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Accueil next Fête du Trône 2006

Le Maroc fait sien un islam médian et modéré, il reste un confluent des civilisations

• Le sacré est une modernité ancestrale et la modernité un sacré contemporain
• Nous œuvrons pour faire du Maroc un modèle de société fondé sur le renforcement des droits de l'Homme et la consolidation de l'Etat de droit

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Sa Majesté le Roi Mohammed VI a adressé un message aux participants aux Rencontres de Fès sur le thème "Le sacré et la modernité", dans le cadre du Festival des musiques sacrées du monde, qui s'est ouvert vendredi soir dans la capitale spirituelle du Royaume, et dont lecture a été donnée samedi matin par Mohamed Mouatassim, conseiller du Souverain.

Voici le texte intégral du message Royal:
"Louange à Dieu,
Prière et salut sur le Prophète, Sa famille et Ses compagnons,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Il nous est agréable de nous adresser à cette importante rencontre qui se tient dans le cadre du festival des musiques sacrées mondiales, et qui compte parmi les forums les plus prisés. Nous saluons donc la grandeur et la noblesse des objectifs qui président à votre rassemblement. Votre rencontre s'inscrit, en effet, dans le cadre du dialogue permanent, mais sans cesse renouvelé, qui est en cours pour favoriser la cohabitation conviviale entre les cultures et entre les civilisations, ainsi que la fraternité entre les religions célestes et les valeurs spirituelles que nous avons en partage.

Il ne vous échappe pas la grande signification symbolique que revêt ce lieu de rencontre pétri d'histoire séculaire qui illumine et embaume les coins et les recoins de cette cité millénaire. Ne dit-on pas, en effet, et à juste titre, que le savoir jaillit des gens de Fès comme l'eau jaillit de ses sources ? Voici donc la capitale spirituelle qui s'apprête à commémorer le 12e centenaire de sa fondation, et qui confère aujourd'hui à votre rencontre un cachet spécial reflétant l'harmonie de cette fusion symbiotique qui s'opère au sein de la cité entre le sacré et le moderne, et cet hymne qui se chante à la paix et à la concorde.

Que cette ville - pour laquelle nous vouons une affection toute particulière - abrite tant de festivals de musique mondiale sacrée, cela n'a assurément rien de fortuit. Car, hier, comme aujourd'hui, la musique ne peut se hisser vers les sommets, par ses mélodies, que dans un espace où l'homme puisse se défaire du matérialisme qui le plombe, pour voguer allègrement dans la félicité de la foi, et la passion de l'absolu, et pour vivre, dans leur plénitude et toute leur profondeur, les particularités dont Dieu l'a gratifié, et qui s'agrègent ensemble dans sa spiritualité.

La musique en est donc le moyen d'expression le plus éloquent et le plus apte à sceller l'unité de l'homme. En s'adressant à l'homme, elle vise son esprit et tous les sens qui l'animent dans son for intérieur, car, en définitive, elle est issue de sa propre nature dont, disent les sages, la synergie et l'harmonie constituent le socle.

La musique spirituelle est la plus belle expression de ce "sacré" qui unit les sentiments de l'homme, surtout en l'aidant à transcender les velléités de fanatisme et d'ostracisme, et les tentations d'exclusion et de dissension. De même, la modernité, de par les valeurs universelles sur lesquelles elle repose, a pour unique vocation, la quête de l'harmonie et de la concorde. Pour y parvenir, elle s'éclaire des lumières de la raison et s'attache à honorer l'homme et à diffuser les valeurs de justice et de liberté à travers la consolidation des droits de l'homme.

Si, dans le fond, comme dans la forme, la liberté est une et indivisible et la justice est une et indivisible, il devrait en être de même pour la modernité, qui doit former un tout, dans ses mécanismes et ses objectifs, et offrir la possibilité et l'opportunité
de dépasser toutes les formes de disparité et de discrimination entre les humains, où qu'ils se trouvent. C'est là qu'elle rencontre et épouse le sacré. Le sacré est une modernité ancestrale et la modernité est un sacré contemporain. La modernité dénuée du sacré risque de se transformer en un sacré unique sans âme. C'est là que la raison se met à l'écoute de la voix céleste.

A cet égard, des philosophes musulmans de la trempe d'Al Farabi et Averroès, faisaient valoir que la religion est un droit, que la philosophie est également un droit, et que le droit ne s'oppose pas au droit. Exaltant la sagesse qui est au coeur de la philosophie, le
Coran dit en substance " Il donne la sagesse à qui il veut : et quiconque a obtenu la sagesse a obtenu un bien immense". En effet, la sagesse n'est que la logique de la raison, l'ouverture sur la foi et le rejet de tout ce qui fait obstacle à l'arbitrage de la raison.

L'Islam est une religion de la raison qui appelle à l'analyse avisée et au jugement motivé. Il exhorte les fidèles à exercer leur culte en usant de leur jugement raisonné, à telle enseigne qu'il exonère celui qui en est dépourvu, de l'exigence de rendre des comptes sur ses actes. Le Coran foisonne d'illustrations de ce souci de rationalité, dans les sujets les plus variés - plus d'un millier, selon les spécialistes-, souci qui nécessite des investigations exhaustives, avec l'éclairage des textes fondamentaux et subsidiaires du droit islamique.

Parmi les versets coraniques illustrant ce propos, on citera "Dans la création des cieux et de la terre, dans l'alternance des nuits et des jours, il y a sans doute des signes pour les hommes doués d'intelligence" et "Nous proposons ces paraboles aux
hommes, afin qu'ils réfléchissent ". Il existe une relation dialectique entre le sacré et la modernité. Sans interaction avec le moderne, le sacré serait un corps embaumé et figé. De même, une modernité qui ne s'appuie sur le sacré, resterait sans âme, d'autant plus que c'est la modernité des temps anciens qui constitue le sacré d'aujourd'hui et explique l'évolution inéluctable de l'humanité.

L'homme sera bien inspiré de méditer sur ces valeurs qui ne feront que le conforter dans son penchant pour favoriser la coexistence, la convivialité et le brassage des communautés humaines, et dans son désir de bâtir, à partir de nos valeurs religieuses et culturelles, un ordre cohérent et intégré, alliant à la fois, nos spécificités et notre universalité.

Mesdames, Messieurs,
En faisant sien un Islam médian et modéré, alliant la logique de la raison et la lumière de la foi, le Maroc a su rester, à travers les âges, un lieu de rencontre des civilisations et de convergence de cultures, sélectionnant parmi elles celles qui convenaient le mieux à sa personnalité propre, et qui s'accordaient le plus avec les civilisations méditerranéennes et africaines avoisinantes.

C'est ainsi qu'a pu éclore chez lui une culture où se rencontrent et se complètent, dans un heureux dosage, raison et religion, matériel et spirituel, sacré et moderne. Le modèle ainsi construit par les Marocains, leur permet de concilier authenticité et ouverture, et d'intégrer la science, la sagesse et le réalisme dans leur vécu quotidien, vénérant la science et les savants, et édifiant, au fil des siècles, les écoles et les hauts lieux du savoir.

Ainsi, dès le 7e siècle de l'Hégire - 13e siècle de l'ère grégorienne -, l'Université Al-Qaraouyine vit le jour à Fès. Première université de l'Occident islamique, elle devint un haut lieu du savoir et d'échanges académiques et intellectuels entre l'Orient et l'Occident, gagnant le coeur et l'esprit d'éminents érudits dans le monde. Des étudiants de races, de religions et d'horizons les plus variés, y affluaient pour y puiser les connaissances universelles qui s'y accumulaient. L'on rappellera, à ce propos, que le Pape Sylvestre II (Gerbert d'Aurillac) y a suivi des séminaires.

Parmi les auditeurs de son département d'études islamiques, on comptait également le célèbre philosophe juif, Moïse Ibn Maïmoun, qui s'est installé à Fès et y a rédigé l'un de ses ouvrages les plus célèbres, en se prévalant du centre scientifique de la culture talmudique, l'un des plus prestigieux du genre dans l'Occident islamique. Al Qaraouiyne comptait également Ibn Khaldoun parmi ses illustres pensionnaires.

Le Maroc a connu, à travers les âges, une animation intellectuelle et culturelle aussi vive que raffinée. Parmi ses porte - étendards les plus éminents, on citera Averroès, Ibn Khaldoun et Ibn Tofeïl. Ils furent de ceux qui avaient semé les premières graines du siècle des lumières en Europe, s'employant en permanence à allier, de façon intelligente et innovante, l'attachement à leur foi et l'ouverture sur les sciences des Grecs, comme en témoignent les historiens occidentaux, notamment le grand orientaliste français, Ernest Rénan.

Tout cela a fait que Fès, cité d'Al Qaraouiyne, des sciences et des innovations, est devenue également un pôle de découvertes, d'urbanisme et des arts et des métiers.

C'est cela aussi qui a fait que Jacques Berque, Louis Massignon et tant d'autres intellectuels de renom, se sont très fortement attachés à cette cité qui, pensaient-ils, devait les conduire à la connaissance de l'Autre.

C'est ce riche patrimoine qui a consacré la position du Maroc comme espace de rencontre, de cohabitation et de brassage des cultures, et comme creuset où s'épousent et se fécondent les apports de la raison créatrice et les expériences de l'âme, dans une quête conjointe du sacré. Il n'est donc pas étonnant que ce patrimoine civilisationnel demeure une source intarissable dans laquelle les Marocains puisent les idéaux auxquels ils se sont toujours attachés, à charge pour eux, de s'employer, dans le même esprit d'ouverture et de tolérance, à tisser les liens nécessaires avec le monde qui les entoure, et notamment avec leurs voisins.

C'est à cette œuvre exaltante que s'est consacré, avec tout son génie et son savoir-faire, le bâtisseur du Maroc moderne, notre vénéré père, que Dieu ait son âme, Sa Majesté le Roi Hassan II qui a su concilier le sacré et le moderne, pour n'en faire qu'un élément, consacrant ainsi l'identité marocaine unifiée, riche des nombreux affluents qui l'irriguent et ouverte sur les nouveautés qu'apporte la modernité.
Poursuivant sa marche sur cette voie judicieuse, le Maroc, sous Notre impulsion et Notre conduite, a à cœur de remplir cette noble mission qui lui est dévolue.

Il s'efforce, ainsi, d'ouvrir la voie la plus large possible, pour assurer une complémentarité constructive et harmonieuse entre la sacralité et la modernité. Il s'emploie, au même titre, à dissiper les idées étriquées et erronées, postulant une contradiction intrinsèque et fondamentale entre les deux. Son objectif est d'aider à ce que notre région recouvre son statut d'antan, comme espace de rencontre et d'échange entre l'Orient et l'Occident.

A cet égard, Nous continuons à œuvrer pour faire du Maroc un véritable modèle de société, fondé sur le renforcement des droits de l'Homme et la consolidation de l'Etat de droit et des institutions. Nous veillons à ce que cette société fasse sien le principe de développement humain, durable et intégré et adopte celui de la citoyenneté pleine et entière.

Ces principes doivent baliser en permanence la voie que nous avons choisie pour bâtir une société démocratique, en nous prévalant des valeurs de modernité, et des avantages qu'offre une globalisation à visage humain, dans le respect constant de notre civilisation et notre patrimoine culturel. Nous avons, dans le même esprit, œuvré pour l'émergence d'un espace maghrébin et méditerranéen, où règnent la paix et la concorde.

Mesdames, Messieurs,
Le monde est en prise avec le vacillement, voire la disparition, des repères et des référentiels, marqué par la dépréciation et la perversion des valeurs religieuses et humaines et par le réveil des démons du fanatisme, de l'extrémisme, de la violence et du terrorisme, conjugué à la propagation des idées mystificatrices sur un prétendu choc de civilisations. Dans ce monde tourmenté, il est du devoir et de la responsabilité de toutes les puissances internationales et des intellectuels éclairés et autres artistes et responsables de médias, de faire face aux dangers qui pèsent sur la paix, la sécurité et la stabilité régionale et internationale.

Cette riposte ne peut, toutefois, se concevoir sans l'adoption de stratégies nationales, régionales et internationales cohérentes, qui transcendent les thèses stéréotypées à sens unique, issues du rouleau compresseur d'une mondialisation débridée. Ceci exige, parallèlement, le respect du pluralisme culturel, du droit à la différence, et des spécificités et constantes nationales.

Il faut, en outre, une adhésion constante aux valeurs et idéaux universels que prônent les prescriptions divines et les civilisations humaines, en l'occurrence ceux de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, de la justice, de la solidarité, de la tolérance, de la coexistence et de la concorde, ainsi que le choix de la voie démocratique, choix auquel Nous demeurons fermement attaché.

Votre rencontre aujourd'hui, dans la ville séculaire de Fès, transportée par les rythmes et les mélodies enchanteurs des musiques sacrées mondiales qui expriment avec force toutes les nuances précitées concernant le sacré et le moderne, illustre de la plus belle manière à quel point vous êtes, vous - mêmes, imprégnés de ces valeurs et de ces idéaux, et soucieux d'en assurer la plus large diffusion.

Il Nous est agréable, pour conclure, de rendre hommage de nouveau aux organisateurs de ce festival, à leur tête son fondateur à la faveur d'une bienveillance royale continue, notre fidèle serviteur, M. Mohamed Kabbaj, dont Nous saluons le patriotisme sincère qui l'anime lui et l'ensemble du staff de la fondation. Nous rendons également hommage aux responsables, aux autorités publiques, à l'administration territoriale, à leur tête le wali de Notre Majesté dans la région Fès-Boulemane, ainsi qu'aux sponsors de cette rencontre.
Nous les remercions tous pour les efforts louables qu'ils déploient pour assurer le rayonnement de cette manifestation.

Notre hommage s'adresse au public mélomane, au goût raffiné, qui suit le déroulement des différentes manifestations, ainsi qu'à l'ensemble de Nos chers citoyens dans cette cité historique. Tous ces facteurs réunis, ont fait de Fès, pétrie d'histoire et de modernité, un phare brillant de mille feux.

Nous adressons donc Nos vœux les plus chaleureux de bienvenue à nos grands hôtes et aux éminents créateurs et penseurs qui ont massivement afflué vers ce festival mondial. Nous leur souhaitons un agréable séjour dans la ville séculaire de Fès où se rencontrent dans l'harmonie, l'esprit du lieu et l'air de temps, et où le sacré et le quotidien se rejoignent et se complètent mutuellement.
Que Dieu guide vos pas et couronne de succès vos efforts".
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