite pas un moment: « Nous sommes des gens de terrain; et sur le terrain les grands reporters passent leur temps à échafauder des plans, des stratégies, pour y aller... » et surtout aller voir par soi-même, malgré le danger.

Dès lors, que penser des mises en garde formulées par une organisation comme la Fédération internationale des journalistes, qui appelait « les journalistes et les organisations des médias à faire preuve de retenue », en soulignant que «les journalistes ne doivent pas se rendre dans des régions qui n'ont pas été sécurisées ». Selon Aidan White, secrétaire général de la FIJ, « aucune histoire ne vaut une vie humaine... les organisations de journalistes et de médias doivent considérer la sécurité comme la première priorité, en particulier dans ce contexte de conflit incontrôlé et indiscipliné ».
Rappel nécessaire en soi, mais tous les témoignages des envoyés spéciaux concordent pour indiquer que le danger est une notion très relative sur les théâtres de guerre : « On peut se sentir en sécurité, et on peut basculer en quelques secondes dans l'insécurité », relève Bruno Daroux, grand reporter à Radio France Internationale, relayé par sa collègue Anne Corpet : « La gestion du risque n'est pas quelque chose qui s'apprend à l'école... on a toujours en tête que, même si la situation est calme, quand on a affaire à des gens en armes, à des passions, tout peut basculer. » Oui, confirme Michel Peyrard, « la gestion du risque est quelque chose qui s'appréhende au jour le jour... Et depuis des années, nous avons beaucoup de problèmes pour couvrir les conflits. Il faut constamment improviser ».

Parce que les temps ont bel et bien changé. « Ce qui a réellement changé, c'est que les journalistes désormais sont des cibles. Autrefois, ce à quoi on assiste était très rare... » commente Robert Ménard, en ajoutant : « Les risques augmentent beaucoup ces dernières années car nous ne sommes plus dans des cas de guerres conventionnelles. Il n'y a plus aujourd'hui de ligne de front bien déterminée et stable ».

Depuis une décennie – et tout le monde s'accorde à situer le tournant dans les années 90, avec la fin de la guerre froide et l'apparition de nouveaux conflits de nature planétaire comme la guerre du Golfe – la liste des correspondants de guerre tués dans l'exercice de leur métier est longue : si le Proche-Orient a été en l'occurrence l'endroit le plus meurtrier, les conflits de nationalités en Europe ont fourni de nombreuses victimes : Slovénie (des journalistes autrichiens tués par un tir de missile), Croatie (où meurt le journaliste du Nouvel Observateur, Pierre Blanchet, ainsi que le Suisse Damien Ruedin, après l'explosion d'une mine), Bosnie bien sûr (où des journalistes espagnols, italiens, américains trouvent la mort), et spécialement ces dernières années la Tchétchénie et le Kosovo (où le magazine Stern a déjà perdu des journalistes).

En Afrique, on relève des victimes en Somalie et en Sierra Leone. En Asie, au Timor Oriental... Tous ne sont pas tués dans les mêmes conditions. C'est parfois l'œuvre de la malchance, qui indique seulement que le moindre déplacement peut être risqué dans des zones marquées par l'insécurité. D'autres fois, et de plus en plus souvent, les journalistes sont ouvertement pris pour cibles, comme par les «snippers», ces francs-tireurs qui ont fait tellement de victimes en Europe centrale et orientale. Pourquoi ? Pourquoi viser ces gens qui ne font que leur métier, sans être partie prenante? C'est que tous les protagonistes « ont compris qu'on gagnait ou qu'on perdait les guerres avec les médias», analyse le rédacteur en chef à l'hebdomadaire L'Express. « On cherche donc, beaucoup plus qu'avant, à cacher les faits. »
Les journalistes ont à lutter contre cette tentative de mainmise sur la communication : ils sont donc à leur tour des cibles. A cet ensemble de constats, on peut ajouter celui-ci : l'émoi est grand, son retentissement parfois énorme, lorsque des journalistes occidentaux sont frappés. Cet effet d'amplification est lié au statut de ces correspondants de guerre: venus témoigner, ils sont les relais de l'information auprès des plus puissants des mass médias, et leur rôle revêt une importance stratégique dans les conflits de grande intensité. Mais Robert Ménard, comme la plupart de ses collègues, abjure de ne pas oublier les journalistes locaux : « Sur l'ensemble des journalistes tués dans le monde depuis 10 ans, 93 % d'entre eux sont des journalistes du pays considéré. Pour eux, on ne se mobilise pas... »

Thierry Perret
est correspondant à FMI
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