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Une enfance usurpée

Malgré leur jeune âge, des milliers d'enfants sont contraints de mener une vie d'adulte

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Mehdi prend son petit sac à dos, dépigmenté sous l'effet du temps, et quitte la maison à 7h45 après avoir salué ses parents. Comme à l'accoutumée, il rencontre deux amis qui habitent au même quartier. Quelques minutes plus tard, ils arrivent à l'entrée d'une école primaire. Pourtant, Mehdi ne va pas rentrer avec ses potes. Cela fait plus d'une année qu'il a quitté cet établissement.

Il est devenu depuis un apprenti chez un menuisier, une connaissance de son père. Il porte dans son sac à dos un blouson bleu que son "employeur" lui a donné et une petite boîte en plastique qui contient son repas de midi. L'atelier où Mehdi travaille est un peu loin de chez lui. C'est la raison pour laquelle il ne rentre pas pour le déjeuner.

A peine âgé de 9 ans, Mehdi a été contraint de quitter l'école pour aider son père qui travaille comme porteur au marché de Bab Marrakech à Casablanca. "J'ai abandonné les études parce que mon père ne pouvait pas assurer tout l'argent nécessaire pour ma scolarisation.

J'ai trois petits frères et une sœur. Même si je ne vais pas à l'école, je pourrais très bien gagner ma vie en apprenant un métier. Aujourd'hui, je suis capable d'aider mon père avec une petite somme d'argent ", témoigne Mehdi qui est contraint de mener une vie d'adulte et raisonner comme un grand. Il n'a plus le temps de regarder les desseins animés qui passent à la télé. Le parc des jeux, il n'y va que le temps des fêtes avec ses frères. Et le dimanche, son jour de repos, il en profite pour aller au Hammam et se reposer. "Non, je ne savais pas", telle est sa réponse concernant la date de la Journée mondiale de l'enfance qui sera célébrée demain mardi.

Arrivé devant le magasin, il doit attendre quelques moments encore la venue de son " mouâlem ". Il prend le balai chez un voisin pour nettoyer la devanture de l'atelier. C'est le début d'une longue journée de dur labour qui commence. En tant qu'apprenti, il doit tout apprendre sur le métier. Autrement, il doit exécuter toutes les tâches que le mouâlem va lui demander.

"Si Driss est menuisier très connu dans les parages, plusieurs menuisiers ont fait leurs premiers pas dans ce même magasin quand ils avaient mon âge. Il est également très généreux. Autre la somme d'argent hebdomadaire donnée à mon père, il m'offre 20 DH de plus ", ajoute Mehdi.

Des enfants qui vivent la même situation que Mehdi sont très nombreux au Maroc et même dans le reste du monde. En effet, le travail des enfants est un phénomène mondial qui touche les pays pauvres comme les pays riches. L'Organisation internationale du travail (OIT) dénombre quelque 218 millions d'enfants qui travaillent. L'organisation onusienne évoque également dans un rapport sur le travail des enfants que ces derniers sont victimes de violence "systémique" se déclinant notamment sous forme d'abus physiques ou verbaux, ou encore par du harcèlement sexuel, des viols et même des meurtres.
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Le travail des enfants en bref

Selon un document du ministère de l'Emploi réalisé en 2004, des millions d'enfants sont astreints à travailler. On estime qu'en termes relatifs, l'Afrique compte le plus fort pourcentage d'enfants travailleurs, près d'un enfant sur trois de moins de 15 ans est "économiquement actif " dans le continent. En 2001, le nombre d'enfants africains âgés de 5 à 14 ans et qui sont économiquement actifs, était de 48 millions. Au Maroc, selon " L'enquête nationale sur l'emploi " module enfant/2000, le nombre d'enfants âgés de 7 à 14 ans est estimé à 5,4 millions.

Parmi eux environ 600.000 sont au travail, soit 11% de ce groupe d'âge, et 800.000 enfants de la même tranche d'âge, soit 14,5% sont sans activité. La structure des enfants par type d'activité diffère selon le sexe et selon le milieu de résidence. Le pourcentage des garçons au travail, à l'école et sans activité sont respectivement 13%, 79% et 8% alors que les pourcentages respectifs pour les filles sont 9,5%, 69,5% et 21%.

Sur le nombre total des enfants au travail, 58% sont des garçons et 42% sont des filles, d'où une légère prédominance masculine. Par milieu de résidence, les enfants du rural ont tendance à recourir au travail ou à être sans activité au détriment de la scolarisation. Le travail des enfants est essentiellement rural puisque 87% des enfants travailleurs sont du milieu rural contre 13% dans l'urbain.

Toujours à l'ancienne médina de Casablanca, le quartier " Labhira " est réputé par la fabrication des cartables et sac à mains. Quelques magasins à " Labhira " emploient des enfants. Les gens se montrent frileux dès qu'ils sont interrogés sur la question du travail des enfants. " Souvent, il s'agit des petits qui ont échoué à l'école. C'est l'équivalent pour eux d'une seconde chance que de travailler dans l'un de ces magasins", informe un propriétaire. D'une manière générale, le fait d'employer des enfants ne semble aucunement être comme illégal par un grand nombre de personnes notamment les employeurs.

Le textile, l'agriculture ainsi que les métiers de l'artisanat sont parmi les secteurs qui emploient le plus grand nombre d'enfants au Maroc. Ces derniers travaillent pendant des heures pour des petites sommes dérisoires qu'ils perçoivent en fin de semaine ou chaque quinzaine. Beaucoup d'enfants peuvent également travailler gratuitement pendant une période, le temps d'apprendre le métier.
Le quartier des Habous au centre de Casablanca est connu par la forte concentration des fabricants d'objets et décors traditionnels. C'est dans une petite ruelle de ce quartier que l'un de ces fabricants, à la quarantaine, tient un petit atelier. Ils emploient deux adolescents. Ces derniers ont également quitté les bancs de l'école à un âge très jeune.

C'est ainsi qu'ils ont atterri dans cet atelier.
Ils sont aujourd'hui devenus des vrais " mouâlem ". Ils ne vont pas donner d'autres informations. Pour eux, il n'est pas question d'aller plus loin dans la discussion sous l'œil attentif de l'employeur. Approché pour répondre à quelques questions, ce dernier affirme que ce sont les pères de familles qui amènent leurs enfants pour apprendre le métier.

"Après l'abandon des études, la seule solution pour les familles qui veulent éviter à leurs enfants de sombrer dans le monde de la criminalité ou la drogue, c'est de les "placer" chez un mouâlem. La plupart sont issus de milieux très pauvres et doivent donc aider leurs pères", déclare le propriétaire de l'atelier. Il refuse cependant de divulguer la somme d'argent qu'il donne à ses employés ni le nombre des heures travaillées chaque jour.

Plusieurs facteurs contribuent à l'accroissement du nombre des enfants travailleurs, notamment l'exode rural, la dislocation de la famille et la préférence de la main-d'œuvre infantile dans certains secteurs. Néanmoins, le principal facteur reste la pauvreté qui est souvent à l'origine d'abord de la déperdition scolaire et ensuite du travail des enfants.
Ils sont des milliers sinon des millions à voir leur enfance volée, exploitée par les plus grands. Ainsi, des petits se retrouvent en train d'effectuer des travaux exténuants et souvent très dangereux.

En 2004, plus de 60 % des 218 millions d'enfants au travail dans le monde étaient sur des lieux dangereux tels que les verreries, les mines, les plantations et autres activités agricoles où la réglementation en matière de santé et de sécurité est souvent laxiste ou inexistante. Au Royaume, les enfants les plus exposés sont ceux employés dans les tanneries et les ateliers de menuiserie. Que d'enfants ont perdu leurs doigts ou mains à cause des machines difficiles à manier même pour des adultes.

Ce genre d'accident se produit dans les villes où prospère l'artisanat, notamment Fès et Marrakech, mais également dans les quartiers périphériques des grands centres urbains, spécialement à sidi Othman et Bernoussi à casablanca. Les lois au Maroc interdisent, en effet, l'exploitation des mineurs ni leur admission dans les entreprises ou chez les employeurs avant l'âge de 15 ans révolus.
Mais il faut signaler que les enfants sont emmenés par leurs propres familles.
La mise en place de plans ou de stratégies pour la lutte contre le travail des enfants est souvent une question délicate. Ce phénomène est le résultat d'une imbrication de plusieurs éléments socioéconomiques.

C'est pour cette raison que toute éventuelle approche doit d'abord traiter les causes économiques et même culturelles et sociales du travail des enfants. Les enfants qui échouent à l'école ne constituent, en effet, qu'une infime partie des petits qui travaillent aujourd'hui. La plupart d'entre eux n'ont pas eu une chance pour mener leurs études jusqu'au bout. Victimes d'un manque de moyens mais également des préjugés, malheureusement très encore répondus, ils finissent par quitter l'école. Les gens oublient toujours "qu'un enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne ".

Combien d'autres enfants seront contraints de mener une vie de grands, d'abandonner tôt l'école et d'être exploités ? Mehdi, que serait-il devenu s'il a pu terminer ses études ? Rêvait-il comme les autres enfants de devenir un médecin, un pilote d'avion ou un militaire ? Une chose est sûre : il serait au moins capable, avec un diplôme en poche, d'aspirer un avenir meilleur. Il aurait pu également éviter le travail très jeune et, par-dessus tout, vivre son enfance… pleinement.
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Qu'en est-il de la législation marocaine ?

" Le nouveau code du travail protège les enfants du travail par la fixation de l'âge minimum d'admission au travail à 15 ans révolus au lieu de 12 ans (Art 143). Les sanctions à l'égard des contrevenants on été rendues plus sévères. Et, un projet de loi interdisant le travail pour les moins de 15 ans et réglementant sévèrement le travail domestique pour les plus de 15 ans est en cours d'étude au secrétariat général du gouvernement.

Ce projet de loi fixe l'age minimum pour le travail domestique à 15 ans révolus, les conditions contractuelles, les mécanismes de contrôles et de protection et les mesures de répression en cas de manquement aux dispositions de ladite loi ", déclare Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité.

En effet, l'actuel code du travail prévoit plusieurs dispositions relatives au travail des enfants. La loi donne le droit à l'agent chargé de l'inspection du travail de requérir l'examen par un médecin du service public de tous les mineurs salariés de moins de 18 ans pour vérifier si le travail dont ils sont chargés n'excède pas leurs capacités. Il a aussi le droit d'ordonner le renvoi des mineurs en cas d'avis conforme du médecin à son avis, après examen contradictoire à la demande de leurs parents. Cependant, il très important de faire la distinction entre le travail d'un enfant de moins de 15 ans, interdit par la loi et le travail des mineurs de plus de 15 ans que le législateur autorise à travailler.
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