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Mohammed Bajeddi : «La sécurité alimentaire doit être indissociable du développement durable»

Le Maroc a consenti depuis l'indépendance des efforts certes pour améliorer le bilan alimentaire en accordant la priorité à l'agriculture et aux aménagements hydro-agricoles. Mais malgré ces efforts, la balance alimentaire reste déficitaire pour plusieurs

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Le Matin : La notion de sécurité alimentaire est utilisée à tort et à travers. Selon vous, quelle est la bonne définition ?
Mohammed Bajeddi :
L'insécurité alimentaire désigne une situation dans laquelle les gens n'ont pas accès à des quantités suffisantes d'aliments sains et nutritifs et ne consomment donc pas la nourriture nécessaire à une croissance et un développement normal, ainsi qu'à une vie saine et active.
Ainsi, parvenir à la sécurité alimentaire signifie faire en sorte que des aliments soient disponibles en quantités suffisantes, que les approvisionnements soient relativement stables et que ceux qui ont besoin d'aliments y aient accès.

La notion la plus récente qui exprime la problématique de l'alimentation, est celle de la sécurité alimentaire indissociable du développement durable. La sécurité alimentaire a eu par le passé des corollaires tels que l'autosuffisance alimentaire, l'arme alimentaire, la souveraineté alimentaire, et le dernier en date est la sécurité sanitaire des aliments englobant les aspects normatifs et qualitatifs.

L'insécurité alimentaire peut être chronique ou transitoire. Lorsqu'elle est chronique, on parle de sous-alimentation. Dans le cadre du Sommet Mondial de l'Alimentation de 1996, le terme sous-alimenté s'applique aux personnes dont le niveau de consommation alimentaire est insuffisant, en calories consommées par rapport aux besoins, de façon continue, c'est surtout une affaire de pauvres. La vulnérabilité désigne le faisceau de facteurs qui place des populations dans une situation de risques d'insécurité alimentaire, y compris les facteurs qui minent leur aptitude à faire face à la situation. L'état nutritionnel désigne l'état physiologique des individus résultant de l'apport alimentaire et des conditions de soins, de santé et d'hygiène.

Aujourd'hui, quel est l'état actuel de la sécurité alimentaire au Maroc ?

Effectivement, le taux de pauvreté a été estimé à 14,2% (RGPH 2004) pour l'ensemble du pays contre 19% en 1999 et 13,1% en 1991. Ces taux montrent que, en valeur absolue, le nombre de pauvres au Maroc a connu une augmentation sensible et durable.

Compte tenu de ces statistiques et étant donné la corrélation positive et inéluctable entre la pauvreté et la sécurité alimentaire, on peut conclure que la sous-alimentation touche au moins 4,2 millions de nos concitoyens. Ce chiffre est appelé à doubler si l'on tient compte de la proportion de la population vulnérable qui peut basculer vers l'insécurité alimentaire chronique.

Toutefois, cette situation de la sous-alimentation à l'échelle nationale cache des écarts énormes entre la moyenne nationale (14,2%), d'une part, la situation en milieu rural (12% pour l'urbain et 27,2% pour le rural) et dans les régions pauvres et défavorisées où le taux de pauvreté dépasse 40% dans certains régions et peut même atteindre 95% dans certaines localités rurales, d'autre part. La situation décèle, également, l'existence de catégories défavorisées (65,8% des pauvres sont des ruraux et 47,7% sont des enfants de moins de 15 ans, etc.) qui n'arrivent pas à atteindre le minimum vital de subsistance pour leur nourriture. A cela s'ajoutent des problèmes de malnutrition et de rachitisme, des carences de fer, d'iode, de calcium et de vitamine A.

Le problème de la sécurité alimentaire s'est, malheureusement, accentué depuis l'amorce de diminution des subventions, malgré que celles-ci n'étaient pas ciblées, et profitent à toutes les couches de la société marocaine, mais d'une façon déséquilibrée. La situation des consommateurs pauvres est fragilisée davantage.

Quelles sont les contraintes qui empêchent l'amélioration des conditions notamment des populations rurales en matière d'auto-suffisance alimentaire ?

Le Maroc a consenti depuis l'indépendance des efforts certes pour améliorer le bilan alimentaire en accordant la priorité à l'agriculture et aux aménagements hydro-agricoles. Mais malgré ces efforts, la balance alimentaire reste déficitaire pour plusieurs produits. Le taux d'autosuffisance alimentaire se situe pour les produits de base, en moyenne, à 80 % pour les céréales, 60 % pour le sucre, 35 % pour les huiles, 100 % pour les viandes, 85 % pour le lait et dérivés.

Il n'empêche que la compétitivité et la durabilité de l'agriculture marocaine souffrent de certaines contraintes et qu'elles sont menacées à terme par la raréfaction des ressources en terre et en eau et les retombées de la globalisation. Les lieux de fragilité de l'agriculture sont nombreux. Certains sont inhérents au caractère fini et fragile des ressources, d'autres résultent surtout de lacunes et défaillances organisationnelles et décisionnelles.

Si l'on retient uniquement les incidences des contraintes climatiques et foncières des zones de l'agriculture pluviale (bour), couvrant 90% de la surface agricole utile et regroupant une population d'environ 12 millions d'habitants, qui n'ont pas bénéficié à l'instar du secteur irrigué d'une attention aussi importante, on peut constater de multiples effets défavorables sur la dynamique du développement agricole et la sécurité alimentaire.

Ces zones «bour» sont plus marquées par l'existence de contraintes socioéconomiques qui se manifestent à travers le faible niveau d'équipement des zones «bour», l'analphabétisme, la pauvreté et l'insuffisance des investissements étatiques.
Face à ces contraintes, l'Etat doit jouer son rôle pour créer les conditions nécessaires à même de garantir la sécurité alimentaire.

Selon vous, quelles sont les actions menées sur le terrain pour remédier à cette situation ?

Pour éradiquer la pauvreté et améliorer la sécurité alimentaire durable au Maroc, il est indispensable d'améliorer la capacité de production du pays, et parallèlement de créer l'environnement politique, social et économique propice fondé sur la pleine participation des populations dans la prise de décision sur un pied d'égalité, dans un cadre démocratique reposant sur la liberté d'expression, la liberté de choix et la reconnaissance de la différence.

Dans ce cadre, la décentralisation réelle et effective associée à un transfert des fonctions opérationnelles de développement agricole aux niveaux intermédiaire et local de l'Etat, et la mobilisation de toutes les couches de la population rurale autour d'un projet de société où chaque acteur se sentira concerné par les décisions que par les résultats (la prise en compte des aspirations et besoins des populations rurales) constituent la voie pour la sécurité alimentaire durable.

Parallèlement, l'Etat doit jouer son rôle d'accompagnateur et d'animateur de politiques sociales destinées aux populations rurales pauvres sous forme de facteurs et moyens de production, d'équipement sociaux éducatifs et de micro-crédit jusqu'à l'accès à l'agriculture commerciale à moyen terme. Des subventions généralisées sans focalisation des actions sont assez coûteuses et on n'a pas l'assurance d'accéder à la sécurité alimentaire.

Enfin, des efforts énormes restent à accomplir en matière de gestion de l'aléa climatique en tant que constante de notre économie, et le développement de paquets technologiques appropriés, les vulgariser et les rendre accessibles aux agriculteurs. La responsabilité de mettre en œuvre les solutions identifiées et connues doit être confiée à des personnes ayant la volonté politique, le courage et les capacités professionnelles appropriées.

Pouvez-vous nous citer les différentes approches qui se font aujourd'hui pour pallier les insuffisances dans ce domaine ?

Le Maroc s'est engagé lors du sommet mondial de l'alimentation de 1996, pour réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées à l'horizon 2015. Et pour y parvenir, la FAO assiste les pays membres par la mise en œuvre d'un programme de projets développement rural nouvelle génération «Projet spécial de sécurité alimentaire» (PSSA).

Ces PSSA se distinguent par la mise au point d'une nouvelle approche pour le développement rural spécifique par son caractère local, sa flexibilité au niveau de la prise de décision, ses choix techniques, sa souplesse dans la gestion budgétaire, sa durée de réalisation et la prise en compte du savoir-faire des populations concernées.

Certes l'augmentation substantielle du revenu agricole est l'objectif immédiat des populations et la base de discussions et de contractualisation minimale avec les populations rurales. Pour y parvenir, l'existence d'une ressource en eau d'irrigation et d'un paquet technologique approprié constitue un préalable inéluctable à tout projet de sécurité alimentaire.

Pour renforcer la démarche du Maroc, la FAO a aidé à la conception et la mise en œuvre d'un projet de PSSA de 1999 à 2001 à titre expérimental pour mener la nouvelle approche sur le terrain, dans une zone d'Al Haouz.

Les actions du projet malgré leurs effets à moyen et long termes ont permis dès la deuxième année du projet d'augmenter le revenu agricole et génèrent, actuellement, des effets positifs directs, indirects et induits sur le développement des activités socio-économiques à Al Haouz. Un effort énorme a été consenti pour définir les conditions propices pour la généralisation de ces projets au niveau national en commençant par 50 zones agro-écologiques les plus pauvres du Maroc.

Poursuite de l'application du programme d'assurance contre la sécheresse
Le Ministre de l'agriculture, du développement rural et des pêches maritimes, Mohand Laenser, a affirmé la poursuite de l'application du programme d'assurance contre les effets de la sécheresse sur une surface de 300 hectares, dans 18 provinces situées dans les principales régions agricoles productrices de céréales.

Le ministre a précisé que son département a de nouveau veillé à fixer le soutien du taux d'adhésion des agriculteurs au programme à 50 %, et ce pour une période de cinq ans à partir de l'actuelle saison agricole. Le ministère a de même consacré une enveloppe budgétaire de 120 millions de dirhams pour constituer des réserves qui devront servir au dédommagement des agriculteurs en cas de sécheresse.

La superficie globale assurée durant la saison agricole a atteint environ 121.000 hectares, soit 40 % de la surface programmée au profit de 10.350 adhérents, contre 123.000 hectares au profit de 16.100 adhérents durant la saison précédente, a-t-il précisé. Le ministre a également indiqué que 305 communes rurales ont été déclarées comme étant affectées par la sécheresse, soit 66 % de l'ensemble des communes concernées par le régime d'assurance.

Les efforts marocains pour améliorer la sécurité alimentaire
Le Maroc a réussi à diminuer le taux national de pauvreté relative (53,4% en 1959, 23,5% en 1985, 13,7% en 2001) grâce aux politiques et programmes d'actions entamées depuis son indépendance. Il y a lieu de citer essentiellement :
- adoption d'un système de pluralisme politique et de libéralisme économique,
- mise en place de mécanismes démocratiques permettant une redistribution égalitaire des richesses créées,
- priorité à l'agriculture, et au développement rural,
- lancement de grands projets hydro-agricoles,
- mise en place de grandes réformes permettant d'asseoir, sur un socle solide, le projet d'édification d'une société démocratique et moderniste,
- création d'un cadre institutionnel et juridique incitatif à l'investissement privé,
- adoption de politique macro-économique rigoureuse qui prend en charge la dimension sociale,
- consolidation des grandes avancées réalisées en matière de droits de l'homme,
- intégration de la femme dans le processus de développement,
- réforme et mise à niveau du système éducatif et de formation visant une intégration parfaite du Maroc à l'économie du savoir et de la communication,
- création d'un environnement favorable pour l'encouragement des ONG et du secteur privé à contribuer au développement local et le renforcement de la solidarité sociale. A ce titre, il y a lieu de citer la Fondation Mohamed V pour la solidarité, une ONG, qui oeuvre à travers une mobilisation des forces vives de la société civile. Des campagnes de solidarité nationale sont organisées pour collecter des fonds, qui contribuent à mettre au point une stratégie à long terme pour l'éradication des foyers de la pauvreté et de la marginalisation.
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