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«Six millions de tonnes produits annuellement sont entassés dans 182 décharges non contrôlées»

Au Maroc, le nombre de décharges contrôlées en activité étant de trois décharges seulement. Une situation qui nuit considérablement à notre environnement.
Entretien avec Rajae Chafil, toxicologue et directeur de la surveillance et de la prévention des

«Six millions de tonnes produits annuellement sont entassés dans 182 décharges non contrôlées»
Le Matin. Déchets ménagers déversés sauvagement et sacs noirs en plastique envahissent nos paysages. A ce rythme, nous allons tout droit vers une catastrophe écologique. Quelles sont les actions entreprises par votre ministère pour mettre un terme à cette dégradation de l'environnement ?

Rajae Chafil :
Ce qui est important à signaler est que, aujourd'hui, chaque famille marocaine de 4 personnes vivant en milieu urbain produit un volume de déchets de 3 kg environ par jour. Avec l'évolution des habitudes de consommation ces dernières années au Maroc, nos déchets se sont enrichis de plus en plus en déchets d'emballages, notamment les sacs en plastique qui, malheureusement, constituent une nuisance visuelle qui fait désormais partie de notre quotidien.
Quand on sait que les 6,5 millions de tonnes produits annuellement sont entassés dans 182 décharges non contrôlées, et sans aucune mesure concrète pour limiter les pollutions et les nuisances. Le nombre de décharges contrôlées en activité actuellement étant de trois décharges seulement, il va sans dire qu'une telle gestion nuit considérablement à notre environnement et aux ressources naturelles. Face à ces constats, notre ministère a entrepris un certain nombre d'actions en collaboration avec les acteurs nationaux concernés, dont on peut citer notamment le renforcement du cadre juridique et réglementaire par la promulgation de trois nouvelles lois environnementales, la préparation d'un nouveau projet de loi sur la gestion des déchets et l'élaboration du plan régional de la gestion des déchets solides de Tanger-Tétouan.

Toujours dans ce sens, rappelons le Programme d'Assistance Technique pour l'Environnement en Méditerranée (METAP) qui vise essentiellement la préparation d'outils pour le renforcement des institutions responsables de la planification de la gestion des déchets solides dans les agglomérations urbaines, l'élaboration d'une stratégie pour le développement du secteur de recyclage des déchets municipaux au Maroc, ainsi que la mise en place d'un système de contrôle de la gestion déléguée des déchets municipaux dans les grandes villes et l'appui à l'implantation des décharges contrôlées dans les villes de Taza, Al Hoceima, Berrechid, Chefchaouène. Enfin, signalons l'élaboration des schémas directeurs d'assainissement solide des villes de Dakhla, Es-Smara, Boujdour et Tan Tan en partenariat avec l'Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du Sud du Royaume.

Le traitement des déchets industriels pose également des problèmes dans notre pays. Quelle est la nouvelle politique et les différents projets mis en place pour améliorer leur gestion ?

Le Maroc produit annuellement 120 000 tonnes de déchets dangereux industriels et 12 000 tonnes de déchets hospitaliers dangereux. Cependant, et jusqu'à ce jour, force est de constater que notre pays ne dispose d'aucune unité spécialisée pour leur traitement. Ainsi, ces déchets dangereux se trouvent le plus souvent entreposés dans les décharges sauvages, mélangés avec les déchets ménagers, avec tous les risques que cela représente pour l'environnement et la santé des populations, notamment celles vivant à proximité des décharges, ou des récupérateurs des déchets réutilisables qui travaillent quotidiennement dans ces décharges. En ajoutant à cela le risque pour certains enfants qui passent quotidiennement à côté des décharges pour aller à l'école, et qui peuvent être tentés par la récupération de certains déchets dangereux entreposés dans les décharges, et dont l'aspect extérieur peut susciter la curiosité des tout petits, on peut comprendre l'urgence pour doter notre pays d'une structure spécialisée dans la gestion des déchets dangereux. Pour parer à ces insuffisances, notre ministère a démarré une initiative très ambitieuse, avec l'appui de la coopération allemande, pour mettre en place le premier Centre national d'élimination des déchets dangereux (CNEDS), dont le site a été identifié dans la région de Casablanca. Actuellement, une étude de faisabilité technico-économique est en cours de réalisation pour parachever les derniers préparatifs pour l'installation de ce centre qui sera capable de traiter près de 90 % des déchets industriels dangereux, et près de 75 % des déchets hospitaliers dangereux.

Les produits chimiques sont également visés. Quels sont les différents projets envisagés pour une gestion maîtrisée de ces matières dangereuses ?

Contrairement à ce que l'on serait tenté de penser, les risques liés à la gestion inadéquate des produits chimiques dangereux sont présents dans les pays en développement comme le Maroc. Ces risques sont d'autant plus exacerbés que les manipulateurs de ces produits ignorent, le plus souvent, les risques potentiels de ces produits ainsi que les règles élémentaires pour se protéger contre ces risques.

Afin de mieux cerner cette problématique, nous avons lancé une étude d'inventaire des produits chimiques produits, importés ou manipulés au Maroc. Ainsi, il ressort des résultats préliminaires de cet inventaire que le nombre de détenteurs des produits chimiques dangereux identifiés au niveau national s'élève à 373 détenteurs, dont une majorité dans le secteur industriel. Parmi ces détenteurs de produits chimiques, 70 sont des détenteurs de produits chimiques dangereux dépassant les seuils critiques.

Ainsi, les résultats de cet inventaire, le premier du genre au Maroc, serviront à élaborer des plans de prévention du risque chimique dans certaines unités industrielles et certaines zones industrielles à titre pilote.
D'autres activités ont également été entreprises dans ce sens, dont notamment l'inventaire des équipements contenant des PCB (ou polychlorobiphényles), qui sont des produits hautement toxiques contenus dans les transformateurs électriques, avec l'élaboration d'un plan d'action national pour leur gestion et l'inventaire des polluants organiques persistants (POP) et l'élaboration d'un plan d'action national pour réduire les risques liés à ces produits, conformément aux dispositions de la Convention de Stockholm que le Maroc a ratifiée en 2004.

Quelle est la relation entre l'amélioration de la gestion des déchets et le développement durable ?

Le développement durable, comme cela a été réaffirmé lors du Sommet de Johannesburg, repose sur trois piliers : l'économique, le social et l'environnemental. Si on examine la question de la gestion des déchets, on peut s'apercevoir qu'elle touche également à ces trois piliers à la fois.
Les aspects économiques : la dégradation de l'environnement et l'atteinte à la santé des populations dues à la mauvaise gestion des déchets engendre des coûts pour la collectivité. Si on ajoute à cela les coûts nécessaires pour le ramassage des déchets entreposés de manière anarchique sur la chaussée et dans les terrains vagues, ainsi que pour le ramassage des sachets en plastique disséminés sur tout le territoire national par exemple, il sera aisé de se rendre compte que la mauvaise gestion des déchets grève également l'économie nationale.

Les aspects sociaux : les décharges sauvages engendrent beaucoup de nuisances (olfactives, visuelles, pollution des milieux naturels, etc.) qui contribuent à la dégradation du cadre de vie des populations les plus défavorisées vivant en périphérie des villes. En plus de ces nuisances, les déchets dangereux ou infectieux mélangés avec les déchets ménagers contribuent à la dégradation de l'état de santé des populations, notamment des récupérateurs des déchets réutilisables.

Les aspects environnementaux : les déchets entreposés dans les décharges sauvages contribuent à l'effet de serre (dégagement de méthane), à la pollution atmosphérique (incendies dans les décharges et émission de dioxines toxiques dues aux déchets plastiques), et à la pollution du sol et des nappes phréatiques (à cause du lixiviat liquide provenant des déchets, et riche en microbes et en substances toxiques).

A contrario, une amélioration de la gestion des déchets peut contribuer au développement humain et à la lutte contre la pauvreté. En effet, la création de décharges contrôlées, outre la création d'emplois pour la gestion de ces sites, peut également être génératrice de revenus stables par l'organisation des récupérateurs au sein de coopératives et l'amélioration de leurs conditions de travail, et donc de leur rendement.

Aujourd'hui, une loi sur la gestion des déchets est en cours de discussion au sein du Parlement. Quel sera l'impact du prochain texte législatif sur la gestion des déchets ?

Ce projet de loi sur la gestion des déchets précise les règles et les principes fondamentaux qui doivent constituer une référence de base pour toutes les questions liées à la gestion des déchets et à leur élimination. Il permet d'asseoir une gestion rationnelle, moderne et efficace de ce secteur, en tenant compte des impératifs de protection de l'environnement et de la promotion du développement durable. Ses apports les plus importants concernent les aspects suivants :
- la définition des différents types de déchets, la spécification de leur mode de gestion et la précision du niveau de leur prise en charge,
- la réglementation de la gestion des déchets dangereux avec interdiction de les mélanger avec les autres catégories de déchets, ainsi que leur enfouissement, traitement ou stockage en dehors des installations qui leur sont spécialement réservées,
- l'interdiction de l'importation des déchets dangereux au Maroc,
- les règles d'organisation des décharges existantes et leur remplacement par des décharges contrôlées en prenant le soin de les classer en trois catégories distinctes en fonction du type des déchets qu'elles sont autorisées à recevoir,
- les plans directeurs à trois niveaux différents, correspondant à trois catégories distinctes de déchets : un plan directeur national pour la gestion des déchets dangereux, un plan directeur régional pour la gestion des déchets industriels et médicaux non dangereux, des déchets agricoles et inertes, ainsi qu'un plan directeur préfectoral ou provincial destiné à la gestion des déchets ménagers et assimilés,
- le système de responsabilisation à la source des générateurs des déchets, en l'occurrence le " principe pollueur-payeur " et le " principe de correction par priorité à la source " dans un souci de préserver la santé de l'homme et la protection de l'environnement dans une perspective de développement durable,
- le système de contrôle et de constatation des infractions assorti de sanctions d'ordre administratif, d'amendes et d'emprisonnement en fonction de la gravité des infractions,
- les échéances transitoires afin de permettre à tous les opérateurs concernés de se mettre à niveau pour se préparer à une gestion efficace des déchets.
Ainsi, l'activation de la promulgation de ce projet de loi, et de ses textes d'application permettront, à terme, d'améliorer de manière significative la gestion des déchets au Maroc, à conditions que ses dispositions soient appliquées sur le terrain par tous les protagonistes.
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