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Il est urgent d'arrêter le massacre

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Loudaya, province de Marrakech,10 janvier 2006: 26 morts. Imintanout, province de Chichaoua, août 2005: 29 morts après un carambolage entre un autocar, un semi-remorque et un grand taxi. Région de Taroudannt, mars 2005: huit morts dont cinq touristes français après le dérapage de leur autocar.

Autoroute Casa-Rabat, mai 2004, 17 morts. Cette liste sinistre ressemble presque à la litanie des communiqués d'un pays en guerre qui, jour après jour, compte ses morts au champ d'honneur. Mais c'est sur le goudron marocain que tous ces voyageurs ont perdu la vie, la majorité en ayant simplement commis l'imprudence d'acheter un ticket pour embarquer sur un des autocars qui sillonnent le Royaume.

Cette hécatombe routière n'est pas l'apanage du Maroc. Mais les pouvoirs publics semblent avoir pris la mesure de l'enjeu humain, social et économique de ce fléau. La dernière campagne de lutte contre l'insécurité au volant en témoigne. Souhaitée par tous, la réforme du permis de conduire se poursuit, les contrôles routiers et techniques se renforcent.

Il reste que les chiffres sont cruels et têtus. Avec près de 4.000 morts sur les routes pour un parc de 1,8 millions de véhicules, le royaume s'enfonce dans les classements internationaux: avec plus de 10 morts par jour, les routes y sont désormais 7 fois plus meurtrières qu'en France et 10 fois plus qu'en Grande Bretagne.

Avertissements étrangers

Ce sinistre record figure désormais au centre des préoccupations des voyagistes étrangers et des chancelleries diplomatiques. L'objectif des 10 millions de touristes d'ici 2010 est-il en effet compatible avec la triste réputation des routes marocaines ? Cette question est posée par les guides touristiques mais également dans les conseils donnés aux voyageurs.

La brochure du Ministère français des affaires étrangères remarque : «Le réseau routier marocain, en général de bonne qualité, est cependant dangereux, tant en raison d'infractions fréquentes au code de la route, que des divagations d'animaux sans surveillance. Les statistiques nationales font état de chiffres de mortalité très élevés .La plus grande prudence et le strict respect des règles sont donc des exigences absolues. Il est vivement déconseillé de circuler la nuit». La note du Quai d'Orsay poursuit: «Les routes Casablanca-Marrakech et Casablanca-El Jadida sont réputées dangereuses. Le réseau d'autocars est assez dense mais le parc est vétuste dans l'ensemble (selon la presse locale, 60% des bus ne rempliraient pas les conditions minimales de sécurité)».

Même son de cloche alarmiste côté américain. Le Département d'Etat avertit : «Niveau de sécurité dans les transports publics: faible; Niveau de conditions de circulation et d'entretien hors agglomération: faible» note ainsi le département d'Etat qui souligne «le mauvais respect des règles de conduites, à l'origine de la mort et de blessures de citoyens américains (...) notamment pendant le mois musulman sacré du Ramadan». Washington termine sur cette mise en garde : «piétons, deux roues, véhicules à traction animale sont fréquents sur toutes les routes, y compris les autoroutes et la conduite de nuit est déconseillée».

Le problèle de la corruption

Sans verser dans l'auto-flagellation, ces sombres constats sont partagés par de nombreux Marocains comme en témoignent leurs réactions sur les sites internets nationaux après l'accident du 10 janvier.

Stigmatisant «la démagogie» des pouvoirs publics, Alaoui dénonce sur "Yabiladi" l'inefficacité des contrôles routiers: «C'est la corruption dans ce pays qu'il faut incriminer. L'obtention des permis de conduire, le contrôle routier, l'excès de zèle des forces de l'ordre et les chauffards qui corrompent à gauche et à droite». Sur le même site, Al Faquih s'emporte : «on continue à nous rebattre les oreilles avec ces campagnes de prévention contre les accidents de la route, menées à grand renfort publicitaire et du grand bla bla ...Ne vous est-il donc jamais arrivé d'être mis en situation de choisir entre un pot de vin de 100Dh ou une amende de 400Dh ?».

Cerceuils ambulants

Le caractère pour le moins «sélectif» des contrôles routiers, en ville comme à la campagne, n'est toutefois pas le seul paramètre dans l'équation de ce «massacre» routier. Pour les transports en commun, la première étape, celle de la gare routière ou de la station de grands taxis est déjà édifiante. La plupart de ces véhicules collectifs sont vétustes: autocars aux pneus élimés ou grands taxis Mercedes dépourvus de ceintures de sécurité et dont les portières ne restent souvent fermées que grâce aux bras musclés des passagers. Comme sur la quasi-totalité des vélos et la plupart des cyclomoteurs, l'éclairage des cars et des taxis est généralement défaillant, augurant d'une conduite nocturne pour le moins périlleuse.

Ce délabrement s'explique largement par l'âge du parc automobile (16 ans en moyenne) malgré la récente explosion du marché des véhicules neufs.
Le taux d'occupation de ces cercueils ambulants est aussi à prendre en compte. La rémunération des chauffeurs, y compris dans les autobus urbains, qui est proportionnelle au nombre de passagers transportés, explique certainement de nombreuses dérives. Comment ne pas rester pantois devant cette scène pourtant si commune sur les nationales: un camion chargé de légumes doublé par un autocar lui-même dépassé par un grand taxi fendant la bise à plus de 120 km/h ? Le tout au mépris de la signalisation horizontale dont la ligne continue interdit tout dépassement…

A la limite du suicidaire, ce genre de comportement au volant est aggravé par l'archaïsme du réseau routier. En attendant l'autoroute, promise pour la fin de l'année, l'axe Casa-Marrakech reste confiné sur deux voies pendant 160 kilomètres. Véritable poumon du trafic entre les deux villes, ce tronçon fait cohabiter ânes, vélos, cyclomoteurs, tracteurs, camions, semi-remorques et voitures avec, au final, un taux de mortalité qui ne doit qu'à un miracle de ne pas être encore plus impressionnant.

Un gendarme, posté à l'entrée de Ben Guerrir, avait eu ce constat de bon sens en octobre: «Il est très difficile d'imposer une discipline à des véhicules si divers que les vitesses varient de 10 à 150 km/h». Alors, depuis 2004, fleurissent les radars pour tenter de freiner les plus rapides. Le port obligatoire de la ceinture de sécurité entre dans les mœurs et l'usage du téléphone mobile au volant, très prisé chez les propriétaires de BMW, Audi et autres Lexus, commence à être sanctionné.

Mais, comme sur l'autre axe stratégique Marrakech-Agadir endeuillé à la veille de l'Aïd, les mauvaises habitudes reprennent dès que la crainte de l'uniforme semble écartée. Rien ne changera sans une une réelle prise de conscience citoyenne que la route est un espace public. Donc à partager par tous les usagers et dans le respect de chacun, du plus petit au plus gros, du piéton au chauffeur de semi-remorque.
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