Menu
Search
Mardi 16 Avril 2024
S'abonner
close
Mardi 16 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

Le désastre européen de Blair

No Image
Quand les électeurs français et néerlandais ont rejeté la proposition de Constitution de l'Union européenne, tout le monde a vite compris que le projet européen était dans une situation difficile. La douloureuse bataille de la semaine dernière concernant l'avenir à moyen terme du budget de l'Union a encore davantage confirmé ce verdict. Elle a également tristement mis fin à la présidence britannique du Conseil européen, en rappelant que la Grande-Bretagne continue à entretenir sa vieille réputation d'exception dans l'Union européenne.

Les deux faits sont intimement liés. En France et aux Pays-Bas, les électeurs n'ont pas expliqué pourquoi ils ont voté contre le projet de Constitution. Or, de nombreux commentateurs ont cru que ce vote exprimait leur protestation face à l'admission ressentie comme précipitée des dix nouveaux États membres, et surtout des pays les plus pauvres d'Europe centrale et orientale. Plus particulièrement, il semblerait que les électeurs aient eu peur de perdre leurs emplois, au détriment des foules de migrants venus de l'Est.

Cette crainte a été largement illustrée, à cette période, par l'image du plombier polonais bon marché.
L'ironie, évidemment, réside dans le fait que la plupart des quinze anciens États membres ont refusé aux nouveaux pays entrants l'accès complet et immédiat aux marchés de l'emploi occidentaux. Quoi qu'il en soit, il était trop tard pour protester puisque les dix pays de l'Est étaient bel et bien devenus membres à part entière de l'Union.

Mais maintenant, les 25 États membres doivent faire face aux conséquences économiques de cet élargissement, non seulement sur la question de la taille globale du budget européen pour les sept prochaines années, mais également sur la répartition des pays contributeurs et bénéficiaires. La question essentielle est surtout de savoir dans quelle mesure les anciens États membres sont prêts à payer pour dynamiser les économies en retard des nouveaux pays membres.

En fait, la bataille a eu lieu sur trois fronts et a opposé la Grande-Bretagne, la France et les nouveaux États membres. Traditionnellement, une large majorité du budget revenait à l'agriculture et aux régions en retard de développement. En pratique, d'énormes sommes d'argent ont été attribuées soit aux gros producteurs agricoles, soit aux pays membres les plus pauvres comme la Grèce et le Portugal. À ces deux niveaux, les nouveaux États membres s'attendaient à bénéficier substantiellement du système de l'UE.

Autrefois, en termes budgétaires, le grand perdant des mécanismes européens était le Royaume-Uni. À l'époque où les deux tiers des dépenses européennes revenaient à l'agriculture, son secteur agricole était faible et par conséquent, les Britanniques ont peu bénéficié des subventions agricoles européennes.
Pendant longtemps, ils se sont plaints de l'injustice de ces règles, surtout qu'à cette période, le Royaume-Uni était l'un des pays membres les plus pauvres. C'est en 1984 que le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher a exigé et obtenu un rabais massif sur la contribution nette britannique au budget de l'UE.

Aujourd'hui, la situation a changé en trois points essentiels. Tout d'abord, la réforme de la politique agricole européenne a commencé et la proportion du budget agricole européen a chuté de 60 à 40%. Ensuite, cela fait de nombreuses années que la Grande-Bretagne jouit d'une croissance économique plus rapide que la plupart des autres États membres si bien qu'elle est devenue l'un des pays les plus riches de l'UE et ce, même en comparaison avec la France et l'Allemagne. Pour finir, les nouveaux États membres sont tellement plus pauvres que les plus pauvres des anciens pays membres qu'ils ont un argument moral de poids pour demander une part généreuse du budget négocié, quel qu'il soit.

Le début des négociations, il y a six mois, coïncide avec le début de la présidence britannique du Conseil européen. Tony Blair, le Premier ministre britannique, a galvanisé les hommes politiques européens en déclarant devant le Parlement à Bruxelles qu'il était " passionnément pro-européen ". Tel était le message que les Britanniques pro-européens espéraient de longue date et qu'ils attendaient vainement depuis l'élection de Blair en 1997.

Bien sûr, il n'a jamais exprimé un tel sentiment au sein-même de la Grande-Bretagne, au cours des huit dernières années. En outre, puisque la Grande-Bretagne a été l'un des avocats les plus fervents de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, l'on aurait pu s'attendre à ce que, lors des négociations budgétaires, le gouvernement de Blair se montre proportionnellement aussi généreux qu'enthousiaste envers les nouveaux entrants.

Au départ, cela semblait être la tactique choisie par le gouvernement britannique. Mais contre toute attente, il a adopté une position éthiquement avantageuse en proposant de renoncer à une partie de son rabais budgétaire, à la seule condition que le reste de l'Union européenne (et la France, en particulier) s'accorde sur les réformes fondamentales en matière de politique agricole européenne. Il a fallu du temps pour que les Britanniques comprennent qu'étant donné que le Président Jacques Chirac était un président bancal et aux abois restant à l'Élysée jusqu'en 2007, mais sans détenir aucun pouvoir, il n'avait pas les moyens d'avaliser un tel marchandage.

Une fois que les Britanniques ont pris conscience de cette dure réalité, ils ont joué leur lamentable dernière carte dans la gestion des négociations. Ils ont fait des offres mesquines et ridicules, toutes principalement élaborées pour sauvegarder les petits intérêts britanniques et ce, essentiellement, au détriment des nouveaux États membres.

Quelle triste conclusion pour une présidence ouverte en fanfare, il y a six mois, par les déclarations passionnément pro-européennes de Tony Blair ! Le texte complet de son discours est sans ambiguïté. Blair est favorable à l'Europe, mais pas à celle-ci. Il veut faire partie d'une Europe politique, mais seulement si les autres États membres acceptent de suivre le modèle de la réforme économique et sociale britannique.

Le problème est que la réforme économique et sociale est purement et simplement une question de politique nationale et ne fait pas partie des compétences de l'Union. Si une telle réforme devait avoir lieu en France ou en Allemagne, cette question serait exclusivement débattue entre les politiciens et les électeurs français ou allemands.

Elle ne pourrait s'inscrire dans les compétences de l'Union qu'à condition que l'UE devienne une véritable fédération.

Peut-on dire de Blair qu'il soit fédéraliste, alors ? Bien sûr que non ! Il est surtout un nationaliste irréfléchi qui vit dans la crainte de la sournoise presse tabloïde de son pays. Alors, pourquoi a-t-il donc déclaré sa ferveur pro-européenne ? Peut-être n'a-t-il finalement pas réfléchi à la question.

* Auteur de " Voltaire in Exile" (Voltaire en exil), Ian Davidson est également conseiller au Centre pour les réformes politiques à Bruxelles et ancien éditorialiste pour le Financial Times.
Copyright : Project Syndicate, 2005.
Traduit de l'anglais par Béatrice Einsiedler
Lisez nos e-Papers